Série

Appartient au dossier : Norman Foster, sky is the limit

Norman Foster, sky is the limit #1 : le 30 St Mary Axe, à Londres

Inaugurée à Londres en 2004, la tour du 30 St Mary Axe s’intègre dans un quartier d’affaires en même temps qu’elle reflète le discours écologique de son concepteur. Balises vous présente cette construction emblématique de l’architecture de Norman Foster, sujet d’une exposition au Centre Pompidou en 2023.

La tour du 30 St Mary Axe conçue par l'agence Foster + Partners, avec une vieille église en pierre au premier plan
Foster + Partners, 30 St Mary Axe, Londres (Royaume-Uni), 1997-2004. Photo : © Nigel Young / Foster + Partners

Cliquez en haut à droite pour agrandir l’image.

Le 30 St Mary Axe est une tour implantée au cœur de la City, le quartier d’affaires de Londres. Le projet, qui a mobilisé plusieurs architectes et designers de l’agence Foster + Partners, a été lancé en 1997 et livré en 2003, avec une inauguration l’année suivante. Conçu pour la société d’assurance Swiss Re, l’immeuble a, depuis, été revendu à deux reprises, tout en conservant sa répartition originelle : des espaces publics et des commerces à la base, des bureaux en partie proposés à la location dans les étages, et un restaurant panoramique au sommet.

Une tour intégrée à son environnement urbain

Culminant à 180 mètres de haut pour 41 étages, cette tour est pensée par Norman Foster comme un reflet de l’esprit d’innovation et d’entrepreneuriat qui anime le quartier. Elle fut construite sur l’ancien emplacement du Baltic Exchange, bourse de fret maritime mondial dont les locaux, datant de l’époque victorienne, furent détruits à la suite d’un attentat à la bombe de l’Armée républicaine irlandaise en 1992. L’extrémité en coupole de la tour imaginée par Foster + Partners rappelle d’ailleurs les vitraux en demi-dôme de l’ancien bâtiment.

Plus généralement, le 30 St Mary Axe s’intègre dans un quartier dominé par les banques, les compagnies d’assurance et les grandes entreprises. S’y trouvent ainsi, à deux pas, la tour St Helen’s de la compagnie d’assurance Commercial Union (inaugurée en 1969), la Stock Exchange Tower abritant le marché boursier (1972), la Tower 42 construite pour la banque NatWest (1980), ou encore le Lloyd’s Building conçu par Richard Rogers pour un marché d’assurance (1986). Le projet de l’agence Foster + Partners n’en constitue pas moins une nouveauté dans un environnement urbain qui reste, au début des années 2000, majoritairement composé de bâtiments de taille moyenne, aux formes régulières et aux tracés rectilignes.

Le 30 St Mary Axe se distingue en effet par sa hauteur inhabituelle et surtout par sa silhouette fuselée, qui lui vaut le surnom de « The Gherkin » (« Le Cornichon »). La tour est construite sur un plan circulaire, qui s’élargit vers les étages intermédiaires puis s’affine de nouveau jusqu’à un sommet arrondi, si convexe qu’il en paraît presque pointu. Cette forme présente un double avantage. D’une part, elle rend l’édifice moins imposant que ne le serait une tour parallélépipède de même hauteur. De l’autre, elle dégage de l’espace au sol, ce qui favorise les circulations entre l’extérieur et les étages inférieurs, et permet surtout la création d’une nouvelle place publique ouverte aux piéton·nes – un espace rare dans ces rues étroites au tracé médiéval.

En ce sens, le 30 St Mary Axe reflète l’attention portée par Norman Foster à l’évolution des environnements urbains et au dialogue qu’ils entretiennent avec chaque édifice. L’insertion d’un immeuble de bureaux moderne dans un cadre historique trouve d’ailleurs un précédent dans le Willis Building livré par son agence dans les années 1970 : sa façade en verre teinté reflète les bâtiments anciens d’un quartier d’Ipswich, tandis que sa forme ondulée fait écho au tracé irrégulier du terrain, lui-même déterminé par l’arrondi des rues médiévales. L’expérience se prolonge avec le siège européen de Bloomberg, qui inclut une arcade correspondant à une ancienne voie romaine.

Innovations techniques et écologiques

Objet architectural singulier mais néanmoins intégré à son environnement urbain, la tour du 30 St Mary Axe répond aussi à des préoccupations environnementales. Elle revendique d’ailleurs le titre de premier gratte-ciel écologique de Londres.

La structure de l’édifice est placée sur l’extérieur, avec une double paroi de verre dont les losanges épousent l’armature en acier. À l’image du plan libre adopté au Centre Pompidou, cet agencement permet d’éviter l’installation de colonnes porteuses au cœur du bâtiment, ce qui entraverait les circulations et les aménagements intérieurs. Au sein du 30 St Mary Axe, chaque étage forme une étoile dont les branches sont légèrement décalées par rapport à celles du niveau précédent. Se forment ainsi, entre les paliers, des espaces vides semblables à des spirales s’élevant vers le ciel, ce que reflète la paroi bicolore.

Combinés à l’absence de colonnes, à la façade entièrement vitrée et à son arrondi qui diminue le phénomène de réfraction, ces puits ondulés favorisent la circulation de l’air et de la lumière naturelle, donc les économies d’énergie. Cette architecture prolonge une réflexion entamée avec le projet théorique du Climatroffice dans les années 1970, et mise en œuvre avec la construction de la Commerzbank Tower dans les années 1990 : la structure de cette tour de bureaux devait, là aussi, réduire au minimum le recours à la ventilation et à l’éclairage artificiels.

