Étudiées depuis l’Antiquité grecque, les figures géométriques sont désormais conçues en plusieurs dimensions et appliquées dans de nombreux domaines comme l’astronomie, l’art, la géophysique et les sciences de la vie. Balises vous présente une sélection de six objets mathématiques pour accompagner la rencontre « Le Gömböc, du concept à l’application ? », en avril 2023 à la Bpi.
La notion de figure géométrique apparaît au cours de l’Antiquité grecque. Dans les treize volumes des Éléments (vers -300), Euclide explique précisément ce qu’est une figure tracée, à savoir « un tout déterminé par l’intermédiaire de ses limites ». Sa définition prend pour exemples les solides comme les pyramides, les prismes mais aussi les points et les lignes droites. Ses travaux résonnent avec ceux de Platon, selon lesquels les figures sont des entités abstraites situées dans un univers qui leur est propre. Platon considère les objets mathématiques comme « universels, uns, identiques et immuables ». Aristote, de son côté, les conçoit comme des « objets sensibles qui peuvent être détruits, changer de taille, de qualité ou se déplacer dans l’espace. »
Au 9e siècle, les géomètres arabes poursuivent le travail des Grecs en appliquant cette notion d’espace à chaque objet géométrique. Désormais, ils peuvent être représentés en plusieurs dimensions avec une longueur, une largeur et une hauteur. Cette vision formalisée de l’espace, qui traite d’objets géométriques idéalisés, est l’héritage de la géométrie antique. Elle domine toute la géométrie occidentale, jusqu’à la fin du Moyen Âge.
Entre le 14e et le 16e siècle, la problématique de la représentation des objets dans l’espace prend une nouvelle dimension. Durant la Renaissance apparaît la notion de perspective, étudiée notamment par Filippo Brunelleschi, Albrecht Dürer et Léonard de Vinci. Ce sont aussi les débuts de la géométrie projective formalisée par le mathématicien Girard Desargues. Il reprend le plan euclidien et démontre qu’il est possible d’y ajouter dessus une infinité de points pour obtenir un plan de projection et un espace en trois dimensions. La notion de distance est abolie. Ses travaux sont poursuivis par le mathématicien Gaspard Monge, qui prouve dans son ouvrage Géométrie descriptive (1799), que des figures peuvent être représentées dans l’espace.
C’est principalement au cours du 19e siècle que sont réalisés des modèles physiques d’objets abstraits. Ils sont appelés modèles mathématiques et ont principalement une visée pédagogique et artistique. Ils reproduisent des formes géométriques difficilement représentables sur le papier. La sculptrice Barbara Hepworth et l’architecte Naum Gabo s’en inspirent dans leurs œuvres. En 1934, Man Ray utilise les objets mathématiques de l’Institut Henri Poincaré comme modèles pour une série de photos surréalistes. Il donne des noms shakespeariens aux objets et regroupe ces tableaux sous le titre des Équations shakespeariennes.
Un polyèdre est une figure géométrique à trois dimensions dont toutes les faces sont des polygones. Il est constitué de paires d’arêtes qui se rejoignent en des extrémités, appelées sommets. Les cubes, les prismes et les pyramides sont des exemples de polyèdres.
Son étude a permis de nombreuses avancées mathématiques et philosophiques, notamment grâce aux penseurs grecs. Dans son dernier dialogue, le Timée (vers -358), Platon explique qu’il existe cinq polyèdres convexes : le tétraèdre, l’octaèdre, le cube, l’icosaèdre et le dodécaèdre. Il les associe aux cinq éléments qui ont formé le monde : le feu, l’air, l’eau, la terre et l’univers. Euclide poursuit les travaux de théorisation des polyèdres engagés par Platon et en donne une première classification dans les Éléments (vers -300).
À la Renaissance, les polyèdres inspirent l’architecture des monuments religieux italiens comme la basilique Saint-Marc de Venise. Léonard de Vinci les dessine dans ses études sur les objets mathématiques et Albrecht Dürer en fait un élément de sa gravure Melencolia I (1514).
Au 17e siècle, Johannes Kepler reprend la classification d’Euclide et les travaux d’Archimède sur les polyèdres semi-réguliers et les complète en découvrant deux polyèdres étoilés réguliers. Un siècle plus tard, Louis Poinsot finalise cette classification en ajoutant deux autres figures de ce polyèdre : le grand icosaèdre et le grand dodécaèdre.
Claudi Alsina, Valerio Vassallo, Cédric Villani
RBA France, 2013
Cet ouvrage retrace l’histoire des polyèdres, de la préhistoire jusqu’aujourd’hui, en passant par la Grèce Antique. Il présente les grandes familles de polyèdres et donne un aperçu de leur variété dans la nature et dans les domaines artistiques comme la peinture, l’architecture, la sculpture et la joaillerie. Antoni Gaudí s’en est par exemple inspiré pour concevoir le système de proportions de la Sagrada Família. Le polyèdre a également servi dans le design d’emballage de produits comme le Tetra Pak® ou le Kleenex®.
