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Zao Wou-Ki, le dépassement des origines pour un art universel

L’œuvre de Zao Wou-Ki n’a cessé de naviguer d’un continent à un autre, en quête de l’accomplissement d’un art universel. Elle trouve ses origines dans la cosmologie chinoise ancestrale et l’abstraction lyrique qui prit son essor après la Seconde Guerre Mondiale.

Né à Pékin en 1921 dans une famille d’intellectuels chinois, Zao Wou-Ki passe son enfance à étudier la calligraphie. Il grandit à l’époque de la modernisation brutale d’une Chine continûment en guerre civile ou internationale. Lors de ses études à l’École des beaux-arts de Hangzhou, il apprend la peinture traditionnelle chinoise, la théorie de la calligraphie mais aussi la perspective occidentale. C’est chez Cézanne, Matisse et Picasso qu’il commence à puiser son inspiration pour ses premières toiles et s’oppose à l’influence soviétique et au réalisme socialiste. Seuls quelques-uns de ses travaux de jeunesse ont été préservés car « pendant la Révolution culturelle, les gardes rouges sont venus chez mon père et ont tout saccagé : ils ont détruit mes anciennes peintures », raconte le peintre dans son autobiographie Autoportrait .  

La libération de l’abstraction

Son œuvre mêle sa connaissance de la peinture chinoise et la découverte de l’abstraction dans les années cinquante à Paris, alors en pleine effervescence. C’était pour lui la peinture la plus libre qui soit. Elle contraste avec la tradition chinoise, où le paysage est majeur et le peindre consiste à montrer le langage de la nature et l’ordre du monde. Ses premières découvertes de la peinture occidentale le désarçonnent :

« Qui peut comprendre l’énergie qu’il m’a fallu pour écouter, assimiler des leçons de Cézanne et de Matisse et revenir ensuite à cet héritage que m’a légué la peinture des Tang [618-907 après J-C] et Song [960 à 1279 après J-C], qui reste pour moi la plus belle au monde ? ».


Signature de Zao Wou-Ki – Wikipedia CC BY SA

Un exil synonyme d’émancipation

Lorsque Zao Wou-Ki décide de venir à Paris en 1948, son objectif est de reprendre l’art à partir de sa culture d’origine tout en s’en émancipant. En pionnier, il tente sans cesse une sortie de la tradition artistique chinoise qui l’étouffe : « À mes yeux, la peinture chinoise a cessé d’être créatrice dès le XVIe siècle. […] Dès l’enfance, j’ai vécu cette tradition comme un carcan dont je devais me débarrasser ». L’inspiration des peintres occidentaux est alors cruciale pour lui : « Lorsque ma décision [de partir pour la France] fut prise, j’ai de nouveau travaillé très dur, apprenant par cœur l’histoire de la peinture occidentale – jusqu’à David », écrit-il dans son autobiographie. Le premier jour de son arrivée en France, accompagné de son épouse Lalan, il passe tout l’après-midi au Musée du Louvre. En 1961, Zao Wou-ki fait la connaissance de l’écrivain André Malraux qui est alors ministre des Affaires culturelles. Son soutien lui permet d’obtenir la nationalité française deux ans plus tard.

La réconciliation culturelle

Il s’agit pour Zao Wou-Ki de se défaire de la tradition, tout en reconnaissant ses mérites puisque la peinture chinoise « est l’une des plus grandes de l’histoire de l’art ». Après des années passées en France, le peintre chinois devenu français revient peu à peu à l’art ancestral de son pays d’origine, notamment grâce à la découverte de la peinture de Paul Klee, marquée par la culture chinoise, où le flou et le lointain reflètent un esprit de contemplation.

Son rapprochement avec la culture artistique chinoise, qui recherche l’équilibre des contraires, s’effectue aussi sur le plan technique, avec l’utilisation des formes que le pinceau produit en calligraphie, mêlée aux effets de superposition de la couleur à l’huile, caractéristique de la peinture européenne. En 1971, il redécouvre l’encre de Chine sur papier, une technique dont il s’était longtemps éloigné par crainte de tomber dans ce qu’il appelle « la chinoiserie ». Peu à peu, l’encre devient une grande source d’inspiration :

« C’était resté un exercice de style, une espèce de démonstration virtuose dont je me méfiais. Mais, malgré ce sentiment qui me devenait de plus en plus indifférent, je continuais. Je voyais naître des espaces, se faisant ou se défaisant au gré de mes fantaisies, dans une impression envahissante de légèreté : légèreté du pinceau et de la couleur, légèreté du moment, du temps qui passe. En déployant ces taches la vie me devenait plus légère à vivre et le plaisir de ces gestes l’emportait sur les traces de ma mémoire ».

L’art de Zao Wou-Ki, loin de se résumer à un point de départ en Chine pour un aboutissement en Occident est plutôt celui d’un dépassement constant de l’un et l’autre, dans le sens où « la tradition ne doit pas être reniée comme je l’avais fait moi-même, mais qu’elle est un élément de départ pour le travail du peintre et non une fin en soi ».

Publié le 20/09/2021 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Zao Wou-Ki. L'Encre, l'eau, l'air, la couleur. Encres de Chine et aquarelles, 1954-2007

Philippe Dagen et Sophie Cazé
Albin Michel, 2008

Cette sélection d’encres et d’aquarelles fait l’objet d’une exposition au musée de l’hospice Saint-Roch d’Issoudun en juin 2008, qui donne à voir l’œuvre sur papier de Zao Wou-Ki.

À la Bpi, niveau 3, 70″19″ ZAOW 2

Zao Wou-ki

Pierre Daix
Ides et Calendes, 2013

La peinture de Zao Wou-ki s’inscrit dans la lignée immémoriale de l’art chinois parce qu’au lieu de la suivre, elle y apporte les interrogations sur le sens de l’art, plus exactement sur le sens de la peinture.

À la Bpi, niveau 3, 70″19″ ZAOW 2

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