Interview

Appartient au dossier : Jeu et apprentissage

Simuler, c’est stimuler !

Politique et société

Par Jelleke Vanooteghem [CC0] , Unsplash

Jouer à faire semblant est une activité essentielle dans le développement de l’enfant. Marie-Hélène Plumet, maîtresse de conférences en psychologie du développement, nous explique ce qu’un enfant apprend lorsqu’il s’y consacre, seul ou en groupe.

Qu’est-ce que le jeu symbolique ?

Le jeu symbolique se manifeste dès que l’enfant commence à évoquer avec des gestes (et parfois des vocalisations) des situations de la vie quotidienne juste pour le plaisir de les évoquer. Ce sont des actions hors contexte : il fait semblant de manger, de dormir, mais il ne mange pas, ne dort pas ; il fait semblant de donner à boire à ses doudous, mais il n’y a rien dans le verre, etc.
Ces activités peuvent sembler bizarres parce qu’elles n’ont pas de finalité tangible, sérieuse, mais le but est précisément le plaisir de représenter ces actions.

Comment le plaisir provoqué par le jeu symbolique est-il relié à un apprentissage ?

Le jeu symbolique permet une prise de distance avec la réalité. C’est ce qui crée la jubilation de l’enfant. Les fonctions spécifiques du jeu symbolique viennent de cette prise de distance. Ce sont tout d’abord des fonctions d’expression affective, de régulation émotionnelle.
Dans ces jeux, l’enfant peut faire sans conséquence ce qu’il ne ferait pas dans la vie réelle. Il peut s’amuser à transgresser les règles sociales ; il peut prendre le rôle des personnes qui habituellement le dominent comme les parents ou les enseignants, il peut prendre le pouvoir. Il apprend en même temps les rôles sociaux de sa culture.

Quels sont les bénéfices des jeux symboliques d’un point de vue strictement cognitif ?

Dès qu’ils sont partagés, ces jeux mobilisent des habiletés de compréhension sociale et de communication des points de vue : il faut arriver à faire comprendre à l’autre des représentations imaginaires, qui sont décalées par rapport aux objets manipulés, par exemple, et décoder celles des partenaires, au fur et à mesure du jeu, pour évoluer dans un univers imaginaire commun. Les chercheurs appellent cette entrée sociocognitive la « théorie de l’esprit », c’est-à-dire comprendre les représentations de l’autre.

De plus, ces jeux engagent et stimulent les fonctions exécutives, c’est-à-dire l’apprentissage du contrôle de nos activités, de nos émotions par un guidage interne. Cela est rendu possible encore une fois grâce à la prise de distance. La fiction est une re-description du réel, mis provisoirement de côté, ce qui sollicite l’inhibition et l’on y prend des perspectives multiples. Ainsi, au cours d’un jeu de « faire semblant », un même caillou peut être tour à tour une voiture ou un aliment. Cette flexibilité cognitive est très importante.

De plus, les jeux de fiction à plusieurs demandent une planification, un scénario, une distribution, ce qui fait appel à la mémoire de travail. Ces jeux stimulent aussi le développement du langage.

En France, le jeu symbolique n’est reconnu à l’école qu’en classe maternelle.

Oui, mais il n’est pas assez soutenu par des médiations avec des adultes. Même si le jeu, par définition, demande un engagement librement consenti, l’adulte peut donner un cadre initial et des amorces, comme dans les improvisations au théâtre, dont les apprenants peuvent s’emparer. En maternelle, dans des jeux collectifs, l’adulte peut rééquilibrer les rôles, faire en sorte que ce ne soit pas toujours les seuls enfants leaders qui aient le beau rôle. Il peut aussi alterner des phases où l’enfant est acteur avec des moments où celui-ci observe le jeu des autres. L’enfant peut ainsi analyser la situation, argumenter sur différentes façons de jouer ou de faire évoluer le scénario.
Ces moments sont très importants notamment pour faire communiquer des enfants qui appartiennent à des cultures différentes ou des milieux différents. Cela permet à la fois l’expression de l’univers familial et l’appropriation des codes culturels.

Article initialement paru dans de ligne en ligne n° 28

Publié le 02/01/2019 - CC BY-NC-ND 2.0 FR

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