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Appartient au dossier : Contre-chant : luttes collectives, films féministes

Les violences conjugales dans le viseur de la caméra

Dans son court-métrage Après-coups, la cinéaste québécoise Romane Garant Chartrand donne la parole aux femmes victimes de violences conjugales. Sa caméra est bienveillante à l’égard de celles qui confient leurs blessures, et virulente à l’encontre des auteurs de féminicides. Balises présente le travail de la réalisatrice, à l’occasion de la projection de son film en juin, dans le cadre du cycle Contre-chant.

Mains qui collent une affiche contre les violences faites aux femmes
Après-coups, film de Romane Garant Chartrand (2023)

« Une femme tuée tous les deux jours au Canada ». Ce chiffre sur les violences conjugales, placardé sur un mur dans la nuit par des militant·es, clôture le film Après-coups de Romane Garant Chartrand. Dans ce court-métrage, la réalisatrice canadienne donne la parole à des femmes victimes de coups, d’agressions et d’humiliations de la part de leur conjoint. Geneviève, Anne, Marianne, Guylaine, Gaël, Luisa, Mariane, Mélanie, Nancy et Vicky disent tour à tour leurs blessures, leurs traumatismes, sans que leur visage n’apparaisse à l’écran. Celles qui ont vécu dans la terreur prononcent, malgré la présence du micro perche et de la caméra, les mots enfouis par honte et culpabilité.

Dans la pièce de vie de la maison d’hébergement La Traverse, ces femmes meurtries confient leurs angoisses toujours présentes, comme entendre « le bruit des clés » qui leur rappelle l’arrivée du bourreau le soir. Elles livrent et se délivrent de leurs blessures à coups de « je t’en veux » : « Je t’en veux de m’avoir perdue, d’avoir fait en sorte que je n’arrive plus à me reconnaître » ; « Je t’en veux parce que tu as fait de moi un objet, tu m’as dépersonnalisée complètement » ; « Je t’en veux de réussir encore aujourd’hui à avoir de l’emprise sur moi »… Leurs phrases résonnent comme des SOS et révèlent qu’elles resteront marquées à vie par ce qu’elles ont vécu. Face à la douleur des victimes, Romane Garant Chartrand, derrière sa caméra, est dans une écoute délicate et sensible.

La caméra à l’écoute des victimes

« Après de longues recherches sur les violences conjugales, de collecte d’informations et de données statistiques, d’enquêtes sur le terrain pour sélectionner une maison d’hébergement parmi les plus 150 présentes au Québec, j’ai eu envie de participer aux rencontres de groupes. Face à ces témoignages, à ces vies traumatisantes et situations vulnérabilisantes, j’ai adopté une posture de non-jugement et de bienveillance », confie Romane Garant Chartrand.  « Avec Laurie Pominville, productrice associée, nous voulions procéder en douceur et progressivement », poursuit-elle. « Après des mois passés à les écouter, seule, submergée par leurs récits, j’ai d’abord été accompagnée d’une preneuse de son, Lynne Trépannier, qui perchait la séance. Puis, on a introduit la caméra. Parce que ces femmes ont vécu sous l’emprise de quelqu’un, je leur redemandais chaque jour systématiquement leur accord. Leur consentement était essentiel pour moi. Chacune était libre de participer ou pas. »

Par sa démarche sur le tournage mais aussi par sa manière de filmer, Romane Garant Chartrand s’approche au plus près de l’humain, avec une sensibilité touchante.

Une esthétique du sensible

Les choix esthétiques de la réalisatrice, ses cadrages resserrés et la bande-son, traduisent une profonde humanité. Les gros plans sur les mains, le menton, les bras, laissent sourdre les réminiscences de la souffrance des victimes. Certaines femmes se triturent les doigts, d’autres s’enfoncent les ongles dans la peau… Romane Garant Chartrand s’attache à filmer ces détails pour faire surgir l’indicible. « Les mots, difficiles à dire, s’accompagnent de gestes. Ces derniers révèlent les signes traumatiques que le corps mémorise et exprime malgré lui. De la même façon, une phrase commencée par l’une et terminée par une autre raconte l’universalité de la souffrance partagée par ces femmes. J’avais envie d’enregistrer cette juxtaposition des voix pour laisser entendre que toutes ces voix ne font qu’une », explique la réalisatrice.

