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Saul Steinberg, l’inclassable

Artiste prolifique autant qu’inclassable, Saul Steinberg n’en finit pas d’être découvert. Connu d’abord pour ses dessins de presse, il a été aussi peintre, sculpteur, décorateur. Son apport artistique est aujourd’hui reconnu, comme le montre l’exposition qui lui est consacrée au Centre Pompidou.

Dessin aquarelle de Steinberg représentant de petit personnage devant un paysage
Encre de Chine, aquarelle, 40 × 50 cm Collection particulière © The Saul Steinberg Foundation / Adagp, Paris 2021. Photo © François Fernandez

Roumanie, Italie, New-York

Le parcours de Steinberg est aussi varié que son art. Né en 1914 en Roumanie, dans une famille d’artisans, Saul Steinberg a d’abord suivi des études de philosophie et littérature à l’université de Bucarest. Il part ensuite pour l’Italie étudier l’architecture à l’École polytechnique de Milan. C’est là qu’il publie ses premiers dessins humoristiques dans l’hebdomadaire milanais Bertoldo, et débute une collaboration à distance avec les magazines américains Harper’s Bazaar et Life en 1939. Les lois antisémites le conduisant à fuir l’Italie pour gagner les États-Unis, il s’engage dans la Marine pour obtenir la nationalité américaine, tout en continuant à dessiner pour la presse. 

Voyageur infatigable, Steinberg a visité tous les continents au cours de sa vie. À chaque fois, il semble s’être nourri des styles et des arts des pays qu’il a traversés, empruntant ici ou là motifs et symboles qu’il réutilise à l’envi. S’il s’est finalement fixé à New-York, dont il est un artiste emblématique, c’est sans doute parce qu’il y trouvait le foisonnement culturel et l’hybridation stylistique qui lui convenait. Comme l’écrira Roland Barthes, « Steinberg n’a cessé de nous dépayser, d’enlever les signes culturels de leur patrie, il ne détruit pas la culture, il la subvertit » (All except you, 1983). 

Illustrateur, artiste, caricaturiste

Steinberg aimait que son travail « rencontre ses spectateurs sur la page d’un journal ». De fait, la presse (New Yorker, Fortune, Vogue) a assuré à Steinberg ses premiers succès, grâce à son trait aiguisé et foisonnant. Entre caricature et illustration, Steinberg n’a pas son pareil pour croquer personnages et paysages, associer les angles et les arabesques, proposer sur un même dessin une infinie variété de motifs. Son premier album, All in Line, qui reprend ses dessins de presse, est édité en 1945 et rencontre un immense succès.

Pour lui, « les bons dessins doivent avoir une sorte d’équilibre particulier fait de tensions inattendues et de coïncidences prévues. Un équilibre inventé ». Pour trouver cet équilibre, et chaque fois le remettre en jeu, Steinberg ne se limite pas au trait : très vite il expérimente d’autres médiums, ajoute des collages, des tampons et autres empreintes, et enfin des couleurs à l’aquarelle ou au pastel. 

Lui qui déclarait « Je suis un écrivain qui dessine » aimait aussi ajouter des mots à ses images, mêler les lettres et les symboles, pour former une sorte de calligraphie très personnelle. Ionesco dira de lui : « Je crois qu’aucun autre artiste n’a su comme lui ou n’a réussi comme lui à faire de la caricature un langage et une critique métaphysiques »

Surréalisme, cubisme, Pop Art

« Je n’appartiens pas tout à fait au monde de l’art, de la bande dessinée ou de la presse magazine, alors le monde de l’art ne sait pas bien où me mettre ». Steinberg semble s’être amusé de cette situation, et il a toujours refusé de se laisser enfermer dans un genre ou un style. 

Sans se rattacher à aucune école, les mouvements artistiques de son temps l’ont indéniablement inspiré. Le mouvement surréaliste avec son humour, son goût pour la rêverie et le rapprochement d’éléments disparates, avait toutes les raisons de susciter l’admiration de Steinberg. Du cubisme, il a retenu les constructions baroques, le dévoiement de la perspective et l’introduction de collages dans l’image. L’étudiant en architecture qu’il a été s’amuse des volumes et des surfaces, sait déformer les objets pour en révéler la structure. Il a partagé avec le Pop Art le goût du lien à la vie moderne, l’introduction dans un dessin d’éléments issus de la consommation de masse et de la bande dessinée. Ayant travaillé pour la publicité, il en connaît les codes et sait jouer avec les symboles de la société américaine.

De tous ces mouvements, Steinberg ne retient que quelques éléments qui, mêlés et transformés, vont enrichir son art si personnel.

Succès et reconnaissance

Steinberg a aussi côtoyé d’autres grands artistes de son temps. Il a pratiqué la photographie avec Henri Cartier-Bresson, fait des collages-assemblages avec Picasso, fréquenté Lee Miller, travaillé sur les portraits d’Inge Morat. Il aura une grande influence sur les nouveaux illustrateurs, tels qu’Ungerer et Wolinski. 

Rapidement reconnu comme un artiste de son temps, il sera exposé dès 1948 au MoMA aux côtés de Robert Motherwell et Arshile Gorky, dans une exposition présentant les artistes et les mouvements artistiques nouveaux. 

Grâce à la prestigieuse Galerie Maeght, Steinberg acquit la notoriété dont il a joui très tôt en Europe. Cette galerie parisienne créée en 1936 est devenue incontournable pour avoir lancé les nouveaux artistes de l’après-guerre, tels que Kelly, Chillida, Bacon, Riopelle, Tàpies, Monory… En 1966, il y expose Art viewers, une installation de près de sept mètres de long. L’exposition du Centre Pompidou, à l’automne 2021, présentera cette œuvre, aux côtés de photographies, collages, objets et dessins, dont l’exceptionnelle donation de trente-sept pièces de la Saul Steinberg Foundation. 

Publié le 18/10/2021 - CC BY-SA 4.0

Saul Steinberg : l'écriture visuelle


Musées de Strasbourg, 2009

Dessinateur, graphiste, calligraphe, coloriste, faussaire, cartographe, Saul Steinberg a exploré de nombreuses thématiques. Ce catalogue présente une sélection d’oeuvres issues de diverses collections privées et publiques européennes rassemblées selon les thématiques fortes de son travail : la musique, les femmes, la vie urbaine, les Etats-Unis, les masques…

À la Bpi, niveau 3, 70″19″ STEI 2

 

Saul Steinberg. Entre les lignes. Catalogue d'exposition


Centre Pompidou, 2021

Catalogue de l’exposition Saul Steinberg entre les lignes en 2021 au Centre Pompidou.

Saul Steinberg - Entre les lignes

Réunissant plus de quatre-vingts œuvres tous supports confondus (assemblages, dessins, objets, livres, photographies), « Entre les lignes » propose de s’immerger dans l’univers de Saul Steinberg (1914-1999). Grâce à la générosité de la Saul Steinberg Foundation, le Centre Pompidou conserve aujourd’hui un ensemble exceptionnel d’œuvres de l’artiste américain : aux trente-six dons consentis à l’American Friends of the Centre Pompidou, déposés au Musée en 2017, s’est ajoutée cette année une œuvre monumentale, The Art Viewers (1966), rare témoignage de l’activité de muraliste de Steinberg.

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