À la Bpi, niveau 2, 51(02) MON 20
La sphère
Au 4e siècle avant notre ère, Platon s’intéresse à la figure de la sphère dans le Timée : « Elle est de toutes les figures la plus parfaite et la plus semblable à elle-même. » Son centre est équidistant de tous les points de la périphérie. Selon lui, le monde dispose d’une forme sphérique car il peut ainsi contenir la totalité des éléments et des créatures visibles. C’est pourquoi il comprend en lui toutes les figures existantes. Euclide s’inscrit dans cette lignée de pensée, en définissant la sphère comme « l’ensemble des points de l’espace à trois dimensions qui se trouvent à la même distance d’un point fixé ». Il s’agit de la forme la plus symétrique que peut prendre l’espace.
Pour les pythagoriciens, les sphères sont à la base de la cosmogonie. Leur théorie de « la musique des sphères» démontre qu’il existe plusieurs formes d’harmonies produites par les sphères. Avec son étude sur la géométrie sphérique, le mathématicien Ménélaüs d’Alexandrie poursuit au Ier siècle les travaux des penseurs grecs et permet des avancées en astronomie. Son théorème donne notamment naissance à la trigonométrie sphérique.
Au cours des 17e et 18e siècles, différents types de sphères sont étudiés comme la sphère élastique et la sphère dure. Les résultats de ces recherches auront un impact non négligeable sur la physique statistique et sur les lois de la mécanique classique.
Les mathématicien·nes du 20e siècle ont un attrait pour cet objet du fait de son absence de « trou », ce qui en fait la plus simple des surfaces fermées. L’Allemand Heinrich Liebmann est le premier, en 1899, à aboutir à une démonstration pour expliquer cet aspect. Heinz Hopf et Alexandre Alexandrov démontrent dans les années cinquante que la sphère est la seule surface complète qui ne traverse pas elle-même de courbure moyenne constante. Aujourd’hui, ces travaux permettent de comprendre de nombreux phénomènes physiques comme la formation d’un noyau atomique ou le fonctionnement des atomes de carbone.
Ce dossier très riche est consacré aux différents types de sphères qui ont été théorisés et conceptualisés de l’Antiquité grecque jusqu’au 20e siècle. Plusieurs articles reviennent sur les domaines d’application de cette figure, en mécanique classique, en physique statistique mais aussi en astronomie.
À la Bpi, niveau 2, 5(0) POU 10
Le cône
Les études sur les cônes remontent à la fin du 3e siècle avant notre ère, avec le Traité des sections coniques d’Apollonius de Perge. Il explique que les coniques sont « des sections d’un cône de révolution ». Trois sont définies : l’ellipse, la parabole et l’hyperbole. Le mathématicien en propose des définitions précises et une méthode de construction. Ses travaux sur les coniques le mènent à comprendre les propriétés des miroirs paraboliques. Il démontre que, sur ces miroirs, les rayons du soleil se réfléchissent pour converger en un point unique appelé le foyer.
Au 17e siècle, René Descartes est le premier mathématicien à élaborer les équations des coniques, apportant ainsi une nouvelle contribution théorique. Parallèlement, le géomètre Girard Desargues comprend la perspective des figures coniques en étudiant notamment le travail des artistes, des charpentiers et des tailleurs de pierre. Les éléments de sa démonstration sont une nouvelle avancée dans l’étude projective des coniques.
À partir de ces travaux, deux théories des coniques sont élaborées : analytique et géométrique. La première définit les cônes comme des courbes de second ordre et la deuxième explique qu’il s’agit de perspectives de cercles. Cette période voit aussi la naissance de l’Essai pour les coniques (1640) par Blaise Pascal. Il démontre qu’il est possible de déterminer une forme conique à partir de six points et non cinq.
Ce livre en cinq chapitres est un recueil des travaux sur les formes coniques. Les trois premiers chapitres présentent les différents travaux théoriques, notamment les études menées par les penseurs grecs et les ingénieurs militaires français au 17e siècle. Il s’attarde également sur trois coniques dont il donne les propriétés classiques. Les deux derniers chapitres s’intéressent aux théorèmes de Jean-Victor Poncelet et de Joseph Bertrand.
Cet ouvrage collectif présente les différents modèles mathématiques exposés à l’Institut Poincaré. Les auteur·rices reviennent sur l’usage et l’utilité des objets mathématiques dans des domaines scientifiques et artistiques. Un article est consacré aux coniques et aux mouvements des planètes.
