Article

Appartient au dossier : Métamorphoses surréalistes

Musidora, une anticonformiste dans l’esprit surréaliste

Musidora, vamp des écrans muets, nourrit les fantasmes des surréalistes car elle véhicule l’image d’une femme aux libertés de mœurs assumées. À l’occasion de l’exposition « Surréalisme » au Centre Pompidou jusqu’au 13 janvier 2025, Balises s’attarde sur cette artiste complète, figure de l’anticonformisme.

Portrait de Musidora
Musidora, Domaine public – Wikimedia commons

« Musidora est bien la femme moderne en quelque chose », affirme André Breton au sujet de l’actrice et artiste de music-hall qui campe la redoutable Irma Vep dans Les Vampires (1915-1916), film à épisodes de Louis Feuillade. Vêtue d’un collant noir moulant, elle incarne un personnage de criminelle érotique, qui manie le revolver, verse le poison ou monte sur les toits de Paris. Cheffe des apaches aux côtés du Grand vampire, elle planifie les mauvais coups et démontre son agilité en échappant aux forces de l’ordre. En multipliant les conquêtes masculines et en fréquentant les cabarets, elle offre aussi une image de femme émancipée. Son machiavélisme et sa liberté de mœurs ne sont pas du goût des représentant·es de la bonne morale, mais fascinent les surréalistes.

Un symbole de libération sexuelle

L’artiste Musidora nourrit les fantasmes les plus inavouables des auteurs du Manifeste de 1924. Pour Louis Aragon, Musidora est celle qui, en incarnant une « grande révélation sexuelle », a pansé les plaies des victimes du cafard sur le front pendant la Première Guerre mondiale. En 1923, il écrit dans Projet d’histoire littéraire contemporaine :

« Ce qui nous attirait, c’était tout ce dont nous privait une morale imposée, le luxe, les fêtes, le grand orchestre des vices, l’image de la femme aussi, mais héroïsée, sacrée aventurière. Il y a un document précis de cet état d’esprit, c’est à lui que je veux en venir. L’idée que toute une génération se fit du monde se forma au cinéma, et c’est un film qui la résume, un feuilleton. Une jeunesse tomba tout entière amoureuse de Musidora, dans Les Vampires ».

Louis Aragon, « Les Vampires », Projet d’histoire littéraire contemporaine, Édition établie, annotée et préfacée par Marc Dachy à partir du manuscrit original inédit de 1923, Paris, Gallimard, coll. « Digraphe », 1994 [1923], p. 9.

Musidora et les projets surréalistes

Musidora est très souvent associée aux projets du groupe surréaliste. Son nom apparaît dans les programmes des soirées Dada comme celle du 27 mars 1920 au théâtre de la Maison de l’œuvre de la rue de Clichy. Carole Aurouet remarque cependant dans Musidora, qui êtes-vous ?, qu’il n’est jamais fait mention de la vedette dans les recensions de la fameuse soirée du 27 mars 1920. « Un nouveau canular des dadaïstes », selon l’historienne du cinéma. Même si Musidora ne participe pas aux spectacles déjantés du groupe, son nom figure sur les annonces publicitaires comme un gage d’anticonformisme. L’actrice au collant noir est d’ailleurs le sujet même de la pièce Le Trésor des jésuites, écrite par André Breton et Louis Aragon en 1928, présente dans les Œuvres poétiques complètes d’Aragon. L’image de femme libre s’impose au-delà de ses personnages et est aussi entretenue par l’artiste-même.

Une artiste libre

Photogramme de <em>Soleil et Ombre</em> (Musidora, 1922)
Photogramme de Soleil et Ombre (Musidora, 1922) © Les Amis de Musidora

Libre, Musidora l’est aussi dans ses choix artistiques et professionnels. Actrice, elle préfère interpréter des rôles de méchantes, plutôt que des ingénues. « J’ai tué par le poison, par le fer, par l’eau ; j’ai assassiné sans relâche, j’ai coulé un œil féroce. Et jamais je ne me suis autant amusée », confie-t-elle dans Ciné-Revue du 1er janvier 1926. Incontestablement, elle joue les femmes fortes. De plus, elle ne se contente pas de composer des rôles, elle les écrit aussi. Elle est romancière, scénariste, réalisatrice et productrice. À la tête de sa maison de production, elle tourne, entre autres, Vicenta (1919), Pour Don Carlos (1920), Soleil et Ombre (1922), La Terre des taureaux (1924). Enfin, cette artiste complète est aussi dessinatrice. Elle réalise des portraits d’André Breton et de Louis Aragon et démontre, par ses coups de crayon, que ce sont eux les muses de Musidora… et non l’inverse !

Publié le 16/12/2024 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Musidora. Qui êtes-vous ? Un éclairage complet et novateur sur une actrice, réalisatrice, productrice et artiste totale

Carole Aurouet, Laurent Véray et Marie-Laure Cherqui (dir.)
Éditions de Grenelle, 2022

Jeanne Roques (1889-1957), dite Musidora, est actrice, réalisatrice, productrice et la première vedette du cinéma français. Ses rôles ont contribué à forger une image de femme fatale qui alimente l’imaginaire collectif. Grâce aux archives de l’artiste, les auteur·rices brossent un portrait complet qui révèle notamment ses positions d’avant-garde et son engagement au service de l’émancipation féminine. © Électre 2022

À la Bpi, Cinéma, 791.7 MUSI 2

Moi Musidora reine du cinéma

Fontaine de La Mare
La Lucarne des écrivains, 2019

Cet ouvrage comprend des nouvelles, des poèmes et une interview de Musidora, un portrait de cette femme fatale du cinéma français, ainsi que des poèmes en l’honneur de cette actrice connue pour son rôle dans Les Vampires. Louis Feuillade, le réalisateur de ce film à épisodes, est également présenté. © Électre 2019

À la Bpi, Cinéma, 791.7 MUSI

Les Vampires de Louis Feuillade

Gilbert Lascault
Yellow now, 2008

Essai consacré au film à épisodes Les Vampires réalisé par Louis Feuillade en 1915-1916. Les différentes scènes sont analysées comme des fantasmes et des fragments de rêve dans lesquels Irma Vep, incarnée par Musidora, lutte pour son indépendance. Indifférente à toute morale, à tout préjugé, à toute religion, elle mène sa propre guérilla sans jamais être battue ou vaincue.

À la Bpi, Cinéma, 791.6 FEUI 2

Projet d'histoire littéraire contemporaine

Louis Aragon
Gallimard, 1994

Surgissant de la période dada de 1920-1923, voici des pages inédites d’Aragon, de son jardin secret, interdites de consultation. Un Aragon tranchant, dressant la toile de fond de ce moment ambigu entre la fin du dadaïsme et la naissance du surréalisme.

À la Bpi, Langues et littérature, 840″19″ ARAG 4 PR

Œuvres complètes

André Breton
Gallimard, 1992-2008

À la Bpi, Langues et littérature, 840″19″ BRET 1 vol. 3

Rédiger un commentaire

Les champs signalés avec une étoile (*) sont obligatoires

Réagissez sur le sujet