Portrait

René Passet, une conception originale de l’économie

Économie et droit

René Passet à la Bpi, en 2012

Économiste ? Appliqué à René Passet, ce terme d’économiste semble étriqué, réducteur…
Certes, René Passet est agrégé d’économie ; certes, il a enseigné l’économie au cours d’une longue carrière à l’Université (Rabat, Bordeaux, puis Paris) et il est aujourd’hui, professeur émérite d’économie à l’Université de Paris 1 – Sorbonne. Mais sa réflexion sur l’économie dépasse largement cette discipline. En la resituant dans l’histoire de l’humanité et l’évolution de la connaissance, en l’inscrivant dans la nécessité d’un humanisme tissé de valeurs morales, René Passet met constamment en question l’économie.

Son portrait en trois qualificatifs : transdisciplinairehétérodoxeengagé.

Transdisciplinaire

Né en 1926 à Bègles (Gironde), René Passet suit une formation classique en économie à l’Université de Bordeaux, obtient l’agrégation en 1958 et se spécialise en économie du développement.
Cette spécialité le conduit à s’intéresser, dès les années 1970, à la gestion des ressources naturelles, donc à l’environnement. Et c’est une science totalement novatrice à l’époque qu’il contribue alors à introduire, à développer et à transmettre : la bioéconomie.

La bioéconomie prend en compte les interactions entre les mécanismes humains et la géochimie de notre planète. Le vivant et son environnement terrestre sont appréhendés comme une unité : la biosphère. Incluses dans cette biosphère, les organisations économiques doivent en respecter les lois et les mécanismes régulateurs Il s’agit donc de penser les conditions d’insertion de l’économie dans les activités sociales, elles-mêmes devant s’insérer dans un système englobant qui est celui de la biosphère.
A lire : « L’avenir est à la bio-économie », article de René Passet dans Libération (23 mai 2011)

Parce qu’il analyse les des réalités économiques comme intégrées dans la biosphère, René Passet ressent, dès la fin des années 1960, la nécessité d’alimenter la science économique au contact d’autres savoirs. Il se rapproche alors de chercheurs spécialisés dans tous les domaines liés à cette problématique que l’on baptisera bien plus tard « développement durable » et devient l’un des pionniers de l’approche transdisciplinaire.
Le Groupe des Dix, qu’il rejoint dès sa création en 1969, lui donne l’occasion de mettre en pratique la transdisciplinarité. Pendant dix ans, il y travaille  avec des scientifiques (biologistes, physiciens, neurologistes, informaticiens, etc.) mais aussi avec des philosophes, de sociologues, des anthropologues, des spécialistes de la pensée et du comportement.

Dans cette vidéo proposée par le Collégium International, René Passet présente le Collégium International et les avantages du travail coopératif et transdisciplinaire.

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Hétérodoxe

« Hétérodoxe »  est un qualificatif souvent appliqué à René Passet, et il ne le rejette pas.
Il se démarque en effet totalement de la compréhension dominante de l’économie – et ce dans les deux sens du mot « économie », qui désigne à la fois à la fois la réalité économique et la discipline qui l’étudie.

Une approche originale  de la réalité économique

L’économie est encore couramment définie de nos jours  comme activité de transformation du monde finalisée par la satisfaction des besoins humains. Pour René Passet, cette définition ne correspond plus à la réalité actuelle. Elle valait fin 18e / début 19e  siècle, lorsque  se sont constituées les  grandes théories économiques – celles de François Quesnay, de Stuart Mill, d’Adam Smith, de Karl Marx… A cette époque, pour l’immense majorité de la population, les besoins fondamentaux (alimentation, santé) étaient à peine couverts. L’amélioration de la condition humaine passait par l’accroissement quantitatif des productions, « le plus était aussi le mieux », le problème principal étant donc de produire le plus, possible au coût le plus bas possible. Dans cette logique, la concurrence, le profit et le marché jouaient comme moteurs et régulateurs de l’économie.
Aujourd’hui, la situation n’est plus la même : à l’échelle mondiale, la production couvre largement de quoi satisfaire les besoins fondamentaux de l’humanité tout entière. Pourtant, la pauvreté extrême existe toujours, les inégalités ne cessent de s’accroître : le problème ne tient plus tant à la quantité de richesses qu’à leur répartition et à la possibilité d’assurer leur pérennité aux générations futures. De plus, la surproduction de biens matériels épuise les ressources naturelles et dégrade notre planète. Enfin, les technologies de l’information ont fait entrer les sociétés modernes dans une nouvelle ère, celle de l’immatériel et des réseaux. 
Plus qu’aux questions matérielles de l’avoir, ces sociétés  (qui consacrent une part importante de leurs dépenses à la connaissance, à la culture et aux loisirs) sont désormais préoccupées par des questions touchant à l’être, c’est-à-dire à la qualité de la vie, à son développement dans un milieu naturel fini, à sa finalité. Par conséquent, les éléments primordiaux pour le développement économique sont constitués désormais par des activités immatérielles, qui s’adressent à des besoins illimités, et non plus à des activités et besoins matériels, saturables. René Passet était venu expliquer la notion d’« économie immatérielle », à la Bpi, le 14 janvier 2013, dans le Cycle « Mots d’économie ».

