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2024, année noire pour la liberté d’information

En 2024, près de la moitié de la population mondiale, répartie dans 76 pays, est appelée aux urnes. La guerre en Ukraine se poursuit et le Proche-Orient s’enflamme. Dans ce contexte tendu, les conditions de travail des journalistes se compliquent partout dans le monde.

Classement mondial de la liberté de la presse 2024Reporters sans frontières (RSF), carte interactive en ligne.

Un bilan qui s’annonce lourd en 2024

L’année 2024 n’est pas terminée que Reporters sans frontières (RSF) dénombre déjà 42 journalistes mort·es dans l’exercice de leurs fonctions, et 556 journalistes et 28 collaborateur·rices de médias emprisonné·es (chiffres consultés au 30 septembre 2024). L’année 2023 détenait pourtant le dramatique record de 320 professionnel·les des médias en détention selon l’Unesco (403 dans le baromètre RSF 2023).

Au niveau mondial, 75 % des pays présentent une situation défavorable à la liberté de la presse. En effet, d’après le classement RSF de 2024, huit pays seulement (Norvège, Danemark, Suède, Pays-Bas, Finlande, Estonie, Portugal, Irlande) présentent une « bonne situation » pour les journalistes et 37 une « situation plutôt bonne » sur les 180 pays notés.

Des lois inquiétantes pour la liberté de la presse

Le principal point d’inquiétude réside dans la dégradation de l’indicateur politique, l’un des cinq critères d’évaluation retenus par l’organisation de défense de la liberté du journalisme. Ce recul met en évidence non seulement la déresponsabilisation des États, mais aussi, dans certains cas, leur implication directe dans la disqualification ou la manipulation des médias.

Pour limiter l’action des journalistes et restreindre leur parole, plusieurs États, sur plusieurs continents, promulguent de nouvelles lois qui leur permettent de les poursuivre ou de les emprisonner. Depuis 2022, au moins huit pays ont renforcé leur législation.

Russie : Les lois sur les « agents étrangers » et la censure liée à la guerre en Ukraine sont renforcées en 2022. Le nombre et la durée des peines pour publication dénonçant la guerre augmentent en 2023. Pour accentuer encore l’effet dissuasif de cette législation, le Parlement russe vote, en 2024, en faveur de la confiscation des biens des inculpé·es.

Géorgie : L’adoption en 2024 d’une nouvelle loi relative aux « influences étrangères », inspirée du modèle russe, restreint la liberté des journalistes. La Géorgie envoie un signal en totale contradiction avec sa position : elle est officiellement candidate, depuis décembre 2023, à l’adhésion à l’Union européenne et aspire à intégrer l’Otan. Malgré les demandes de retrait de cette loi par l’Otan, l’ONU et la Commission européenne, mais aussi une grande partie de la population géorgienne, la loi est adoptée.


Turquie : Une inquiétante loi sur la « désinformation » de 2022 permet d’emprisonner des journalistes et, plus largement, toute personne qui diffuse ou encourage la diffusion des informations « fausses et ayant pour but de susciter la panique » sur des sujets en lien avec la sécurité nationale, l’ordre public et la santé publique.


Argentine : Le gouvernement ultralibéral, nouvellement élu et ouvertement hostile aux médias, ferme la principale agence de presse publique, Télam en 2024. Les sites web et des réseaux sociaux des médias publics sont suspendus en mai 2024. Ces médias sont menacés de privatisation par la vaste entreprise de dérégulation de la loi dite « omnibus », portée par le président argentin Javier Milei.


Nicaragua : Une loi permet de poursuivre les « opposant·es au régime », même lorsqu’iels vivent à l’étranger (2024). Les entreprises et les organisations non gouvernementales (ONG) peuvent également être sanctionnées. Cette loi intervient alors que l’ONU pointe l’augmentation des emprisonnements arbitraires et des persécutions à l’encontre des opposant·es au gouvernement depuis 2023.


Niger : Des peines instaurées en cas de délit de diffamation ou d’injures pèsent sur la presse (2024). Ces sanctions avaient été abolies en 2022, pour se mettre en situation de conformité avec la loi de 2010 sur la liberté de la presse.


