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Appartient au dossier : Catherine Meurisse, les mains dans le dessin

Vers une poésie du réel

Les dessins de presse et les premiers albums de Catherine Meurisse retranscrivaient précisément le réel, mais c’est désormais sur le mode de l’évocation poétique que l’autrice déploie ses récits dessinés. C’est ce qu’explique Anne-Claire Norot, journaliste et co-commissaire de l’exposition « Catherine Meurisse, chemin de traverse », présentée au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême en 2020.

Planche de l'album Les Grands Espace ou l'auteur se représente petite fille au milieu des champs
Catherine Meurisse, Les Grands Espaces © Dargaud, 2018

Catherine Meurisse débute sa carrière par le dessin de presse, dans des journaux aussi différents que Charlie Hebdo ou Les Échos. S’immergeant dans l’actualité, elle y aborde sans détour les sujets politiques ou économiques et reste toujours proche des faits, sans pour autant atténuer son humour. Ses reportages graphiques pour Charlie Hebdo, tout comme l’album Savoir vivre ou mourir (2010), au départ un reportage, témoignent de sa méticulosité à retranscrire le réel. Pour répondre aux délais de la presse, Catherine Meurisse doit croquer à chaud l’actualité et travailler vite. Cette urgence se ressent dans son dessin jeté et dans son trait vif et nerveux. 

Vérité historique et fantaisie

Ce sens de l’exactitude nourrit aussi ses bandes dessinées Mes hommes de lettres (2008) et Le Pont des arts (2012). Alors qu’elle s’amuse à égratigner les grandes figures de l’art et de la littérature, elle n’en reste pas moins fidèle à l’Histoire, s’appuyant sur une riche documentation. Textes critiques et biographies lui servent de base, à l’image des souvenirs de Théophile Gautier et d’Alexandre Dumas qu’elle utilise pour sa reconstitution de la bataille d’Hernani dans Mes hommes de lettres. Graphiquement, elle retrace de façon détaillée les œuvres qu’elle évoque – voir les tableaux de Gustave Moreau dans Le Pont des arts. Parfois, Catherine Meurisse passe par la caricature pour faire ressortir un détail biographique, comme la tête surdimensionnée de Victor Hugo (Mes hommes de Lettres), ou le rhume perpétuel de Frédéric Chopin (Le Pont des arts). La couleur, arrivée à petits pas par le numérique dans Mes hommes de lettres, prend de l’importance dans Le Pont des arts, l’emploi de l’aquarelle donnant à l’album une tonalité harmonieuse.

Dans Moderne Olympia (2014), le réel – le conflit entre artistes académiques et artistes du Salon des refusés, les coulisses du cinéma, la condition de la femme – sert toujours de toile de fond mais son utilisation devient moins littérale. Catherine Meurisse extrait des personnages de leurs célèbres tableaux (l’Olympia de Manet, la Vénus de Bouguereau…) et les transforme en héros de comédie. L’imagination et la fantaisie prennent le dessus, la narration se débride.

Un recul nécessaire

Avec La Légèreté, réalisé après l’attentat contre Charlie Hebdo, le regard de Catherine Meurisse sur le monde change. Elle a besoin de recul pour se retrouver, se reconstruire. Prendre de la hauteur par rapport à la réalité lui permet de se voir de plus près et d’exister. Elle fait le point sur elle-même et le reste devient plus flou. Convoquer l’art – ici Rothko, Stendhal, Proust, Millais, la statuaire romaine… – l’aide à accéder à un certain détachement, à parler de la réalité sans en avoir l’air. Les statues du Palazzo Massimo sont par exemple des prétextes pour évoquer l’attentat. Les sujets d’actualité sont soulevés à travers son expérience personnelle. Elle se laisse guider par ses impressions, et leur représentation la porte vers une narration plus onirique. En prenant du recul, elle gagne en liberté et transforme la façon dont elle représente le monde. Son trait s’adoucit, s’arrondit. Elle utilise le pastel sec pour des pleines pages en couleurs, véritables respirations poétiques.

Une vision poétique

Cette évolution se poursuit dans Les Grands Espaces. Les questions de société sont vues de plus en plus loin, à travers le prisme doux des souvenirs et de l’art. Les promenades avec ses parents lui permettent d’évoquer le remembrement ou la mort des abeilles. Elle fait sienne une poésie de Baudelaire pour parler écologie, convoque Zola pour décrire un jardin. Son onirisme est soutenu par son dessin, qui ne cesse de s’assouplir, et par la mise en couleur subtile de l’album, confiée pour la première fois à une coloriste experte, Isabelle Merlet. Ce changement intervient aujourd’hui aussi dans ses travaux pour la presse. Ainsi, ses illustrations pour la revue Zadig, aux encres colorées et à la gouache, sont empreintes d’une poésie à la Sempé, quand bien même elles parlent de gilets jaunes ou d’agriculture bio. Pour ses planches dans Philosophie magazine, elle avoue « être moins dans l’explication de texte » et se détacher des théories des philosophes évoqués pour « gagner en liberté d’interprétation ».

Sans jamais perdre de vue la réalité, Catherine Meurisse s’en est affranchie au fil du temps, avec une narration libre, dégagée des contingences, où la beauté aide à supporter l’implacabilité du monde.

Publié le 28/09/2020 - CC BY-NC-SA 4.0

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