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Appartient au dossier : Dans la bulle de Posy Simmonds

Dans la bulle de Posy Simmonds #4 : les arts visuels

Dans ses bandes dessinées, Posy Simmonds détourne régulièrement tableaux et sculptures classiques, de l’Antiquité à l’impressionnisme en passant par la Renaissance ou le romantisme. En utilisant des clichés artistiques comme ressorts comiques et narratifs, elle invite à poser un nouveau regard sur les représentations du monde que ces œuvres proposent. Balises revient sur cet univers graphique pour accompagner l’exposition « Posy Simmonds, dessiner la littérature », qui se tient à la Bpi de novembre 2023 à avril 2024.

L’œuvre de Posy Simmonds est baignée de culture classique. Si l’artiste britannique cite et adapte régulièrement des écrivains des 19e et 20e siècles, elle parsème également ses chroniques et romans graphiques de références aux beaux-arts. Les impressionnistes occupent une place à part dans son univers, en particulier Édouard Manet et son Déjeuner sur l’herbe (1863) plusieurs fois reproduit, mais Posy Simmonds évoque aussi des œuvres célèbres de la Renaissance, voire des figures antiques, et disperse dans les intérieurs de ses protagonistes des objets et des motifs phares des arts décoratifs – de la toile de Jouy au fauteuil Le Corbusier.

Ce dessin intitulé "Déjeuner sur le sable" représente quatre groupes étendus sur une plage, en maillot de bain. Au premier plan, reprenant les postures du "Déjeuner sur l'herbe" de Manet, se trouve un groupe de trois personnes. Un homme et une femme, assis sur une serviette, font face à un autre homme, semi-allongé, en train de leur lire "A la recherche du temps perdu" de Proust. A côté d'eux, du vin et des pizzas entamées. Les autres groupes les regardent.
Posy Simmonds, Literary Life (2014) © Denoël Graphic

Un attribut des personnages

Les références aux arts plastiques permettent à Posy Simmonds de caractériser ses personnages en un tour de main. Tamara Drewe, lorsqu’elle apparaît pour la première fois dans le roman graphique de 2008, est ainsi représentée en contrapposto, pastiche d’une Vénus classique permettant immédiatement de saisir les sentiments qu’elle inspire à son entourage. La Naissance de Vénus de Sandro Botticelli (1483-85) est plus spécifiquement convoquée dans Gemma Bovery (1999) : au fur et à mesure que son régime lui donne confiance en elle, l’héroïne britannique prend les traits de la déesse représentée par le peintre italien, dans un strip intitulé malicieusement « La renaissance de Vénus ». L’intérieur de Cassandra Darke, personnage éponyme du livre de 2020, révèle de son côté sa connaissance des arts, son statut social et sa fortune passée : on y aperçoit en effet un fauteuil Le Corbusier, une statuette de Giacometti, une lampe Gregotti, des vases Ming, des tableaux cubistes…

Ces portraits des protagonistes au prisme des arts passent parfois par la citation directe plutôt que par la reproduction ou le pastiche. Joubert décrit ainsi Gemma Bovery paralysée par la manière dont les représentations picturales de la Normandie recouvrent sa propre inspiration : « La Normandie est le grand atelier du dix-neuvième siècle. Comment ne pas penser à ces géants de la peinture – Millet, Monet, etc. ? Comment ne pas se sentir inhibé, ne pas envisager ses efforts comme des tentatives misérables ? Ainsi le jour où elle se décrit assise au bord d’un champ moissonné, c’est peut-être l’idée des Meules de Monet qui a figé sa main. » La nièce de Cassandra, Nicki, est quant à elle comparée aux « représentations de la Mélancolie à la Renaissance… Dürer ou cette gravure sur bois de Virgil Solis dit l’Ancien ». 

