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Femmes et sport #1 : la tenue des joueuses de tennis

En tennis, comme dans les autres sports, les vêtements témoignent, à leur manière, de l’émancipation des femmes à travers le temps. À l’occasion des Jeux olympiques 2024 et du cycle « Les femmes aux JO » programmé d’avril à juin à la Bpi, Balises explore les coulisses du tennis pour détecter, à travers la garde-robe féminine, les obstacles rencontrés par les joueuses.

Marguerite Broquedis, championne de tennis au Jeux olympiques de 1912 tenant sa raquette derrière la tête
Marguerite Broquedis, championne de tennis aux Jeux olympiques de 1912. Bibliothèque du musée des Arts décoratifs. Inv. BAD547105.

De la robe longue à la mini-jupe, les habits portés par les joueuses de tennis s’adaptent aux standards de la mode, des exigences de la compétition et de l’évolution des mœurs et semblent, au fil du temps, lever bien des obstacles à la montée sur le podium et à l’égalité hommes-femmes.

Les pieds dans les robes

Au 19e siècle, seule la bourgeoisie urbaine a accès aux activités sportives, ainsi que l’expliquent Sandrine Jamain-Samson, docteure en sciences sociales du sport, et Thierry Terret, historien, dans Fabricants, détaillants et vendeurs : l’économie du costume du sport à la Belle Époque (2009). Il n’existe pas encore de vêtements spécifiques aux sports. Le tennis, comme les autres disciplines sportives, se pratique avec des habits du quotidien, marqueurs de distinction sociale et d’élégance. Celles qui souhaitent échanger quelques balles se retrouvent alors sur le terrain de tennis avec de longues jupes aux étoffes lourdes et encombrantes entravant les mouvements des jambes et un corset peu pratique pour bouger les bras. Les hommes, vêtus de pantalons, sont ainsi avantagés par rapport aux femmes.

Les vêtements de sport à proprement parler apparaissent peu à peu à la fin du 19e et au début du 20e siècles. Marie-Laure Gutton, responsable des collections accessoires, et Pascale Gorguet Ballesteros, conservateur en chef à Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris, expliquent que les journalistes des revues de l’époque, comme Femina (1922-1954), La Vie parisienne (1863-1970) ou encore Le Guide des convenances de Liselotte (1905) dédié au savoir-vivre, encouragent l’adoption de toilettes appropriées aux activités sportives.

Les Années folles ou la révolution vestimentaire

« Casaque en jersey de deux tons. Forme droite kimono à grand col Watteau. Jupe en serge unie. Foulard noué sur la nuque. » Ce descriptif d’un ensemble de tennis apparaît en une du Petit Écho de la Mode du 29 juillet 1923. Le dessin signé Jany souligne la légèreté de l’habit en s’attachant à représenter un tissu aéré, chahuté par le vent. La jupe de tennis légère arrive à mi-mollet, facilitant ainsi les déplacements derrière la balle par rapport à la robe à taffetas de la fin du 19e siècle. Ce modèle est caractéristique de « la révolution vestimentaire », dont parle Sandrine Jamain-Samson dans le catalogue d’exposition En mode sport (2015).

Jean Patou fait partie des grands stylistes qui révolutionnent la garde-robe des joueuses de tennis dans l’entre-deux-guerres. Dès 1919, il confectionne, pour la championne Suzanne Lenglen, une jupe de soie plissée et souple, adaptée aux mouvements, qui fait couler beaucoup d’encre à l’époque car elle arrive à hauteur de genou.

Cette liberté vestimentaire fait écho à l’émancipation féminine en marche, comme le rappelle Christine Bard dans Les Garçonnes. Mode et fantasmes des Années folles (2021), et provoque les critiques des gardiens de la bonne morale. Les années 1920 marquent effectivement un tournant dans la mode féminine, suite à la parution du roman à scandale de Victor Margueritte, La Garçonne (1923). Les joueuses de tennis, comme de nombreuses Françaises, adoptent la coiffure du personnage principal aux mœurs libres, Monique Lerbier. Elles utilisent un bandeau pour tenir leurs cheveux coupés courts.