La bande-son joue ainsi un rôle fondamental. Après-coups est un film sonore, un film de témoignages hors-cadre. « Mon souhait était de capter toute la vie qu’on pouvait entendre à La Traverse, tout en préservant l’anonymat des victimes pour ne pas les mettre en danger. Les bruits d’échanges autour du café matinal, les cris et rires d’enfants humanisent les lieux, ou les objets, comme la poupée abandonnée sur une table, la vaisselle dans la cuisine vide, ou les produits d’hygiène posés sur l’étagère de la salle de bain. Je voulais filmer sous tous les angles ce lieu-refuge, réconfortant pour celles qui ont fui leur domicile », indique la cinéaste.

La caméra coup de poing contre les violences

Les premières images d’Après-coups sont des plans d’immeubles et de villas, les lieux de toutes les violences possibles, quel que soit le milieu social. On perçoit que derrière les fenêtres et les portes closes, se jouent peut-être des drames familiaux. Le film se termine finalement là où il a commencé, dans un quartier de Montréal la nuit. Avec sa caméra coup de poing, Romane Garand Chartrand signe un véritable pamphlet contre les violences conjugales. « Mon urgence de faire du cinéma est là, dans cette indignation face aux chiffres des féminicides. Face à ces crimes, on se sent impuissante. Avec ce film, j’avais envie d’élever les voix que l’on fait taire », revendique la cinéaste.

Ce n’est pas un hasard si les slogans des militant·es placardés sur les murs de la ville clôturent le court-métrage. Ils sonnent comme un avertissement aux féminicides : « On ne se taira plus » ; « Nous sommes la voix de celles qui n’en ont plus. »


La réalisatrice

Portrait de Romane Garant Chartrand
Romane Garant Chartrand. Crédits photo : Éva-Maude TC

Romane Garant Chartrand, scénariste et réalisatrice montréalaise, a obtenu un baccalauréat en cinéma de l’UQÀM ainsi qu’un diplôme en scénarisation cinématographique. Elle explore les luttes souvent méconnues des femmes et des groupes marginalisés, donnant corps et voix à leurs vécus.

Son film de fin d’études, Love-moi (2021), se démarque dans une vingtaine de festivals et remporte plusieurs distinctions. À l’obtention de son diplôme, Romane Garant Chartrand est sélectionnée par l’Office national du film du Canada pour réaliser son premier court-métrage documentaire professionnel intitulé Après-coups  (2023), dans le cadre du dispositif Repêchage. Présenté en première mondiale aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal et en première internationale au Festival de court-métrage de Clermont-Ferrand, le film remporte le prix du meilleur court-métrage documentaire au Rendez-vous Québec Cinéma (2024).

Elle travaille actuellement sur un prochain court-métrage documentaire intitulé Corps-à-corps, sur la grossesse imprévue à l’adolescence, ainsi que sur un premier projet de long-métrage documentaire nommé Forteresses, sur la condition féminine dans l’univers carcéral.

Publié le 06/06/2024 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Une aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales | info.gouv.fr

Cette aide sera octroyée à toute victime en situation d’urgence immédiate, sous forme de don ou de prêt sans intérêt, selon la situation financière et sociale de la victime.

Au service de l’ensemble de la population du Québec, SOS violence conjugale offre des services d’accueil, d’information, de sensibilisation, de soutien et de références bilingues, gratuits, anonymes et confidentiels 24h sur 24.

En finir avec les violences sexistes et sexuelles : manuel d'action

Caroline de Haas
Éditions Robert Laffont, 2021

Un manuel qui entend donner à chacun·e des outils concrets pour que cessent les violences sexistes et sexuelles, que ce soit dans son entourage, au travail ou dans la rue. Ils sont précédés d’informations chiffrées, de définitions et d’une explication des mécanismes de violence. © Électre 2021

À la Bpi, niveau 2, 300.11 HAA

Les Violences conjugales

Liliane Daligand
Que sais-je ?, 2023

Un point médical, social et judiciaire sur les violences conjugales et les acteurs de leur prise en charge. © Électre 2023

À la Bpi, niveau 3, 365.71 DAL

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