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Appartient au dossier : 1925, un tournant dans les arts 

Mode et joaillerie des Années folles

Durant les années 1920, les vêtements et les bijoux connaissent des évolutions extraordinaires. Un vent de modernité souffle au lendemain de la Première Guerre mondiale : la société française vit des Années folles.

Note de la rédaction
Pas moins de huit expositions, dans toute la France, célèbrent le centenaire de l’Exposition de 1925. Les illustrations de cet article proviennent des dossiers de presse fournis par les institutions.

Tableau montrant Elisabeth d'Autriche en pied, de trois quarts, dans une robe d'époque (1865)
Elisabeth d’Autriche, Franz Xaver Winterhalter – Domaine public, via Wikimedia Commons


À la fin du 19e siècle, les femmes sont toujours engoncées dans des robes très volumineuses, alourdies par les corsets et crinolines qui les empêchent de respirer et de se mouvoir.

Charles Frederick Worth règne sur la haute couture parisienne. Malgré ses efforts pour adapter ses créations à l’air du temps, raccourcissant par exemple la longueur de ses robes, sa maison de couture décline. 

Couturier·ères emblématiques des années 1920

Il faut attendre le début du 20e siècle pour qu’un couturier libère les femmes de leur carcan. Paul Poiret supprime le corset, allège et raccourcit les robes, laissant ainsi apparaître les chevilles. Surnommé « Le Magnifique », Poiret fluidifie les tissus, rend les vêtements plus confortables. Il crée la jupe culotte, rompt avec la silhouette en S, typique du début du siècle et impose sa silhouette droite en I. Il habille les femmes les plus hardies comme la comédienne Arletty, la danseuse Isadora Duncan, la meneuse de revues Mistinguett, mais aussi les bourgeoises. Ses créations teintées d’exotisme, inspirées des Mille et une nuits ou de la Russie) rencontrent un grand succès.

Dans les années 1920, Paul Poiret subit la rivalité de plus en plus grande de couturier·ères comme Madeleine Vionnet, connue pour ses coupes en biais, Lucien Lelong ou Robert Piguet.

Robe longue de Madeleine Vionnet. Imprimé brodé, inspiré de la mythologie grecque
Madeleine Vionnet, maison de couture, et Marie-Louise Favot dite Yo, maison de broderie. Robe dite Petits chevaux ou Vase grec, Paris, collection hiver, 1921. Crêpe de soie brodé de perles et de filets or. © Les Arts décoratifs / Christophe Dellière
Dessin de Iribe. Trois femmes habillées à la mode des Années folles
Paul Iribe, Les robes de Paul Poiret – Domaine public, via Wikimedia Commons

Gabrielle Chasnel, dite Coco Chanel, est la figure incontournable de la mode des années 1920. Elle débarrasse la femme de toute entrave et privilégie une mode facile à porter dans toutes les situations, en ville, à la mer ou à la campagne. Elle n’hésite pas à s’inspirer de la garde robe masculine qu’elle réinterprète pour les femmes, par exemple pour les vestes d’homme de ses fameux tailleurs. Avant-gardiste, Coco Chanel scandalise, mais séduit les plus audacieuses. Ses robes du soir sont somptueuses, grâce à l’utilisation de la soie, du crêpe de Chine et des bijoux qu’elle crée.

Au début des années 1920, les jupes, robes et manteaux raccourcissent encore. L’inspiration devient plus sportive, libérée, émancipée, avec l’utilisation de la maille, du tricot. Jean Patou, l’inventeur du sportswear, utilise le jersey pour habiller Suzanne Lenglen, joueuse de tennis, lors de ses tournois.

Photo d'archive en noir en blanc, montrant la joueuse de tennis Suzanne Lenglen sur le court dans une posture acrobatique, dans sa robe blanche dessinée par Jean Patou.
Suzanne Lenglen sur le court, dans la robe dessinée par Jean Patou, en juin 1922 – Domaine public – Source : BNF via gallica.bnf.fr

Coiffure et chapeaux

Affiche du film Loulou, de Georg Willhem Pabst
Affiche du film Loulou (titre original : Die Büchse der Pandora) de Georg Wilhelm Pabst (1929)

L’autre révolution concerne la coiffure. Les femmes émancipées n’hésitent pas à couper court leur chevelure. Cette nouvelle coupe dite « à la garçonne » est appelée  « à la Jeanne d’Arc », par le coiffeur Antoine et « à la Louise Brooks » par les cinéphiles, en référence à l’actrice américaine qui, en 1929, joue le rôle de Loulou dans le film éponyme de Georg Wilhelm Pabst.