Même quand Posy Simmonds ne renvoie pas à une œuvre spécifique, elle joue grâce à son crayonné avec les clichés artistiques et sociaux, donnant forme, le plus souvent, aux rêveries de ses personnages. On trouve ainsi, dans Gemma Bovery, des allégories de la Maternité prenant les traits de l’héroïne (portant un bébé, drapée d’une toge, sous une branche bourgeonnante) ; et la France est représentée par un homme sur une bicyclette, un béret sur la tête, un enfant et une baguette sur le porte-bagages, entouré du Déjeuner sur l’herbe de Manet, d’oies, de terrines et de saucisson. Plus loin, le fantasme de Joubert, qui imagine Gemma retrouvant Hervé, prend la forme d’un médaillon gravé de Madame Bovary embrassant Rodolphe. Les ornements classiques ou baroques scandent quant à eux les pages et donnent un ton à l’instant.

Un ressort narratif

Les beaux-arts rythment parfois les récits de Posy Simmonds au point de provoquer des péripéties. Il en est ainsi, dans Gemma Bovery (1999), du petit Cupidon et Psyché, statuette en porcelaine de Madame Bressigny cassée par Gemma et Hervé durant leurs ébats : sa réparation – ou non – par Charlie, le mari de Gemma, provoque d’importants revirements dans la relation de ces deux derniers.

L’art est parfois un ressort narratif plus littéral, comme dans le livre pour enfants Lulu et les Bébés volants (1988). Lulu est une petite fille qui passe, contre sa volonté, un moment au musée. Là, elle rencontre deux chérubins avec qui elle voyage de tableau en tableau. L’esthétique et les motifs de la peinture flamande ou encore du Douanier Rousseau, imités par Posy Simmonds, deviennent alors le prétexte de rires et d’aventures pour les trois jeunes personnages.

Le roman graphique Cassandra Darke, quant à lui, se déroule intégralement dans le monde des arts plastiques. Cassandra Darke est une marchande d’art misanthrope, autrice de malversations financières qui lui ont coûté une partie de sa fortune. Sa nièce Nicki, qu’elle se voit obligée d’héberger dans son sous-sol, organise des happenings devant des œuvres classiques pour dénoncer la culture du viol et plus largement le système hétéro-patriarcal exposé dans ces images. Nicki cite ainsi des tableaux évoquant des enlèvements et des viols : « les SabinesDaphnéLédaTarquin violant LucrèceAchille et PolyxèneEurope et le Taureau… […] Susanne et les Vieillards – Guido Reni ». Comme elle l’explique : « Plus l’artiste est célèbre, mieux c’est… Rubens… Véronèse… Le Tintoret… » Elle cite également des lieux d’exposition : la National Gallery, le Louvre, la Wallace Collection… Ce contexte artistique est déterminant pour l’ensemble des aventures que vivent les deux femmes.

Posy Simmonds, Cassandra Darke (2020) © Denoël Graphic

Une relecture contemporaine ?

Dans les citations artistiques proposées par Posy Simmonds, l’humour est omniprésent : en confrontant le beau et le trivial, le mythologique et le quotidien, le passé et le présent, l’artiste britannique fait de l’art un ressort comique de ses histoires. Ces détournements, aussi respectueux que malicieux, offrent aux lecteur·rices le plaisir référentiel d’une lecture à plusieurs niveaux, et permettent de prendre de la distance par rapport à certaines représentations classiques. En les détournant en satire, Posy Simmonds invite notamment les lecteur·rices à renouveler le regard porté sur les représentations des femmes dans une certaine partie de l’histoire de l’art.

L’écrivaine et dessinatrice convoque principalement les artistes occidentaux les plus reconnus de l’Antiquité jusqu’au début du 20e siècle, présents dans les collections des plus grands musées européens et étasuniens. Elle s’aventure peu à aborder un art extra-occidental ou underground, ou à questionner les enjeux esthétiques de l’art moderne et contemporain, si ce n’est ponctuellement au travers des arts décoratifs, ou par le biais du personnage de Nicki dans Cassandra Darke.

À travers cette dernière, comme dans l’ensemble des références artistiques qu’elle convoque, Posy Simmonds souligne en outre les normes hétéro-patriarcales et l’implacable stratification sociale desquelles ses personnages peinent à s’extraire. Pour autant, observatrice plutôt que militante, elle ne propose à ses protagonistes aucune échappatoire, n’explorant ni dans ses récits ni dans ses dessins de contre-modèle à des schémas narratifs et esthétiques classiques, dont elle se moque avec tendresse.

Publié le 27/11/2023 - CC BY-SA 4.0

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