Une remise en question de la science économique

Pour René Passet, la science économique actuelle est en retard sur cette évolution. Les économistes orthodoxes, encore majoritaires, ont une vision néo-libérale des réalités économiques. Ils réduisent les réalités sociales à l’individu et au comportement qu’il adopte pour satisfaire ses besoins, créant la fiction d’un « homo economicus » rationnel. Procédant par modélisation mathématique, l’économie se donne comme une discipline objective et indépendante, appliquant ses lois propres aux objets qu’elle étudie.

Pour René Passet, l’économie dominante reflète une conception datée, issue de Newton : celle d’un monde fonctionnant comme une mécanique horlogère, que la science aurait a pour charge de démonter afin de mettre à jour ses relations de causalité. Or, les découvertes scientifiques ont fait évoluer la nature même de la science, et l’économie ne peut échapper à cette évolution. Après la mécanique de Newton, les lois de Carnot ont jeté les bases de la thermodynamique, puis la physique quantique a révélé des processus échappant aux lois du déterminisme et de la causalité : le hasard, l’incertitude, l’imprévisible. Enfin, la logique du vivant, qu’il s’agisse de l’homme en société ou de la nature, échappe également aux causalités auxquelles se borne l’économie dominante : production, croissance, accumulation du capital, etc.

Le compte rendu de l’intervention de René Passet au Congrès de Locarno du CIRET (Centre interdisciplinaire de recherche et d’étude) en 1997 : « Le développement durable : de la transdisciplinarité à la responsabilité »,  résume l’essentiel de sa théorie.

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Engagé

René Passet est aussi un homme engagé, qui dénonce l’ordre économique actuel dominé par l’idéologie néo-libérale. Celle-ci se centre sur la gestion optimale des biens matériels alors qu’il faut substituer à une économie de l’avoir une économie de l’être, prenant en compte l’éthique, la solidarité, le souci d’autrui et des générations futures. René Passet prône une nouvelle rationalité, fondée non sur la finalité humaine, une démarche guidée sur la priorité donnée aux valeurs de l’homme et de la vie.
Et pour défendre cette voie, il participe à des mouvements revendicatifs ou militants. Ainsi, contre la mondialisation du capitalisme financier et ses conséquences sur les peuples, il participe à la création d’ATTAC, dont il sera le premier président du conseil scientifique.

René Passet se livrait dans  l’émission de Daniel Mermet sur France inter, « Là-bas si j’y suis », en 2003. Vous retouverez la retranscription de cet entretien sur www.sociotoile.net

Ses prises de position

capture de Dailymotion

René Passet a milité pour le « non » au referendum sur le traité constitutionnel européen du 29 mai 2005. Il s’en expliquait en juin 2005 au micro de France Culture, à écouter ici.
René Passet reproche la vision à court terme des hommes politiques et cherche à faire évoluer les mentalités. En 2002, il rejoint le Collegium international dont le but est de  » trouver des réponses intelligentes et appropriées aux attentes des peuples du monde face aux nouveaux défis de notre temps « . Les membres du Collegium sont des scientifiques, des philosophes et des personnalités politiques internationales.
Plus récemment, il a  adhéré au collectif « Roosevelt 2012 » appelant des réformes pour un nouveau pacte social destiné à lutter contre le néo-libéralisme.

Les mouvements qu’il a rejoints

Le groupe des Dix
Créé en 1966 et composé de personnalités françaises (entre autres, Henri Atlan, Jacques Attali, Jean-François Boissel, Robert Buron, Joël de Rosnay, Henri Laborit, André Leroi-Gourhan, Edgar Morin, René Passet, Michel Rocard, Jacques Robin, Jacques Sauvan, Michel Serres…) qui siégeaient régulièrement entre 1969 et 1976 pour débattre de l’apport des connaissances scientifiques dans le domaine politique. Le travail au sein du groupe a tissé des liens forts entre les membres mais aussi avec certains invités, qui se sont ensuite retrouvés dans d’autres groupements : le CESTA (Centre d’Études des Systèmes et Technologies Avancées), le GRIT (Groupe de Réflexion Interdisciplinaire et Transdisciplinaire), le Collegium international éthique, politique et scientifique…A lire :Le Groupe des Dix ou les avatars des rapports entre science et politique, Brigitte Chamak, Editions du Rocher, Monaco, 1997 A la Bpi, niveau 2, 5.3 CHA

Le Collegium international
Depuis 2002, il tente de façonner des grandes lignes directrices pour orienter des actions plus concrètes, avec pour exigence l’intégrité éthique et la viabilité politique. Pour atteindre ce but, le Collegium s’appuie sur la diversité de ses membres, leur sagesse politique et leurs connaissances scientifiques, ainsi que leur expérience et intégrité. René Passet fait partie des membres fondateurs.

