En chiffres

Appartient au dossier : L’Europe sous présidence française

14,9 milliards d’euros pour la sécurité et la défense européennes

L’Union européenne consacre 14,9 milliards d’euros à la sécurité et à la défense dans son budget 2021-2027. Balises revient sur les enjeux de cette dépense commune à l’occasion d’une rencontre sur l’Europe organisée à la Bpi en février 2022.

Jeremy Bezanger sur Unsplash

Défini conjointement par le Parlement européen, la Commission européenne et les gouvernements des États membres réunis en Conseil, le budget de long terme de l’Union européenne (UE) s’élève à 1 210,9 milliards d’euros pour la période 2021-2027. La sécurité et la défense constituent l’une des sept rubriques de dépenses de ce cadre financier pluriannuel : 14,9 milliards d’euros sont consacrés à cette thématique, soit 1,23 % du budget total. Il s’agit d’une évolution notable par rapport au précédent budget, qui pour la période 2014-2020 comportait seulement une catégorie « Sécurité et citoyenneté » concentrée sur la sécurité intérieure et sur la gestion des frontières et des migrations.

Les 14,9 milliards d’euros associés à cette nouvelle rubrique doivent permettre à l’UE de « renforcer son autonomie stratégique », en finançant notamment un nouveau Fonds européen de la défense (FED) de 7,9 milliards d’euros, destiné à encourager la coopération entre États membres, mais aussi entre entreprises du secteur de la défense et de l’armement. Cela favoriserait par exemple l’innovation dans l’industrie aéronautique, l’acquisition conjointe de nouvelles technologies, et l’interopérabilité des équipements déployés par les armées nationales lors d’interventions communes. L’adoption d’un tel budget s’inscrit dans la continuité de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) instaurée avec le traité de Lisbonne de 2007.

La défense européenne, une priorité pour 2022 ?

La défense est au cœur de l’actualité de l’UE : en mars 2022 doit être présentée la Boussole stratégique européenne, un document définissant une stratégie de sécurité et de défense commune à partir d’une analyse de la position et des risques encourus par l’UE sur la scène internationale. Issu d’un travail collectif lancé en juin 2020, ce livre blanc doit être rédigé par le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) après des échanges avec les États membres. Une première version a été présentée en novembre 2021 par Josep Borrell, le Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Celui-ci estime que « l’UE doit devenir un fournisseur de sécurité pour ses citoyens qui protège nos valeurs et nos intérêts ». Pour ce faire, le SEAE recommande d’accroître la rapidité d’intervention de l’UE, d’investir dans des technologies militaires communes, et de mobiliser davantage de moyens pour lutter contre les « menaces hybrides » (cyberattaques, manipulation de l’information…).

L’adoption définitive de cette Boussole stratégique est prévue pour mars 2022. Elle coïncide donc avec la présidence française du Conseil de l’UE, dont la promotion d’une politique de défense commune constitue l’une des priorités. Le programme établi par la France pour cette présidence tournante en appelle ainsi à une « Europe plus forte » face à « l’affirmation de puissances hostiles », à même d’œuvrer à « la prospérité et la stabilité de son voisinage, en particulier par son engagement dans les Balkans occidentaux et la refondation de sa relation avec l’Afrique ». Le développement d’une « stratégie spatiale en matière de sécurité et de défense » et l’accès de l’UE aux « espaces stratégiques contestés », en particulier maritimes, sont également des préoccupations centrales, ce qui fait largement écho aux recommandations de la Boussole stratégique.

Ce programme s’inscrit dans la continuité du discours de la Sorbonne de 2017, dans lequel Emmanuel Macron avait précisé les ambitions de la France en matière de défense communautaire. Cette impulsion a notamment conduit à l’adoption du FED et à une coopération entre la France, l’Allemagne et l’Espagne pour développer de nouveaux chars et avions de combat.

Plus largement, l’adoption du nouveau budget de sécurité et défense puis de la Boussole stratégique constitue une réponse de l’UE à l’actualité internationale. La Boussole propose par exemple d’investir dans la recherche afin d’assurer l’indépendance de la défense européenne sur le plan technologique et industriel. De fait, cela viendrait aussi accroître le marché intérieur de l’armement, offrant des débouchés fiables aux entreprises européennes au-delà des commandes honorées, ou non, par des puissances extérieures – comme l’a montré la récente crise des sous-marins entre la France, l’Australie et les États-Unis.

