Interview

Une maison d’édition « exemplaire »
Entretien avec Lisa Mandel

Littérature et BD

Exemplaire, Lisa Mandel

En novembre 2020, l’autrice de bande dessinée Lisa Mandel annonçait le lancement d’Exemplaire, une structure hybride entre l’auto-édition et l’édition traditionnelle, avec pour ambition une plus juste redistribution des revenus pour les auteurs. Ce lancement suit de peu la publication d’Une année exemplaire, bande dessinée auto-éditée où l’autrice raconte avec beaucoup d’humour son combat contre ses addictions.

Une année exemplaire © Lisa Mandel, 2020

Comment passe-t-on d’un projet personnel à une structure collective d’un genre nouveau ? Qu’est-ce qui rassemble les auteurs qui ont déjà rejoint la structure, parmi lesquels Charles Berberian, Anouk Ricard ou encore Guillaume Long ? Comment Exemplaire s’inscrit-elle dans la chaîne du livre ? Alors qu’Une année exemplaire figure dans la sélection pour le Fauve d’or du Festival d’Angoulême 2021, nous avons interviewé Lisa Mandel.

Pouvez-vous nous raconter les étapes de fabrication d’une bande dessinée à travers l’expérience d’Une année exemplaire ?

En temps normal, je me concentre juste sur la réalisation de mon bouquin, avec les conseils de l’éditeur, puis je lui envoie les fichiers prêts à imprimer et je suis déjà passée au livre suivant. Cette fois, j’ai dû réfléchir au papier que j’allais utiliser, au format, au poids qu’allait avoir mon livre, à la quantité d’ouvrages que j’allais imprimer… J’ai lancé un financement participatif et quand le livre a été suffisamment financé, j’en ai fait la promotion sur les réseaux sociaux. J’avais commandé 2 000 livres, que j’ai dû réceptionner, stocker, envoyer… Cela fait beaucoup de travail en plus, mais j’ai été aidée, je n’ai rien fait toute seule.

Qu’avez-vous aimé, moins aimé, appris à faire ?

J’ai beaucoup aimé la totale transparence que ça engendre. On sait à quoi correspondent toutes les dépenses et pourquoi on les a faites. Les erreurs comme les succès sont entièrement de notre responsabilité. Il y a quelque chose d’extrêmement enthousiasmant à l’idée de tout réaliser soi-même. 

Cela peut paraître masochiste mais rien ne m’a semblé déplaisant. La paperasse, les tâches un peu mécaniques comme l’emballage, faire la queue à la Poste, le service après-vente… Ce ne sont pas les étapes du livre les plus gratifiantes, mais j’y ai quand même trouvé du sens et de l’intérêt. C’est juste chronophage, et c’est du temps en moins pour le dessin, parce que mon métier, c’est quand même de dessiner. Ces dernières semaines, je n’ai quasiment pas dessiné, je n’étais que dans la logistique. 

Comment êtes-vous passée d’un projet individuel, Mon année exemplaire, à ce projet collectif de maison d’édition Exemplaire ?

En fait, ça fait des années que je réfléchis à monter une structure éditoriale alternative qui permettrait aux auteurs de mieux vivre des revenus générés par le livre, mais jusqu’à présent je n’étais pas prête. Quand j’ai commencé Mon année exemplaire, j’avais déjà en arrière-plan l’idée que si ça marchait, je pourrais essayer d’en retirer un modèle pour une expérience collective. 

Je me suis aussi rendu compte que mon livre, je ne l’ai pas fait toute seule. J’ai dû faire appel à des personnes qui ont su me conseiller pertinemment, à tous les niveaux. Ça m’a confortée dans l’idée qu’il y aurait un intérêt à créer une structure qui nous aide à vendre nos livres de manière plus autonome tout en mutualisant les coûts et les tâches.

Le projet, c’est de proposer un camembert aux auteurs avec des tâches, par exemple la maquette, le suivi de fabrication, la livraison, le stockage… L’auteur choisit celles qu’il veut effectuer lui-même et le camembert augmente en proportion. Sachant qu’a minima, il touche quand même plus, parce qu’il y a une grosse part de prévente en ligne. Comme il y a moins de coûts, les droits d’auteur sont forcément plus élevés (en moyenne 40 % contre 20 % en librairie). Dans notre structure, tout le monde est co-auteur du livre. Chaque personne qui travaille sur un livre est payée en pourcentage des ventes.

Présentation du projet Exemplaire

Est-ce qu’il y a des projets que vous continuerez à proposer à des éditeurs et d’autres que vous auto-éditerez ?

Personnellement, j’ai encore un livre à faire avec L’Association et je vais en faire un dans la structure Exemplaire. Je n’ai pas du tout claqué la porte des maisons d’édition, j’ai juste ouvert une autre porte. Même si je fais parfois des blagues sur les réseaux sociaux envers les méchants éditeurs, ça reste une blague. Je pense que c’est le système qui ne fonctionne pas bien, et souvent au détriment des petits éditeurs. Mais a priori personne ne le prend personnellement, tout le monde est plutôt curieux de voir comment on va s’en sortir, je pense.