La coupe « à la garçonne » est adoptée par les lectrices du roman à succès et à scandale La Garçonne (1922) de Victor Margueritte. Le personnage principal, Monique Lerbier, femme émancipée, aux mœurs libres, a les cheveux courts.

Celles qui n’osent pas sacrifier leur longue chevelure optent pour des chignons très serrés, placés très bas sur la nuque, pour imiter une coupe courte. Ce type de coiffure permet le port de turbans, de petits chapeaux cloche, comme ceux créés par Caroline Reboux ou Madeleine Panizon. Dans les soirées chics, elles sont nombreuses à arborer une aigrette, bijou de tête léger et gracieux qui renouvelle le port du diadème. Jeanne Lanvin, autre grande figure de la mode des années 1920, débute sa carrière comme modiste. Comme Poiret, elle diversifie ses activités en créant des parfums, comme Arpège, qui lui permettra de financer ses créations de haute couture.

Magazines et catalogues

Dessin issu de la revue La Gazette du bon ton en 1912, présentant une robe de soirée de Paul Poiret
Robe de dîner « Lassitude » de Paul Poiret – Source : La Gazette du bon ton (1912) – Domaine public

Les magazines La Gazette du bon ton, Vogue, Chic parisien, Beaux arts des modes, L’Illustration des modes, les catalogues des grands magasins (le Printemps, les Galeries Lafayette, le Bon Marché), les illustrations d’Erté, Iribe, Georges Lepape, les photographies de mode de George Hoyningen-Huene, Cecil Beaton, Man Ray, les frères Seeberger diffusent à grande échelle haute couture et la joaillerie. Ces revues, illustrations et photographies révèlent l’idéal féminin et les tendances artistiques de l’époque.

Dessin satirique issu de Fantasio, en mars 1926. Deux femmes en smoking-jupe, cheveux courts à la mode garçonne, fumant des cigarettes
Fantasio, journal gai, La Smokinette – Mars 1926 – Source : gallica.bnf.fr / BnF, domaine public
Le Sourire, journal humoristique – Avril 2022 – Source : gallica.bnf.fr / BnF, domaine public

À l’inverse, les magazines satiriques, comme Fantasioet Le Sourire publient des illustrations qui traduisent les peurs ressenties face à cette figure féminine de la modernité. Dans ces journaux, les garçonnes sont représentées soit masculinisées à outrance, soit sexualisées. 

Mode masculine et enfantine

Couverture de la revue Monsieur, janvier 1921
Couverture de Monsieur, janvier 1921 – Source : gallica.bnf.fr / BnF, domaine public

Si la mode masculine ne connaît pas de bouleversements majeurs, les hommes voient leur garde-robe évoluer pour s’adapter aux nouvelles activités professionnelles, aux nouveaux loisirs, comme la conduite des belles mécaniques ou la pratique du sport. Quelques magazines dédiés comme Monsieur (1919) ou Adam (1925) font leur apparition. Paris et Londres entrent en rivalité pour obtenir les faveurs de la haute couture féminine : les couturiers Worth, Redfern, Creed s’installent à Paris. En revanche, les hommes prennent l’Angleterre comme modèle d’élégance.

Les enfants s’habillent comme les parents. C’est au cours des années 1920 que l’on différencie, par le vêtement, le sexe des nourrissons : bleu pour les garçons, rose pour les filles. Les manteaux, les culottes raccourcissent. Fondée par la société Valton, bonnetier depuis 1893, la marque de vêtements et sous-vêtements pour enfants Petit Bateau, naît en 1920.

Joaillerie

Clip de Rucki
Clip, Jean Lambert Rucki, 1937. Or. Présenté à l’Exposition internationale de Paris en 1937 © Les Arts décoratifs / Jean Tholance
Broche de Desprès
Broche, Jean Després, 1936. Argent, or, malachite © Les Arts décoratifs / Christophe Dellière


Les joaillier·ères des années 1920 modernisent leurs créations. Certains le font sans renier le passé : c’est le cas de Cartier qui imagine des boucles d’oreilles en émeraude, onyx et diamant. D’autres sont plus avant-gardistes, comme Jean Fouquet qui s’inspire de l’industrie pour façonner un collier composé de métal chromé, d’or gris et de diamants, ou Jean Dunand avec son bracelet articulé en cuivre doré, nickelé et laqué.

Malgré les querelles entre tenant·es de la haute joaillerie et de l’avant-garde, toutes ces parures ont en commun une simplification du design propre à l’Art déco.