Attac
Fondée en 1998, Attac (Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne) promeut et mène des actions en vue de la reconquête par les citoyens, du pouvoir que la sphère financière exerce sur tous les aspects de la vie politique, économique, sociale et culturelle et ce, dans l’ensemble du monde. René Passet fut le premier président du conseil scientifique d’ATTAC.

Roosvelt 2012
Le Collectif Roosevelt est un mouvement citoyen français fondé par des personnalités telles que Stéphane Hessel, Edgar Morin, Cynthia Fleury, Michel Rocard…, structuré autour d’une association loi de 1901 et de groupes locaux. Il s’inspire de l’action de Roosvelt en 1933 qui pour lutter contre la crise, il fait votre 15 réformes en 3 mois. Le collectif vise à provoquer un sursaut citoyen, « une insurrection des conscience qui puisse engendrer une politique à la hauteur des exigences » (Stéphane Hessel, Edgar Morin, Le chemin de l’espérance) en informant et en appelant à signer les 15 propositions découlant de leurs réflexions.

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Publié le 18/02/2013 - CC BY-SA 4.0

Sélection de références

la couverture

Éloge du mondialisme par un «anti» présumé

René Passet
Fayard, 2001

Ce livre décrit et dénonce vigoureusement les mécanismes et les objectifs de la «mondialisation prédatrice», qui offre le monde à la «rapacité de la finance». Il met en évidence ses conséquences catastrophiques pour les hommes et les femmes de la planète. Il expose aussi les principes d’un vrai mondialisme qui mettrait la mondialisation «au service de la communauté humaine», et pose les critères d’une autre rationalité fondée sur les impératifs de cette finalité. C’est évidemment de ce mondialisme-là que l’auteur entend faire l’éloge, et c’est celui qu’il revendique sans ambiguïté.

La Bioéconomie de la dernière chance

René Passet
Les liens qui libèrent, 2013

Un ouvrage majeur sur la bioéconomie qui dit l’urgence de repenser notre modèle de société et de réintégrer l’économie dans des ensembles plus vastes, ceux de l’homme et de la biosphère.

couverture de l'ouvrage

L’Economique et le vivant

René Passet
Payot, 1979

Au sujet de la transdiciplinarité, sur la bioéconomie.
Un des premiers livres faisant entrer l’écologie dans le champ de l’économie et de la politique. Il fut couronné par l’Académie des sciences morales et politiques.
A la Bpi, niveau 3, 330 PAS

la couverture

Les Grandes Représentations du monde et de l'économie à travers l'histoire : de l'univers magique au tourbillon créateur

René Passet
Les Liens qui Libèrent, 2010

L’auteur replace l’histoire des théories économiques, depuis la Grèce antique jusqu’à nos jours, dans le mouvement des mutations de la pensée. Il interprète l’économie actuelle à la lumière des mutations techniques (émergence de l’immatériel), scientifiques (théorie du chaos, sciences cognitives), politiques et environnementales, montrant que toute théorie est liée à un système de représentations.
A  la Bpi, niveau 2, 330.8(091) PAS

couverture de l'ouvrage

L'illusion néolibérale

René Passet
Fayard, 2000

Alors qu’un nouveau type d’économie se met en place, les responsables politiques continuent à croire en l’irréversibilité et en l’universalité d’un seul système : le système libéral. Cet essai analyse cette mutation, ses ramifications économiques, sociales, environnementales et humaines et leurs conséquences. Il montre aussi qu’un autre système est possible.
A la Bpi, niveau 2, 338 PAS

René Passet en conférence
René Passet à la Bpi, en 2012

Conférence "L'économie immatérielle", cycle "Mots d'économie", janvier 2013

Conçu avec René Passet, le cycle « Mots d’économie » invitait chaque mois un économiste à décortiquer des mots, des concepts et les mettre en relation avec les grandes théories économiques. René Passet en présentait le premier volet sur « l’économie immatérielle ».
D’abord dominée par des logiques mécaniste puis énergétique, l’économie est à présent soumise à des forces motrices qui se situent dans le champ de l’immatériel. Doit-on alors parler de crise – d’un problème à régler pour rétablir une normalité momentanément rompue – ou d’une mutation, c’est-à-dire d’une nouvelle normalité à laquelle on doit durablement s’adapter ? Les principales approches de l’économie qui, à chaque fois, se sont déployées à la suite d’une mutation sont-elles encore
pertinentes ? L’enjeu est considérable : il ne s’agit pas de revenir aux équilibres du passé, mais de construire – et pour cela de comprendre – le monde de l’avenir.

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