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Appartient au dossier : Catherine Meurisse, les mains dans le dessin

Renouveler le trait et l’inspiration

Ces quatre dernières années, Catherine Meurisse a fait évoluer son trait, résultat d’un regard neuf qu’elle porte sur le monde. Entre le calme des paysages japonais et l’adaptation libre et flamboyante des toiles de Delacroix, la dessinatrice invente un nouveau style.

La Légèreté (2016) puis Les Grands Espaces (2018), deux albums autobiographiques et cathartiques, préludent au renouvellement du travail de Catherine Meurisse. Pour la première fois, elle s’y dessine elle-même et utilise le « je ». Elle y évoque, respectivement, sa lente reconstruction suite à l’attentat contre Charlie Hebdo, et son enfance dans les Deux-Sèvres. On est loin des ouvrages majoritairement humoristiques de ses débuts.

Néanmoins, c’est avant tout du côté du dessin que son style se démarque de ses œuvres précédentes. Les traits nerveux à la plume laissent place aux tracés arrondis et délicats. Catherine Meurisse a arrêté le dessin de presse, n’a plus d’échéance à court terme. Elle peut prendre le temps d’observer son environnement et ralentir son dessin.

Retour à la nature 

Dans Les Grands Espaces, l’autrice se plaît à représenter les fleurs avec la précision d’un herbier. Son crayon retranscrit la surface irrégulière de la terre, de la végétation, des pierres ; la granularité du papier est même conservée sur quelques planches. D’autres paysages ressemblent à ceux, moins réalistes, de peintres qu’elle a admirés au Louvre pour la première fois dans son enfance : Corot, Fragonard, Poussin…

Ses personnages conservent des traits vifs et fins, héritiers des figures de Claire Bretécher et Reiser, mais ils sont plus petits, placés au sein de grands paysages s’étalant parfois sur une double-page. La dessinatrice ose sortir des petites cases de la bande dessinée. Ses dessins invitent davantage à la contemplation. Ils offrent une respiration au lecteur.

Catherine Meurisse, Delacroix © Dargaud, 2019, tous droits réservés

Entre littérature et couleurs

Catherine Meurisse renoue aussi avec ses premières amours : les beaux-arts et la littérature. Jusqu’à présent, elle avait évoqué ces sujets avec humour dans Mes hommes de lettres (2008), Le Pont des arts (2012) et Moderne Olympia (2014). Désormais, elle met en lumière la place prépondérante que l’art occidental occupe dans sa vie, des statues antiques aux tableaux du Caravage, des promenades romaines de Chateaubriand aux salons de Proust.

Dans l’album Delacroix (2019), où elle illustre une causerie d’Alexandre Dumas sur son ami artiste, la dessinatrice s’autorise la peinture. Elle ne se contente plus de copier, elle réinterprète les œuvres du peintre romantique. Ses ajouts de couleurs vives à grands coups de pinceaux contrastent avec les tons pastel de ses deux précédents albums. Elle tente même l’abstraction : dans la dernière image de l’album, elle remplace les tableaux par de grandes tâches colorées. Elle avait déjà représenté, dans La Légèreté, un ciel au-dessus de la dune du Pilat à la manière épurée de Rothko.

Un cerf-volant en forme de tête au-dessus d'un paysage de montagne.
© Catherine Meurisse, 2019, tous droits réservés

Influences japonaises

Ces recherches d’harmonie avec la nature et le ralentissement dans son processus de création conduisent Catherine Meurisse à s’intéresser à l’art oriental. En 2018, elle est accueillie en résidence à la villa Kujoyama, à Kyoto, avec un projet artistique autour du roman de Natsume Sōseki, Oreiller d’herbes (1906). Elle transpose sur un autre continent son intérêt pour les liens entre arts plastiques et littérature. Comme le peintre du récit de Sōseki, elle se retire de la ville pour faire le point sur son art et observer la nature et les gens qui y vivent. Durant quatre mois, elle s’émerveille de l’arrivée du printemps, des jardins, des bois et des temples, au point d’aller dans la ville de Kumamoto pour visiter les lieux que l’auteur a fréquentés. La sensibilité de l’art japonais, la subtilité des jeux de lumière, la technique de représentation de la nature peuplée de simples silhouettes la séduisent.

En octobre 2019, elle est invitée pour une courte résidence à Iki, qui la ramène au Japon. Dans cette île, au large de Fukuoka, elle réalise de grands dessins inspirés de l’histoire de l’île et de sa mythologie, destinés à l’ouverture d’un musée consacré à la bande dessinée.

L’influence japonaise de Catherine Meurisse est sensible dans la carte blanche que le magazine Zadig lui offre depuis le printemps 2019. Ses illustrations, qui couvrent deux pages du périodique, ont le même format que les dessins qu’elle a réalisés pour le musée d’Iki. Les procédés de représentation sont semblables : de grands espaces, architecturés ou naturels, réalisés à la gouache et à l’encre de couleur, dans lesquels sont posés des petits personnages. Le décor est devenu plus important que les figures humaines.

« Tout ce que je vois, je ne dois le voir que comme un tableau. » Catherine Meurisse a fait sienne cette phrase extraite d’Oreiller d’herbes de Sōseki. La douceur, la poésie, la rêverie qu’elle a introduites dans ses derniers albums marquent un renouveau dans sa pratique. Son dessin est apaisé et repose principalement sur la couleur. Les beautés artistiques et naturelles qu’elle a trouvées en Europe et au Japon se répondent harmonieusement. Un prochain album, fruit de ses voyages au Japon, devrait parachever la métamorphose de son art.

Publié le 19/10/2020 - CC BY-NC-SA 4.0

Sélection de références

Oreiller d'herbes

Natsume Sōseki
Rivages, 2015 (1906)

À la Bpi, niveau 3, 895.6 NATS 4 KU

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