Interview

Appartient au dossier : Effroyables lectures

Romans hallucinés
Entretien avec Yves Torrès

Littérature et BD

Eltonsbrody, d'Edgar Mittelholzer © Éditions du Typhon, 2019

La collection Les Hallucinés des éditions du Typhon est consacrée à une littérature de l’étrange, héritière du roman gothique et fantastique. Yves Torrès, responsable éditorial, nous montre comment la littérature de genre s’empare de questions politiques par le biais de métaphores pour appréhender les angoisses qui traversent la société, alors que la Bpi participe aux Nuits de la lecture sur le thème de la peur en janvier 2023.

Vous publiez des textes anciens mais aussi contemporains. Que dit la littérature fantastique de notre époque ?

Le Chien noir de Lucie Baratte (2020) est un conte qui s’avère être une relecture de Barbe bleue. Peu de livres, aujourd’hui, travaillent autant sur les rapports entre la peur et l’émancipation des femmes. 

Nous avons également publié L’Étrange féminin (2020), un recueil de nouvelles écrites par six romancières – Bérengère Cournut, Caroline Audibert, Marie Cosnay, Karin Serres… Hélène Frappat raconte la jeunesse de Mary Shelley et comment elle en est venue à écrire Frankenstein en 1818. Clara Dupuy-Morency travaille sur la figure du vampire au féminin, qui absorbe la force des hommes. Toutes les nouvelles s’emparent de la littérature « de genre » pour interroger la place des femmes dans la société.

Quelles questions de société les œuvres d’Edgar Mittelholzer soulèvent-elles ?

Edgar Mittelholzer (1909-1965) est inconnu en France alors que c’est le premier auteur caribéen à avoir eu du succès en Europe, dans les années soixante. Il a quitté la Guyane britannique pour rejoindre l’Angleterre parce qu’il souhaitait se faire publier. Il a rencontré Leonard Woolf, le mari de Virginia Woolf, qui a été l’un de ses premiers éditeurs. Nous avons publié deux de ses livres, Eltonsbrody (2019) et Le Temps qu’il fait à Middenshot (2020). Eltonsbrody utilise le canevas du roman gothique : une demeure, une vieille dame excentrique… Le Temps qu’il fait à Middenshot relève plutôt du roman noir.

Mittelholzer se sert du « mauvais genre » pour travailler sur la haine de soi et le racisme. Il était métis dans une famille qui se vivait blanche, et son père le détestait parce qu’il lui renvoyait la faute qu’il avait commise avec une femme noire. Il a écrit des romans fantastiques pour exorciser ses propres peurs et la sensation qu’il ne serait jamais à la place qu’il aurait aimé occuper dans la société.

Les romans que vous proposez dans la collection Après la tempête sont également traversés par la peur.

La plupart des auteurs publiés dans cette collection ont en commun d’évoquer l’après. Comment se reconstruit-on sur les cendres d’une société après une crise, une guerre… ? Par exemple, La Mort à Rome (2019), de Wolfgang Koeppen, raconte le voyage en Italie de Siegfried, un jeune compositeur allemand dans les années cinquante. À Rome, il retrouve des membres de sa famille avec qui il était en froid, notamment son oncle, un ancien haut dignitaire nazi.

Siegfried a été traumatisé par son éducation nationaliste et joue une musique qui était interdite sous le Troisième Reich. Ce roman invoque les spectres laissés par le régime nazi et l’avenir de l’Allemagne. Siegfried n’a aucune confiance en l’avenir et est persuadé que le nationalisme va revenir. Le livre illustre la force de la littérature à travailler le passé et à exorciser nos peurs.

Publié le 26/12/2022 - CC BY-NC-ND 3.0 FR

Pour aller plus loin

Les Éditions du Typhon

Entre textes du siècle passé et œuvres contemporaines, les éditions du Typhon interrogent le rapport au réel, les lendemains de conflit ou encore la portée politique de l’imaginaire. Leur collection Les Hallucinés, en particulier, est consacrée à une littérature de l’étrange, aux frontières des genres et des sentiments.

« Fais-moi peur ! Ces livres qui vous feront frissonner », Bienvenue au (Book) Club | France Culture, 22 septembre 2022

Invité·e·s au micro d’Olivia Gesbert, l’écrivaine Lucie Rico et le philosophe Laurent de Sutter interrogent les concepts de peur et de danger, sources d’inspiration littéraire et de réflexion philosophique.

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