La défiance de l’ancien président des États-Unis Donald Trump vis-à-vis de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan) a également conduit les dirigeants européens à réfléchir à de nouvelles garanties de sécurité indépendantes des volte-face américaines. La présentation de la Boussole stratégique en novembre 2021 a d’ailleurs suivi de peu le retrait des troupes américaines d’Afghanistan sans concertation avec leurs partenaires de l’alliance atlantique.

Un point sensible dans les relations communautaires

La relation avec les États-Unis reste toutefois un point sensible dans l’élaboration d’une politique de défense communautaire. Certains acteurs voient dans la Boussole stratégique une nouvelle forme de complémentarité entre UE et Otan – Josep Borrell affirme par exemple que « la responsabilité stratégique européenne est le meilleur moyen de renforcer la solidarité transatlantique ». D’autres, à l’inverse, y distinguent une nouvelle source de vulnérabilité – à l’instar des Pays-Bas très attachés à l’alliance atlantique, ou des États membres d’Europe de l’Est préoccupés par les ambitions russes.

À ces divergences dans la perception des menaces viennent s’ajouter des différences de moyens financiers et de volonté d’action, qui limitent l’action de l’UE en matière de défense. L’Union ne dispose pour l’instant d’aucune armée permanente : l’envoi de missions dans des zones de conflit dépend des États membres fournissant, ou non, des forces militaires. La Boussole stratégique recommande d’ailleurs l’instauration d’une « capacité de déploiement rapide » rassemblant cinq mille militaires, mais la création de cette force modulable et temporaire se heurte à la réticence de certains États et acteurs politiques, qui y voient une possible remise en cause de leur souveraineté.

La majorité des décisions de l’UE en matière de sécurité et de défense requièrent pour l’instant l’accord de tous les pays membres, qui restent par ailleurs libres de définir et de mettre en œuvre leur politique de défense nationale. Les budgets que les États membres consacrent à leur propre défense sont ainsi en augmentation, avec un montant cumulé d’environ 200 milliards d’euros en 2020, sans que cette croissance ne bénéficie nécessairement à la défense européenne et aux achats d’équipement en commun. L’inclusion de 14,9 milliards d’euros consacrés à la sécurité et à la défense dans le budget de long terme de l’UE constitue une première avancée pour les partisans d’une Europe de la défense, mais la coordination des projets et des moyens se heurte encore largement à l’affirmation des souverainetés nationales.

Publié le 07/02/2022 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

La Politique étrangère européenne

Maxime Lefebvre
Presses universitaires de France, 2016

Cet ouvrage présente les institutions et enjeux de la politique étrangère et de sécurité de l’UE.

À la Bpi, niveau 2, 326.6 LEF

Transformations et réformes de la sécurité et du renseignement en Europe

Sébastien-Yves Laurent et Bertrand Warusfel (dir.)
Presses universitaires de Bordeaux, 2016

Cet ouvrage collectif analyse la construction d’une Europe de la sécurité et de la défense dans ses dimensions historique, économique, politique et stratégique.

À la Bpi, niveau 2, 326.6 TRA

Josep Borrell : Une boussole stratégique pour l'Europe | Project-Syndicate.org, 12 novembre 2021

Josep Borrell, Haut Représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, revient dans cet article sur les actions de défense commune envisagées dans la première version de la Boussole stratégique, présentée en novembre 2021.

À lire sur Project-Syndicate.org (inscription gratuite)

L’Armée européenne, un vieux rêve resté tabou | Le Monde, 30 septembre 2020

Cet article revient sur les projets de coopération militaire et industrielle développés par l’UE, envisagés ici comme une solution de compromis devant pallier l’absence d’armée commune.

Qu'est-ce que le Fonds européen de défense ? | Touteleurope.eu, août 2021

Cet article identifie les origines et objectifs du FED, lancé en 2021 pour soutenir les industriels de l’armement.

« L'Union européenne est-elle prête pour une défense commune ? », Le Temps du débat | France Culture, 16 novembre 2021

Cette émission évoque les enjeux et limites des ambitions européennes en matière de défense, au lendemain de la présentation de la Boussole stratégique.

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