Joailliers réputés des années 1920, Cartier, Van Cleef & Arpels, Jean Desprès, Chaumet, Jean Fouquet, conçoivent des bijoux somptueux pour orner les tenues des femmes : sautoirs, colliers, bracelets, bagues, clips. Les bijoux se singularisent par leurs formes géométriques, épurées, architecturées. Ils s’inspirent du cubisme, du futurisme, ou encore du naturalisme inspiré du 18e siècle. Ces bijoutiers s’enhardissent en opposant les matériaux dans leurs créations : des pierres transparentes ou colorées avec laques, émaux. L’or et le platine côtoient le cristal de roche, les perles et les émeraudes pour des sautoirs. Les bijoux de fantaisie font leur apparition. Pour remplacer les pierres précieuses, on peut composer des bijoux à partir de pierres sans valeur telles que l’onyx ou le quartz fumé. Le bois, le fil de laiton, le cuir se marient parfois avec l’or et l’argent.

Les femmes se parent de bijoux, les hommes portent des boutons de manchette, des pinces à cravate. Pour les soirées mondaines, les bijoutier·ères imaginent de luxueux accessoires : sacs à main en soie ou velours parfois brodés et dotés de magnifiques fermoirs, minaudières (petits sacs en or souvent décorés de pierres précieuses) dans lesquelles les femmes élégantes peuvent glisser leur nécessaire de maquillage. Les hommes peuvent sortir de leur smoking des étuis à cigarettes en or ou en argent incrustés d’émaux, de laque ou de cuir, des briquets, des porte-cigarettes.

De nombreux artistes, comme Picasso, Ernst, Man Ray ou Braque s’essaient à la création de bijoux. Le surréalisme naissant inspire les créations d’Elsa Schiaparelli. 

Les bijoutier·ères voyagent de plus en plus loin grâce au développement des transports. Ils et elles rapportent des pierres précieuses des pays visités et élargissent leurs sources d’inspiration. L’Égypte (découverte de la tombe de Toutankhamon en 1922), l’Afrique, l’Extrême-Orient et l’Inde les inspirent particulièrement.

Lalique, Daum, maîtres verriers, collaborent avec les joaillier·ères pour l’utilisation du verre ou du cristal dans la parure et l’horlogerie.

La mode et la joaillerie à l’Exposition internationale de 1925

L’Exposition de 1925 place la haute couture sur un piédestal et offre une vitrine exceptionnelle aux secteurs du vêtement et du textile, de la parure et de l’accessoire, sans oublier la bijouterie et la joaillerie, la parfumerie et la beauté. Il s’agit d’une réelle consécration pour toute la filière, et déjà d’une reconnaissance de Paris en tant que « capitale de la mode ». 

La mode et la joaillerie occupent deux sites majeurs : le Grand Palais et le pavillon de l’Élégance.

Présidente du jury international des récompenses et du secteur « Vêtements », Jeanne Lanvin est chargée de la sélection des exposant·es et du choix du décor architectural. Souhaitant montrer l’unité de la production française, elle confie l’aménagement des stands « Vêtements » du Grand Palais et du pavillon de l’Élégance à deux de ses proches, l’architecte Robert Fournez et le décorateur Armand-Albert Rateau.

Au Grand Palais, le projet qu’ils dessinent s’inspire d’un palace de ville d’eau. Jeanne Lanvin y expose avec soixante-dix couturier·ères, dont Agnès, Drecoll, Nicole Groult, Lucien Lelong, Jean Patou, Madeleine Vionnet, sélectionné·es pour leurs créations « modernes », de part et d’autre d’une allée, dite « Allée de la Parure ».

L’espace dédié à la joaillerie et à la bijouterie fait cohabiter bijoux précieux et fantaisie. Jusque-là associé à l’orfèvre, le joaillier affirme en 1925 son lien à la parure et son rapprochement avec l’industrie de la mode. Une centaine d’exposant·es français présentent leurs créations. Les bijoux modernistes de Paul Brandt, Georges Fouquet, Gustave-Roger Sandoz ou Raymond Templier côtoient la haute joaillerie de la rue de la Paix et de la place Vendôme : Boucheron, Cartier, Chaumet, Mauboussin, Van Cleef & Arpels, qui rivalisent de propositions nouvelles, abandonnant les styles anciens encore en vogue au début des années 1900. Comme pour la mode, c’est désormais Paris qui donne le ton en matière de bijoux.

