Questions/Réponses

Quelles sont les principales œuvres littéraires abordant la honte ?

Un utilisateur d’Eurêkoi, service de réponses et recommandations à distance assuré par des bibliothécaires, s’intéresse au sentiment de honte et la façon dont il est traité dans la littérature. Les bibliothécaires de la Bpi lui proposent quelques exemples.

Femme cachant son visage dans ses mains
Gerd Altmann [CC] via Pixabay

Dans les Sources de la honte (Seuil, 1996), Vincent de Gaulejac distingue différentes formes de honte :

  • la honte corporelle qui se rapporte au fait d’être sale, mal habillé, d’avoir un handicap ;
  • la honte sexuelle relative au dévoilement de l’intimité, à l’état d’impuissance et d’insatisfaction ;
  • la honte psychique qui concerne la perte de l’estime de soi. Elle marque une expérience d’effondrement intérieur, lorsque le moi n’est plus digne face aux exigences de son idéal ;
  • la honte morale éprouvée lorsqu’un sujet est pris en flagrant délit de mensonge, d’hypocrisie, de vantardise et renvoie à l’intériorisation des normes sociales ;
  • la honte sociale qui apparaît lorsqu’un sujet est stigmatisé à cause de son identité, de sa race, de sa religion, de sa situation sociale et culturelle ;
  • la honte ontologique qui marque les situations dans lesquelles le sujet est confronté à l’inhumain comme spectateur, acteur ou victime.

Mais comment cette émotion si polymorphe et complexe est-elle traitée en littérature ?

La honte dans l’œuvre d’Annie Ernaux

La honte est une émotion qui traverse une grande partie de l’œuvre d’Annie Ernaux. C’est le cas au sein de son roman intitulé La Honte, paru chez Gallimard en 2012 (revenant sur la tentative de meurtre de la mère d’Annie Ernaux par son père), par exemple, mais aussi dans L’Événement, publié en 2000 (sur un avortement) ou dans La Place, en 1984 (évoquant le parcours de transfuge de classe – pour utiliser un terme récemment apparu – de l’autrice).

Barbara Havercroft, dans Dire l’indicible : trauma et honte chez Annie Ernaux, Roman 20-50, (n° 40), 2005, étudie les stratégies qu’a mises en place l’autrice de La Honte, pour « dire ce qui, paradoxalement, ne se laisse pas dire ».

À propos de L’Événement, l’autrice déclare :

L’événement que je raconte ici est un avortement – à l’époque forcément clandestin – qui a eu lieu en janvier 1964. Ce souvenir-là ne m’a jamais quittée. […] Cela dit, on peut très bien l’occulter par la suite, ce qui a été mon cas. Ce type d’événement féminin par excellence, qui concerne la vie, comme l’accouchement, est d’ailleurs de nouveau occulté, comme si le discours médical empêchait les femmes de se penser et de se dire.

Rencontre avec Annie Ernaux, à l’occasion de la parution de L’Événement en mars 2000 par les Éditions Gallimard.fr

Dans cette vidéo issue des collections de l’INA (Institut national de l’audiovisuel), Annie Ernaux présente son livre La Place consacré au personnage de son père. Avec les interventions de Georges Emmanuel Clancier et d’Alain Bosquet à propos du style d’Annie Ernaux.

La honte dans l’œuvre de Marguerite Duras

L’Amant et Un Barrage contre le Pacifique de Marguerite Duras constituent un récit sur la désillusion des années passées par l’autrice en Indochine, évoquant de manière assez directe la honte éprouvée à l’égard de sa famille, notamment de sa mère.

En 1984, Marguerite Duras confiait à Bernard Pivot, dans l’émission télévisée Apostrophe, les sentiments contrastés que lui inspirait cette mère originale, veuve d’un fonctionnaire dans l’Indochine coloniale des années trente : « le paradis d’une mère qui était tout à la fois le malheur, l’amour, l’injustice, l’horreur, et qui, à cause de ses vêtements pauvres et ridicules me faisait souvent honte. »

La honte en temps de guerre

La honte ressentie lors des épreuves traversées par certains écrivains durant la seconde guerre mondiale forme également un riche corpus de textes :

Si c’est un homme
Primo Lévi, Robert Laffont, 2017.
Lire le résumé de Philippe Claudel, sur France Culture.
À la Bpi, niveau 3, 850″19″ LEVI.P 4 SE

Le Temps des prodiges
Aharon Appelfeld, Points, 2004.

« Depuis quelque temps, mon père et ma mère ont un comportement étrange… Pourquoi prononcer avec autant de honte et de fierté mélangées le mot « juif » ? Pourquoi mon père, écrivain autrichien renommé, est-il soudain qualifié de parasite ? Imperceptiblement, mais sûrement, le monde est en train de changer… »

La honte des origines sociales

La honte des origines sociales a fait l’objet de très beaux textes comme :

La Bâtarde
Violette Leduc, Gallimard, 1996.
Récit autobiographique d’une jeune-fille homosexuelle.
À la Bpi, niveau 3, 840″19″ LEDU 4 BA

« Une femme descend au plus secret de soi et elle se raconte avec une sincérité intrépide, comme s’il n’y avait personne pour l’écouter. » 

Simone de Beauvoir, préface à La Bâtarde

Retour à Reims
Didier Eribon, Fayard, 2009.
À la Bpi, niveau 2, 300.6 ERI

« De retour à Reims, sa ville natale, Didier Eribon se replonge dans son enfance et son adolescence, se redécouvre fils d’ouvrier alors qu’il s’était toujours envisagé comme un enfant gay, et reconstitue le milieu ouvrier dans lequel il a grandi. Il analyse son parcours et le rôle qu’a joué son homosexualité, élaborant une théorie du sujet qui permet de penser la multiplicité de nos expériences. »

Ou encore L’Histoire de Bone et Retour à Cayro de Dorothy Allison…

La honte du désir sexuel

Confession d’un masque
Yukio Mishima, Paris, Gallimard, 1983.
Kochan, un jeune garçon lutte contre ses pulsions homosexuelles dans le Japon conformiste des années trente et quarante. Lire le résumé détaillé sur gallimard.fr.À la Bpi, niveau 3, 895.6 MISH 4 KA

Pour aller plus loin…

« La Honte ; réflexions sur la littérature » de Jean-Pierre Martin, émission Deux minutes papillon, France Culture, par Géraldine Mosna-Savoye, le 20 février 2017.

« (…) la liste est longue, au point que l’on en vient à se demander si la honte ne serait pas en fait le ressort même de la littérature, ce qui prend corps dans un seul individu pour être exposé à tous, le ressort ou peut-être la solution même : puisque l’écriture, pour le coup, s’exhibe volontairement et a de quoi mettre un point final à la honte d’être ce que l’on est. »

Eurêkoi – Bibliothèque publique d’information

Publié le 15/11/2021 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

La Honte est un sentiment révolutionnaire

Frédéric Gros
Albin Michel, 2021

La honte n’est pas qu’un sentiment de repli ou de tristesse. La honte témoigne de notre responsabilité dans les injustices de ce monde qu’il nous appartient de changer. En cela la honte est révolutionnaire. Frédéric Gros explore les différentes formes de cet « affect majeur de notre temps »

Céder n'est pas consentir

Clotilde Leguil
PUF, 2021

Un essai sur la limite trouble entre consentement et laisser-faire.

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