Se doter d’un droit international permettant de sanctionner les crimes les plus graves contre l’environnement : c’est la reconnaissance légale de l’écocide, autrement dit du crime commis contre notre maison commune, le système Terre. À l’occasion du forum « Environnement, que faire pour demain ? », Balises a interrogé Valérie Cabanes, juriste et militante écologiste, déterminée à faire avancer cette cause.
Comment en êtes-vous venue à défendre la cause environnementale ?
J’ai d’abord passé dix-huit ans à diriger des programmes de solidarité internationale entre 1990 et 2008. Je me suis formée au droit humanitaire et au droit international des droits de l’homme. J’ai à cette époque rédigé un mémoire sur les droits des peuples autochtones et en tant que juriste internationale, je m’intéressais particulièrement aux questions liées à la souveraineté et au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Quelques années plus tard, j’ai voulu approfondir ce sujet, j’ai ainsi démarré une thèse de doctorat en Anthropologie juridique en 2006 et je suis régulièrement partie chez les Innus, un peuple amérindien du nord du Québec confronté à la construction d’un grand barrage sur une de leurs rivières ancestrales. Pendant les années qui ont suivi, j’ai pu assister aux négociations, aux malversations, aux mensonges et surtout à l’impunité dans laquelle œuvrait la compagnie soutenue par l’État. C’est ensuite que j’ai commencé à m’intéresser au concept d’écocide, élaboré par l’avocate écossaise Polly Higgins (1968-2019).
En janvier 2013, j’ai représenté la France pour lancer ce plaidoyer sur l’écocide au travers d’une initiative citoyenne européenne, sans financement ni appui politique. Pour accompagner ce plaidoyer, j’ai cependant pu tisser un réseau important avec des ONG, ainsi qu’avec la députée écologiste Marie Toussaint qui porte cette idée d’écocide au Parlement européen.
J’ai également porté cette revendication devant la Convention citoyenne pour le climat, qui l’a elle-même reprise dans ses résolutions finales. À la demande des citoyens, je suis aussi intervenue devant la Convention pour présenter une proposition d’amendement de l’Article 1 de la Constitution engageant la République à garantir la préservation de la diversité biologique et lutter contre les changements climatiques. Parallèlement à cela, j’ai fait une proposition d’amendement du statut de la Cour pénale internationale pour faire reconnaître le crime d’écocide, au même titre que les crimes de guerre ou de génocide. À la demande de parlementaires suédois, en 2020, la fondation Stop ecocide a décidé de convier un panel de juristes venus du monde entier pour rédiger une définition légale solide et efficace de ce crime.
Où en est le combat pour la reconnaissance du crime d’écocide à ce jour ?
En décembre 2019, deux États, à savoir le Vanuatu et les Maldives ont demandé à ce que soit reconnu le crime d’écocide. Ce fut le premier virage diplomatique visible. En juillet 2020, à la demande d’un député belge, Samuel Cogolati, une feuille de route est dressée pour les quatre prochaines années, incluant deux aspects : soutenir la reconnaissance du crime d’écocide au niveau international et rédiger une loi nationale. La Ministre des Affaires étrangères belge a également annoncé son soutien au projet.
Avec les douze autres juristes, nous avons rédigé une proposition de définition du crime d’écocide publiée le 22 juin 2021 et fortement médiatisée à travers le monde. Elle s’appuie sur des jurisprudences déjà établies de manière à éviter les discussions sur la légitimité juridique des termes employés. La députée Marie Toussaint a créé une alliance inter-parlementaire. Chacun tente de recourir à son propre réseau pour faire avancer les choses. Il nous faudrait un accord de quinze à vingt États pour défendre cette cause en assemblée générale et qu’un vote soit mis à l’agenda. Nous espérons que ce sera le cas en décembre 2022. Après ce vote, il faudra ouvrir les négociations et cela peut prendre plusieurs années avant d’avoir un accord des deux-tiers des États-parties.
Restez-vous optimiste sur l’aboutissement de votre projet ?
En constatant une prise de conscience globale sur les questions liées à l’environnement, nous pouvons être optimistes. Chaque année, le rapport du GIEC est de plus en plus alarmant mais des États comme la France restent frileux pour agir. Dans le projet de loi Climat et résilience, il y a une dissonance cognitive dans le fait de bien vouloir reconnaître un « délit » et non un « crime » d’écocide.
Néanmoins, les lignes bougent : une proposition de loi est à l’étude en Grande-Bretagne, en Irlande, en Espagne, en Suède etc. Avec cette prise de conscience internationale, les pièces du puzzle commencent à s’assembler. Le fait de faire reconnaître le crime d’écocide par la Cour pénale internationale est presque plus simple car elle est moins soumise au véto et aux diktats des pays les plus puissants. À l’inverse, le Pacte mondial pour l’environnement avait échoué en raison du principe de souveraineté nationale. Passer par la Cour pénale internationale s’avère donc être la meilleure des stratégies.
Quels sont les principaux obstacles à la reconnaissance du crime d’écocide ?
La puissance des lobbies et des industriels constitue un des principaux obstacles, surtout dans les pays riches. Par exemple, le détricotage de la loi Climat et résilience a été le fruit de la pression des industriels au ministère des finances à la fin de l’année 2020.
Cependant, nous assistons à un changement de comportement des entreprises, car les résistances sont les plus grandes dans les multinationales. Les entrepreneurs ont le désir de s’investir dans la transition énergétique. Pour ce faire, ils me disent avoir besoin d’un cadre juridique, comme d’une boussole pour agir. Le gouvernement quant à lui est frileux sur la question de la liberté d’entreprendre, il craint que cela ne perturbe la croissance. Certains PDG me disent que si le crime d’écocide était reconnu et qu’ils devaient endosser une responsabilité pénale, ils auraient un outil indiscutable pour s’opposer aux actionnaires, qui seraient alors bloqués dans leurs exigences destructrices.
Les auteurs proposent l’écriture de la déclaration universelle des droits de la Terre Mère, notamment à travers de la reconnaissance du crime d’écocide.
La juriste milite pour une reconnaissance des droits de l’environnement. Il s’agit de repenser la démocratie en incluant la nature dans son droit à exister et se régénérer. Cette démarche exige notamment de remettre en question notre rapport à la propriété et de limiter la souveraineté des États.
À la Bpi, niveau 3, 341.68 CAB
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