Tunisie : L’application d’un décret encadrant la cybercriminalité affecte la liberté d’expression et encourage l’autocensure (2023). Amnesty International dénonce une « intolérance grandissante à l’égard de la dissidence » en Tunisie depuis 2021. La place du pays dans le classement de Reporters sans frontières confirme cette régression de la liberté d’expression.


Hong-Kong : Sous la pression de Pékin, un nouvel article (article 23) est ajouté à la loi sur la sécurité nationale. Il instaure de nouvelles infractions passibles de prison à perpétuité, parmi lesquelles la trahison et l’ingérence étrangère (2024). Le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme souligne « l’incompatibilité d’un grand nombre de ses dispositions avec le droit international relatif aux droits de l’homme ».

Une veille constante sur les entraves à la liberté d’expression

Plusieurs observatoires tiennent le décompte des exactions contre les journalistes et évaluent les politiques publiques en faveur de la liberté des médias. Parmi celles-ci, l’International Press Institute (IPI), la Freedom of the Press Foundation, l’International Federation of Journalism (IFJ) le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), Article 19 ou RSF.

L’Unesco, très impliquée dans la défense de la liberté d’expression, interpelle régulièrement les États, leur réclamant des enquêtes sur les assassinats de journalistes.

Publié le 02/12/2024 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Classement 2024 | Reporters sans frontières

«nbsp;L’objectif du Classement mondial de la liberté de la presse est de comparer le degré de liberté dont jouissent les journalistes et les médias dans 180 pays ou territoires. La définition de la liberté de la presse retenue par RSF et son panel d’experts pour élaborer son Classement est la suivantenbsp;: « La liberté de la presse est la possibilité effective pour les journalistes, en tant qu’individus et en tant que collectifs, de sélectionner, produire et diffuser des informations dans l’intérêt général, indépendamment des interférences politiques, économiques, légales et sociales, et sans menace pour leur sécurité physique et mentale. »nbsp;» (déclaration de RSF)

Forbidden Stories - Keep stories alive

« Partout dans le monde, des journalistes sont emprisonnés, enlevés, assassinés, privant ainsi des millions de personnes d’informations d’intérêt général. C’est pour contrer cela que Forbidden Stories existe. Notre organisation à but non lucratif, unique au monde, protège le travail de journalistes menacés et poursuit les enquêtes des reporters réduits au silence. […] Forbidden Stories vise à garantir l’accès à l’information d’intérêt général, tout en dissuadant les crimes et violences à l’encontre des journalistes. Car il est vital pour nos démocraties qu’un contre-pouvoir comme la presse puisse enquêter et révéler des crimes contre l’environnement, des affaires de corruption, de surveillance, de crime organisé, de désinformation, des violations des droits humains.nbsp» (Extrait de la présentation du site sur l’onglet À propos)

L'Affaire Wikileaks. Médias indépendants, censure et crimes d'État

Stefania Maurizi
Agone éditeur, 2024

La journaliste a enquêté durant des années sur Wikileaks et la répression journalistique dont fait l’objet cette plateforme qui prétend se battre contre les dérives du pouvoir. Elle dénonce les méthodes totalitaires employées par le complexe militaro-industriel américain pour dissimuler des crimes d’État tout en exerçant une surveillance de masse au prétexte de lutter contre le terrorisme. © Électre 2024

À la Bpi, niveau 1, 071.1 MAU

Bad news. Derniers journalistes sous une dictature

Anjan Sundaram
Marchialy, 2018

Le grand reporter indien, mandaté en 2009 par l’Union européenne pour enseigner le journalisme au Rwanda, dénonce la répression exercée par le gouvernement rwandais à l’encontre des journalistes à l’approche de l’élection présidentielle. Il revient sur les risques encourus par ses élèves, confrères et consœurs dans un contexte politique où la liberté d’expression est menacée. © Électre 2018

À la Bpi, niveau 1, 079.2 SUN

Information : les menaces des dictatures sur les journalistes se veulent de plus en plus visibles et dissuasives | Radio France, 17 avril 2024

L’organisation Reporters sans frontières, basée en Angleterre, a tenu une conférence de presse mercredi 17 avril 2024 pour demander aux autorités anglaises de mieux protéger les journalistes iranien·nes qui travaillent sur le sol britannique.

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