Comment s’attaque-t-on à la traduction des romans de Jean Echenoz ? La traductrice et poétesse Ryoko Sekiguchi nous raconte l’expérience singulière qu’a constitué la traduction de Ravel en japonais, dans une langue qui diffère en tous points de celle de son écriture.
Comment avez-vous été amenée à traduire Jean Echenoz ?
Je lisais déjà ses livres en français et je ne pensais pas pouvoir le traduire un jour. Ses précédents romans étaient parus au Japon, ce n’est pas évident de traduire un auteur qui a déjà son ou ses traducteurs. Quand j’ai lu Ravel, j’ai eu une sorte de révélation, c’était comme si un panneau d’affichage en japonais s’allumait simultanément. Je me disais : ce roman-là, je voudrais bien le traduire ! J’ai attendu et j’ai fini par le proposer à un éditeur qui a accepté.
Jean Echenoz a un style extrêmement concis et ciselé. Comment le restituer en japonais ?
Pour moi, la traduction, c’est comme avoir deux instruments de musique. Il faut bien évaluer la différence de nature entre ces deux instruments pour pouvoir transposer la spécificité d’une langue dans une autre, savoir ce que l’on peut faire ou pas, ce que l’on devra remplacer. Ravel m’a fait reconsidérer plusieurs difficultés de traduction. Bien sûr, on ne pourra pas restituer une tournure ou un alexandrin, car chaque langue a son propre rythme. Mais l’utilisation du présent, par exemple, ne posait aucun problème, car on le fait presque tout le temps dans les romans japonais. De la même manière, je me suis rendue compte que le pronom « on », dont Echenoz fait un usage si particulier, fonctionnait plutôt bien en japonais, car c’est une langue qui ne nécessite pas toujours de sujet. Finalement, c’est comme si l’écriture d’Echenoz rendait le français plus japonais ! Parfois, une langue peut toucher aux caractéristiques d’une autre par hasard. En traduisant Ravel, je pense que c’est ce que j’ai rencontré.
L’exigence de la langue d’Echenoz a donc facilité sa traduction ?
Oui. On pourrait penser que c’est une langue intraduisible, mais ce n’est pas le cas dans le sens où tout est extrêmement précis, cadré. On sait exactement où l’on va, on suit les instructions de l’auteur, au millimètre près. À ce titre, les livres d’Echenoz sont vraiment exemplaires, c’est un capitaine de navire très efficace. Quel bonheur d’être matelot dans ce bateau-là !
Combien de temps vous a pris le travail de traduction ?
Quand je traduis un roman, j’essaie de le faire de façon continue, d’être tous les jours dans le même univers. Pour Ravel, j’ai mis un mois, pendant les vacances d’été. On est un peu hanté quand on traduit un livre, et je me souviens – je ne sais pas si cela venait d’Echenoz ou de Ravel – que j’étais devenue plus maniaque, plus observatrice, attentive à des détails que je ne remarquais pas auparavant. On est habité différemment en fonction des livres, c’est une forme de cohabitation qui peut parfois transformer la vie du traducteur.
Vous êtes également auteur. Que vous apporte votre travail de traductrice ?
L’expérience de traductrice est extraordinaire, car elle permet de vivre ce moment particulier : être dans le corps d’un auteur. La langue sera toujours plus riche que nous. En tant que traducteur, on est dans cet état éveillé de la pauvreté du rapport à la langue. Quand je traduis Echenoz ou un autre auteur, cela m’ouvre à un autre style en français, mais aussi en japonais.
Article paru initialement dans le numéro 24 du magazine de ligne en ligne.
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