La performance au cœur des fibres

Cheveux et robes courtes, parties de bras et de jambes dénudées, les joueuses s’imposent sur le court alors que le tennis exige d’avantage de performances lors des matchs pour soutenir le spectacle. Au moment où la jupe de Marilyn Monroe se soulève au-dessus d’une grille de métro pour dévoiler les jambes entièrement nues de l’actrice, dans Sept ans de réflexion (1955) de Billy Wilder, les joueuses de tennis adoptent des jupes au niveau des cuisses, qui leur permettent de courir avec aisance sur la surface de jeu. L’Américain Ted Tinling crée d’ailleurs dès 1949, pour Gertrude Moran, une robe si courte qu’elle laisse percevoir la culotte de la joueuse lors de ses matchs à Wimbledon, au grand dam des puritain·es. Et, en 1967, c’est le dos nu de la championne Françoise Dürr, conçu par Tinling, qui provoque l’ire des organisateurs du tournoi de Wimbledon.

La seconde moitié du 20e et le début du 21e siècles lancent le coup d’envoi de l’entrée du tennis dans la course à la performance et aux marques. Les vêtements des joueuses sont, en cela, emblématiques des nouveaux enjeux de la société de consommation. La concurrence s’exprime sur le terrain et dans les enseignes sportives, où les logos s’imposent sur les t-shirts, mini-jupes et baskets. Les marques se disputent la technicité et l’élégance.

La grande révolution est l’introduction de la couleur, qui met fin à l’exclusivité du blanc au tennis dans les années 1960 et 1970. Les hommes ouvrent le bal avec leurs tenues colorées et extravagantes, comme celles de Bjorn Borg et de John McEnroe. En 2018, Serena Williams crée la surprise à Roland-Garros, avec sa combinaison noire Nike Court Zonal Cool Dress de super-héroïne, conçue pour stimuler la circulation sanguine de la joueuse après sa grossesse. Le choix de la couleur et l’abandon de la traditionnelle jupe valent à la championne des critiques sévères et inciteront la direction du tournoi à durcir par la suite les règles vestimentaires.

Les vêtements sportifs décrivent ainsi, à travers le temps, des avancées notables pour les sportives, mais tout ne se joue pas dans la garde-robe. Bien d’autres évolutions restent à venir. Prochains défis à relever : la mise en place de codes vestimentaires non genrés et l’égalité salariale entre sportives et sportifs professionnel·les.

Publié le 15/04/2024 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

En mode sport [exposition, Nice, Musée national du sport, 12 juin-20 septembre 2015]


Musée national du sport, 2015

Une exposition sur les liens entre le sport et la mode qui examine la façon dont la pratique sportive a influencé la mode vestimentaire et comment la mode s’inspire du sport. L’évolution des tenues de sport, des produits et des mœurs est évoquée. Avec un focus sur la mode spécifique à la Côte d’Azur. © Électre 2015

À la Bpi, Niveau 3, 743.98 MOD

Mode et sport, d'un podium à l'autre [exposition, Paris, Musée des arts décoratifs, 20 septembre 2023-7 avril 2024]


Musée national du sport / Somogy, 2023,

Catalogue de l’exposition « Mode et Sport, d’un podium à l’autre », organisée au musée des Arts décoratifs à Paris du 20 septembre 2023 au 7 avril 2024.

À la Bpi, Niveau 3, AR BUR EXP

Histoire du sport

Thierry Terret
Presses Universitaires de France / Humensis, 2023,

Du 18e siècle à nos jours, analyse du sport et des pratiques sportives qui, entre traditions, poids du marché et enjeux politiques, reflètent l’évolution des sociétés modernes et contemporaines. © Électre 2023

À la Bpi, Niveau 3 , 796(091) TER

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