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Appartient au dossier : Venir au monde par effraction Un·e auteur·rice, un objet

Sur les eaux de la mémoire

Dans les premières pages de Mahmoud ou la Montée des eaux, roman multiprimé en 2021, figure une dédicace au cinéaste syrien Omar Amiralay. Son auteur, Antoine Wauters, raconte comment l’image d’un vieil homme en barque sur le lac d’Assad dans le documentaire Déluge au pays du Baas (2003) a donné corps à son envie d’écrire sur l’histoire de la Syrie.

Image du film Mahmoud ou la Montée des eaux d'Omar Amiralay montrant un homme en barque sur le lac d'Assad
Déluge au pays du Baas, un film d’Omar Amiralay, 2003 © XC 2014

« En 2016 ou 2017, j’essayais de comprendre ce qui se passait en Syrie quand j’ai appris que le barrage de Tabqa, objet de conflits, était menacé d’effondrement. En me documentant sur le sujet, j’ai découvert par hasard les documentaires d’Omar Amiralay. Le réalisateur avait fait un premier documentaire apologétique, une commande d’Affez al-Assad, puis un deuxième pour montrer qu’il s’était trompé dans le premier projet. Déluge au pays du Baas est un troisième temps. C’est un contre-récit, dans lequel Omar Amiralay détricote en images et en mots l’endoctrinement propre au régime Baas, qui a toujours œuvré à réécrire l’histoire de la Syrie dans son intérêt. 

Dans Déluge au pays du Baas, l’image d’un vieil homme sur sa barque m’a immédiatement fait penser à Noé. Dès lors, sa barque m’évoquait l’Arche de Noé. Le vieillard expliquait que son village d’enfance était sous le plancher de la barque. J’ai trouvé cette image magnifique. Elle résumait parfaitement l’ensevelissement complet que réalise la guerre, qui abolit toute l’histoire d’un pays, noie totalement les vies humaines et n’en laisse aucune trace. Ce que je trouve très beau dans l’image de cette barque, c’est le calme absolu. Le vieil homme, sur cette barque, reste muet sur son drame personnel, navigant sur ces eaux calmes qui ne disent rien de la tragédie qu’elles contiennent. Cette tension se ressent dans le documentaire avec cette barque qui revient régulièrement à l’image. 

Mon but, en écrivant des livres, c’est de faire sortir des eaux de l’oubli et du silence toutes ces choses qui auraient besoin ou auraient envie de prendre la parole. Alors, de documentaire, mon projet est devenu littéraire. J’allais écrire une histoire qui se passerait uniquement sur ou sous les eaux du lac. J’allais donner la parole à ce vieillard, lui faire raconter l’histoire de sa vie et à travers elle, l’histoire de la Syrie. J’en ai fait un poète, parce que dans cette région, la parole poétique est importante. La poésie permet de faire le tour de notre humanité, de raconter à la fois le drame et les beautés contenues dans l’histoire de Mahmoud. Je lui ai fait quitter son embarcation et plonger littéralement dans ces eaux qui sont aussi les eaux de sa mémoire, de son enfance, du souvenir. Le travail de documentation s’est petit à petit éclipsé pour laisser plus la place à des préoccupations personnelles sur le temps, la nostalgie, l’amour et le rapport à l’écriture. Avec le temps, j’ai fini par oublier jusqu’au visage du vieil homme et des images de mes propres grands-pères se sont greffées sur ce souvenir. »

Publié le 14/02/2022 - CC BY-NC-SA 4.0

Pour aller plus loin

Mahmoud ou la Montée des eaux

Antoine Wauters
Verdier, 2021

Le vieux Mahmoud plonge dans l’eau du grand lac Hafez, un lac artificiel qui a tout submergé pour faire de la Syrie un rêve de modernité et de prospérité. Et nous plongeons avec lui, dans sa mémoire blessée, dans ses beaux souvenirs, dans ses deuils et dans ses joies. Car ses enfants, ses parents, son village, son métier, ses amours ont été engloutis par l’eau du lac, par le temps qui passe et par la dictature et la guerre qui ont fait l’histoire de la Syrie sous le règne des El Assad père et fils. En peu de mots, et en peu de pages, Antoine Wauters déroule une véritable complainte, en forme de poésie en prose. Celle d’un homme qui, au crépuscule de sa vie, voit défiler son passé. C’est un récit poignant, qui permet, d’une façon très personnelle et très imagée, d’appréhender de la manière la plus littéraire et la plus sensorielle une réalité dure, douloureuse et complexe mais qui contient aussi sa part de liberté et d’amour.

À la Bpi, niveau 3, 841 WAUT.A 4 MA

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