Les livres d’Exemplaire seront-ils aussi présents en librairie ?

En aucun cas notre partenariat avec les librairies n’est remis en question. Avec Une année exemplaire, j’ai décidé de me distribuer moi-même, pour aller vraiment au bout du projet de faire un livre toute seule. Je suis présente dans une soixantaine de librairies en France, et je fais de la vente ferme parce que je ne peux pas gérer les retours. Avec Exemplaire, on se pose la question de travailler avec un diffuseur, auquel cas on se retrouverait dans un fonctionnement normal par rapport aux libraires. Sachant que se pose encore la question de la vente ferme, vu notre économie. Est-ce qu’il ne faudrait pas prendre le risque de vendre moins d’exemplaires et de n’avoir pas de retours à gérer ? C’est ce qu’a fait L’Association au début de son existence. 

Qu’est-ce qui rassemble les auteurs qui vous accompagnent dans ce projet ?

Cela va sans doute changer mais pour l’instant ce sont surtout des dessinateurs d’humour, avec un dessin assez rapide et une présence importante sur les réseaux sociaux, ce qui favorise les récits feuilletonnants. Personne ne s’est encore lancé dans des romans graphiques hyper réalistes où on met deux semaines à faire une page, où ne peut pas comprendre une page sans avoir lue celle d’avant… 

Je pense que des auteurs reconnus en librairie qui n’ont pas forcément de communauté en ligne pourraient marcher dans notre structure. Mais pour moi, c’est plutôt la maison d’édition des auteurs 2.0, ceux qui ont un parterre de lecteurs sur les réseaux sociaux mais ne sont pas très présents en librairie. Elle va leur donner une existence en librairie, mais elle va surtout toucher leur cœur de cible, les lecteurs sur internet, trop souvent négligés par les éditeurs traditionnels. Je pense que le public de librairie et le public d’internet peuvent se télescoper mais globalement, ce sont deux publics distincts. 

Tous ces auteurs ont envie d’essayer autre chose. Le système hybride leur plaisait car ils voulaient de l’autonomie mais ne se sentaient pas de tout gérer tout seul. Tout le monde a été d’accord pour partager les parts du camembert entre tous les acteurs de la chaîne du livre, donc il y a une question d’éthique, même si on n’utilise pas trop ce mot. Il y a une équité, une reconnaissance du travail accompli. D’autres auteurs vont nous rejoindre, les premiers repartiront peut-être vers des éditeurs traditionnels… C’est très flexible comme concept.

Publié le 15/01/2021 - CC BY-NC-SA 4.0

Pour aller plus loin

Une année exemplaire

Lisa Mandel
Exemplaire, 2020

Dans cette bande dessinée, qui rassemble les planches publiées par Lisa Mandel sur les réseaux sociaux chaque jour pendant un an, l’autrice raconte son combat contre les addictions. Alcool, tabac, sucre, gras, jeux vidéo… Elle décortique avec beaucoup d’autodérision ce défi personnel et artistique qu’elle s’est lancée, et qui débouche sur l’ambition d’éditer elle-même sa bande dessinée.

Bientôt à la Bpi.

Éditer la bande dessinée

Benoît Berthou
Éditions du Cercle de la librairie, 2016

La singularité des pratiques éditoriales de la bande dessinée reste méconnue. Pour pallier ce manque, Benoît Berthou analyse ici les caractéristiques du paysage éditorial de la bande dessinée en matière de genres, de segments, de formats, de droits dérivés, de traduction, de rapports avec le numérique, etc. Cet ouvrage participe ainsi à une meilleure connaissance du neuvième art, de ses publics, ses métiers et ses marchés.

À la Bpi, niveau 2, 024.2 BER

Bibliodiversité : manifeste pour une édition indépendante

Susan Hawthorne
Éditions Charles Léopold Mayer et Éditions d'en bas, 2016

S’inspirant de la notion de biodiversité, l’écrivaine, éditrice et féministe australienne Susan Hawthorne propose un manifeste pour la « bibliodiversité », en référence à la diversité du paysage éditorial permettant à toutes les voix de s’exprimer. Elle-même éditrice engagée, l’autrice s’attache à mettre en avant l’importance des petites structures indépendantes, développant une forme d’« écologie de l’édition » contre la concentration et la standardisation du secteur.

À la Bpi, niveau 2, 024.2 HAW

Artiste éditeur

Antoine Lefebvre
Strandflat, 2018

Artiste éditeur est la version remaniée de la thèse d’Antoine Lefèbvre, soutenue en 2014 : Portrait de l’artiste en éditeur, L’édition comme pratique artistique alternative. Il défend l’idée que la pratique de l’artiste, à travers l’impression, la multiplication, la diffusion, recouvre par bien des aspects la pratique éditoriale. Il évoque le rôle fondateur qu’a joué pour lui Michel Foucault, passe en revue Mallarmé, Jonathan Monk, Lawrence Weiner, Fluxus ou l’International situationniste. Il détaille aussi les pratiques éditoriales « Do it yourself » à travers les fanzines.

À la Bpi, niveau 2, 024.21 LEF

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