À la Bpi, niveau 2, 513(091) OBJ
Le tore
Le tore peut se définir comme une figure géométrique fermée sur elle-même. Sa forme de tube courbé est construite par la rotation d’un cercle sur un autre cercle. C’est un solide de révolution, créé par la rotation d’une surface plane autour d’un axe situé dans le même plan. Le volume et l’aire d’un tore peuvent être trouvés à partir du théorème de Pappus-Guldin, édicté par Paul Guldin entre 1635 et 1641, et probablement déjà énoncé par Pappus d’Alexandrie au IVe siècle. Il peut être obtenu en courbant un carré de manière à joindre ses côtés opposés. Ce type de figure est qualifié de « tore carré plat ». Le tore étant un objet en deux dimensions, lorsqu’il est question de le dessiner en trois dimensions, les distances ne sont pas conservées.
En 2012, des chercheurs de l’université de Grenoble sont parvenus à créer un tore carré plat dont les distances tracées sont préservées. Ils ont repris les travaux effectués dans les années cinquante par Nicolaas Kuiper et de John Nash, qui ont démontré qu’il était possible de transformer un tore carré plat tout en gardant ses longueurs. Leur programme s’appuie également sur une technique employée par le mathématicien russe Mikhail Gromov en 1986, qui consiste à effectuer plusieurs déformations successives sur le tore. La figure obtenue dispose de longueurs ne se modifiant plus de façon visible.
La forme du tore est utilisée dans de nombreux domaines comme le nucléaire, pour la production d’énergie par fusion. Le plasma est par exemple contenu dans une chambre de forme torique. Les chambres à vide des accélérateurs de particules de type synchrotron ont également cette forme.
Présentation de la dernière découverte mathématique réalisée par les quatre chercheurs français sur la transformation en trois dimensions d’un tore carré plat en tore ordinaire.
Le fractale
L’histoire des fractales remonte aux premiers questionnements des géomètres grecs. Au IIIe siècle avant notre ère, Apollonius de Perge conceptualise un triangle curviligne composé de cercles de plus en plus petits, qui finissent par remplir totalement l’espace. D’autres travaux suivent au début du 20e siècle, notamment ceux de Helge von Koch et la figure du flocon, où une courbe au périmètre fini tient intégralement dans une surface infinie. À la même époque, des mathématiciens comme Wacław Sierpiński créent, grâce à des algorithmes empiriques, des formes fractales en deux, voire trois dimensions. C’est le cas de l’éponge de Menger, obtenue en ôtant d’un carré le carré central et en réitérant l’opération.
Le concept de fractale émerge véritablement dans les années 1950, grâce aux travaux du polytechnicien français Benoît Mandelbrot. En 1974, il invente ce néologisme à partir de la racine latine fractus, signifiant « brisé », « irrégulier ». Une fractale est définie comme un objet géométrique « infiniment morcelé ». Elle est dite auto-similaire, c’est-à-dire qu’il est possible de zoomer infiniment sur une partie et d’en retrouver toujours les détails.
La nature et l’art présentent un monde fractal facilement identifiable. Par exemple, la forme conique du chou romanesco est constituée d’une infinité de spirales qui s’enchassent les unes dans les autres. Dans son estampe La Grande Vague au large de Kanagawa (1831-1834), Katsushika Hokusai a aussi intégré différents aspects fractals de la nature. En 1940, Salvador Dali peint une mise en abîme de la mort de manière fractale dans son œuvre Le Visage de la guerre.
Essai qui traite des objets fractals et de leurs usages dans les domaines des sciences. Benoît Mandelbrot explique que les fractales peuvent servir à mesurer des « objets naturels » comme la Terre, la Lune, le ciel, l’atmosphère et l’océan. Il s’intéresse par exemple à la côte bretonne et expose les différentes méthodes pour en trouver la longueur. Ses démonstrations s’appuient sur des équations et différents modèles.
Ce hors-série de la revue Tangente consacre un dossier richement illustré aux penseurs et aux artistes qui ont utilisé les fractales comme objets d’étude et d’inspiration.
L’ouvrage retrace l’histoire des fractales, de leur découverte jusqu’à leur application. Il part de la remise en question de la géométrie euclidienne par le mathématicien Bernhard Riemann et s’achève sur les travaux de Benoît Mandelbrot.
Les auteurs rappellent que les fractales ont trouvé une application dans de nombreux domaines scientifiques comme l’astronomie, la cosmologie, la thermodynamique, les sciences de la vie, l’astrophysique et la géophysique.
À la Bpi, niveau 2, 574 CHA
Le gömböc
En 1995, le mathématicien russe Vladimir Igorevich Arnold se demande s’il est possible de fabriquer un corps homogène et convexe disposant à la fois d’un point d’équilibre stable et d’un point d’équilibre instable, c’est-à-dire appartenant à la classe des mono-monostatiques.
En 2006, le mathématicien Gábor Domokos et l’ingénieur Péter Várkonyi parviennent à créer un objet tridimensionnel sans creux et disposant d’une masse uniformément répartie, le faisant entrer dans la catégorie des objets mono-monostatiques. Ils le nomment « gömböc».
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