Prolongements

Devenu l’une des constructions emblématiques de la City, le « Gherkin » a ouvert la voie à une nouvelle mode architecturale voyant se multiplier, dans les grandes métropoles, des tours aux formes déroutantes et aux hauteurs vertigineuses, qui redessinent le paysage urbain. Dans les années 2010, Londres voit ainsi sortir de terre des gratte-ciels évoquant tour à tour un éclat de verre (The Shard de Renzo Piano, inauguré en 2012), un talkie-walkie (20 Fenchurch Street, 2014), une râpe à fromage (122 Leadenhall Street, 2014), un scalpel (The Scalpel, 2018) ou un boomerang (One Blackfriars, 2018). Le 30 St Mary Axe présente aussi une certaine similitude formelle avec la Tour Agbar (désormais Tour Glòries), conçue à la même époque par l’architecte français Jean Nouvel et inaugurée à Barcelone en 2005.

Si le 30 St Mary Axe se révèle donc précurseur, il s’inscrit aussi dans la continuité du travail de Norman Foster par son implantation au cœur de la capitale britannique : une ville que l’architecte a, plus que toute autre, contribué à façonner, y concevant aussi bien des équipements culturels et sportifs, des lieux d’enseignement supérieur, des bâtiments civiques, des immeubles résidentiels, des infrastructures de transport, des espaces publics de circulation et de commerce, des boutiques haut de gamme et des tours de bureaux. À l’image du projet novateur du 30 St Mary Axe, les collaborations régulières avec de grands groupes financiers et entreprises multinationales offrent en effet à Norman Foster l’opportunité de concevoir des constructions à la hauteur de ses ambitions techniques et esthétiques : outre le siège européen du groupe financier Bloomberg, déjà mentionné, citons notamment ceux du groupe HSBC à Hong Kong (1986) et à Londres (2002), du conglomérat médiatique Hearst à New York (2006), de l’entreprise Apple en Californie (2018), de la banque SNB à Riyad (2020) et de la banque et du fonds d’investissement de l’émirat qatari à Lusail (prévu pour 2023).

Publié le 03/07/2023 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Exposition « Norman Foster » | Centre Pompidou, du 10 mai au 7 août 2023

« Figure majeure de l’architecture mondiale, souvent considéré comme un leader du courant dit « high tech », le Britannique Norman Foster a signé de nombreuses réalisations iconiques dans le monde.

Sur près de deux mille deux cents mètres carrés, l’exposition offre à voir un important cabinet de dessins, des carnets de travail, ainsi que de multiples maquettes et prototypes, permettant d’appréhender une centaine de projets, en architecture comme en design. Une sélection d’œuvres d’art moderne et contemporain rappelle à quel point elles ont été pour Norman Foster les marqueurs de périodes esthétiques déterminantes. »

Foster + Partners. Catalogue

Foster + Partners
Prestel, 2008

Le guide des 100 plus grands projets de Foster + Partners détaillés et documentés par des photos, des croquis et des plans, de 1960 à 2008, avec notamment une étude du 30 St Mary Axe, appelé alors le Swiss Re Building.

À la Bpi, niveau 3, 70″19″ FOST 2

La Tour et la Ville. Manuel de la grande hauteur

Eric Firley et Julie Gimbal
Parenthèses, 2011

S’appuyant sur 50 projets internationaux, les auteur·rices proposent une typologie de la tour en trois catégories – tours solitaires ou jumelles, ensembles de tours, cités verticales – où les grands classiques côtoient des marqueurs urbains ultra-contemporains.

Un examen comparatif de quelques grandes villes confronte plus en détail des expressions radicalement différentes de la verticalité, faisant la lumière sur les stratégies de planification urbaine existantes et à venir. Véritable guide, cet ouvrage se dote d’un vaste répertoire iconographique et constitue un outil de référence pour appréhender le sujet de la grande hauteur dans toute sa complexité. Les nombreuses tours construites par Norman Foster en font partie, notamment le 30 St Mary Axe, comparée dans son analogie formelle à sa contemporaine Torre Agbar par Jean Nouvel à Barcelone.

À la Bpi, niveau 3, 724-9 FIR

Gratte-ciel. 45 défis architecturaux de New York à Dubaï

John Hill
Alternatives, 2018

Présentation des projets, description des contraintes topographiques, choix des matériaux, données techniques, astuces de conception… le tout agrémenté d’anecdotes historiques, de portraits d’architectes et de promoteur·rices, sans oublier le rappel des polémiques liées à l’érection de ces géants de pierre, de verre et d’acier. Le Flatiron, le Chrysler Building, le One World Trade Center de New York, les Absolute Towers de Mississauga, la Torre Costanera de Santiago, le Shard et le Gherkin de Londres, l’Evolution Tower de Moscou, le Lotte World Tower de Séoul, le Shanghai World Financial Center, le Kingdom Center de Riyad ou encore le Burj Khalifa de Dubaï, tous ces gratte-ciel légendaires prennent la pose et dévoilent en plus de cent photographies et plans de coupe l’histoire de leur réalisation.

À la Bpi, niveau 3, 724-8 HIL

« “Norman Foster” Show in Paris Celebrates Architecture for the Powerful », par Christopher Hawthorne | Metropolis, 7 juin 2023

Le journaliste et critique d’architecture américain Christopher Hawthorne livre ici son point de vue sur l’exposition « Norman Foster » organisée au Centre Pompidou en 2023. Il revient en particulier sur le parcours de l’architecte et sur les projets conçus pour de riches philanthropes et de grandes entreprises, notamment le siège social d’Apple au cœur de la Silicon Valley. Cet article en anglais, dont le titre peut se traduire par « L’exposition “Norman Foster” à Paris célèbre l’architecture des puissants », est en accès libre sur le site de Metropolis, un magazine d’architecture et de design.

Rédiger un commentaire

Les champs signalés avec une étoile (*) sont obligatoires

Réagissez sur le sujet