Sur le Cours-la-Reine, le pavillon de l’Élégance, idéalement placé à côté de la porte d’Honneur, est réservé à l’élite de la haute couture. Quatre maisons de prestige y exposent, Lanvin, Callot, Jenny et Worth, associées au joaillier Cartier. Au rez-de-chaussée, les visiteur·euses sont accueilli·es par quatre mannequins Siegel, figurant des danseuses et vêtus des modèles des quatre couturier·ères. Les créations de Jeanne Lanvin et notamment sa célèbre robe Cavallini (robe noire ornée d’un très grand ruban brodé de perles) remportent un très grand succès. La créatrice devient d’ailleurs chevalier de la Légion d’honneur en 1926 pour ses œuvres et sa participation à l’Exposition. Couturier·ères, modistes, joaillier·ères investissent également la Rue des boutiques, sur le pont Alexandre III. On y trouve, par exemple, les batiks de Marguerite Pangon, la maison Alexandre – gants et sacs, le couturier fourreur Jacques Heim qui partage une boutique avec Sonia Delaunay (qui crée vêtements, accessoires, dessins textiles appelés « simultanés »).

Publié le 24/11/2025 - CC BY-SA 4.0

Une exposition à ne pas manquer

[Exposition] « Paul Poiret, la mode est une fête », musée des Arts décoratifs, du 25 juin 2025 au 11 janvier 2026

Le musée des Arts décoratifs présente sa première grande monographie dédiée à Paul Poiret (1879-1944), figure incontournable de la haute couture parisienne du début du 20e siècle. Considéré comme le libérateur du corps féminin pour l’avoir décorseté, Paul Poiret a rénové la mode.

Pour aller plus loin

La Mode des années 1920 en images

Charlotte Fiell
Eyrolles, 2011

Présentation de plus de 600 illustrations de mode des Années folles recueillies dans les revues, les magazines et catalogues de mode de l’époque, pour la plupart français.

À la Bpi, 743.98 FIE

Les Années folles (1919-1929)


Paris-Musées, 2007

Catalogue de l’exposition « Les Années folles (1919-1929) » du Musée Galliera, à Paris, qui a eu lieu du 20 octobre 2007 au 29 février 2008. Présentation de l’irruption de la modernité dans la mode pendant les Années folles en France et des recherches en matière de styles, de matériaux et de silhouettes, menées par des maisons de couture comme Worth, Lanvin, Poiret, Patou, etc.

À la Bpi, 743.98 ANN

Bijoux Art déco

Sylvie Raulet
Éditions du Regard, 1984

Bijoux Art déco et avant-garde


Norma, 2009

Catalogue d’exposition. Consacrée à l’un des aspects de l’activité artistique de l’entre-deux-guerres, cette exposition du musée des Arts décoratifs, qui a eu lieu en 2009, montre comment les bijoutiers et les orfèvres ont travaillé avec les peintres et les sculpteurs : formes simples et géométriques, esthétique inspirée de la machine et de la vitesse. Avec des pièces d’une vingtaine de ces créateurs, dont Jean Desprès, Suzanne Belperron, René Boivin, Jean Dunant, etc.

À la Bpi, 745.34 BIJ

Les Garçonnes. Mode et fantasmes des Années folles

Christine Bard
Éditions Autrement, 2021

Figure phare des « Années folles », la garçonne a gravé dans l’imaginaire collectif sa silhouette androgyne et ses cheveux courts. Symbole d’une émancipation controversée, elle cristallise les tensions d’une société ébranlée par la guerre, partagée entre fièvre de liberté et retour à l’ordre moral.
En nous propulsant au cœur d’une décennie fantasmée, Christine Bard analyse une révolution des représentations. Elle en saisit les déclinaisons, de l’univers de la mode à la scène lesbienne en passant par la littérature et le célèbre roman de Victor Margueritte. La garçonne incarne avec force l’ambivalence d’un monde en plein bouleversement.
L’essai réunit la culture des apparences, l’histoire politique et l’histoire sociale pour mieux cerner la puissance de cette figure entre subversion et modernité. [Résumé de l’éditeur]

À la Bpi, 930.42 BAR

Le Rose et le bleu. La Fabrique du féminin et du masculin. Cinq siècles d'histoire

Scarlett Beauvalet
Belin, 2016

Rose pour le filles, bleu pour les garçons ? L’évidence est une habitude récente comme bien d’autres signes associés au féminin et au masculin. L’histoire du corps et de ses représentations, des lois juridiques et sociales, de l’éducation, des enjeux de pouvoir entre les sexes, laisse entrevoir les contours changeants de ce qui nous définit comme hommes et comme femmes. © Électre 2016

À la Bpi, 300.5(091) BEA

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