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Journalistes en danger

Présents en première ligne lors des guerres, crises ou manifestations, les journalistes sont non seulement les rapporteurs mais aussi les victimes de la violence. Confronté à l’autoritarisme des États, comme à l’oppression d’organisations mafieuses, leur travail est régulièrement contesté. Balises revient sur les exactions que subissent les journalistes à l’occasion de la rencontre « Affronter la violence du réel », proposée en octobre 2022 à la Bpi dans le cadre du cycle Profession reporter.

Un journaliste à terre, devant deux hommes armés
Terrorists with weapon captured journalist hostage. Kaninstudio / DepositPhoto

Des journalistes protégés par le droit ?

Les journalistes sont en principe protégés par le droit à la liberté d’expression qui sous tend le droit de la presse et est garanti par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) qui affirme ce droit a été adopté à New York le 16 décembre 1966. En 2018, il est ratifié par 172 pays dans le monde. Les pays européens, les États-Unis ainsi que des pays non démocratiques comme la Chine, la Fédération de Russie ou la Syrie en sont signataires. 

Le droit international protège également les correspondants de guerre : l’article 79 du premier Protocole additionnel aux Conventions de Genève et le droit international humanitaire (DIH) considèrent les journalistes comme des personnes civiles : ils doivent être épargnés et traités, en cas d’arrestation, comme des prisonniers de guerre.

Ces droits sont repris par les législations nationales, mais assortis d’articles qui en limitent la portée : l’incitation à la violence, la diffamation ou la publication de fausses nouvelles sont par exemple interdites. Ces restrictions peuvent entraîner des dérives, au gré des circonstances, dans les États les moins démocratiques. En 2022, la Turquie, la Tunisie et la Russie ont voté des lois contre les « informations mensongères » sur le gouvernement ou l’armée, qui peuvent conduire à des peines de prison. Les États peuvent également en appeler à la sécurité nationale pour restreindre la protection des sources, essentielle à la liberté de la presse, et ainsi faire peser sur les journalistes et leurs témoins des pressions allant jusqu’à l’emprisonnement. En 2020, 184 journalistes ont été détenus pour des accusations « antiétatiques ».  

En outre, le droit se montre impuissant face à des violences émanant de groupes terroristes ou mafieux à l’origine d’attaques, de kidnappings et d’assassinats. L’association Reporters sans frontières (RSF) qui évalue chaque année les limites au droit d’informer imposées par des entités étatiques et non étatiques dans 180 pays, considère la situation problématique dans 62 pays, difficile dans 42 et très grave dans 28. La France arrive à la 32e place de ce classement mesurant le respect de la liberté de la presse.

Des journalistes victimes de violences

Quoique protégés par le droit international, les journalistes restent donc soumis à des violences constantes. Depuis 1993, selon l’Unesco, 1 551 journalistes ont été tués dans le monde. Selon l’association RSF, 36 d’entre eux ont perdu la vie au premier semestre 2022. Si le nombre de décès a diminué depuis cinq ans, on ignore encore s’il s’agit d’une tendance pérenne, ou d’un effet de la pandémie qui a limité les reportages et les enquêtes.

Les zones de guerre restent très meurtrières pour les journalistes : entre 2016 et 2022, RSF a ainsi dénombré 60 décès en Afghanistan, 28 au Yémen et 64 en Syrie. Mais les pays sans conflit ouvert comptent néanmoins entre 40 et 60 % du total des victimes, selon les années. Les reportages sur la criminalité ou la corruption s’avèrent toujours dangereux : le Mexique compte par exemple 90 journalistes assassinés entre 2016 et 2022, essentiellement à la suite d’enquêtes sur le narcotrafic. De nouveaux sujets sensibles, comme ceux ayant un lien avec la défense de l’environnement, entraînent aussi leur lot de victimes : 21 journalistes travaillant sur ces sujets ont été tués au cours des années deux mille dix.

Par ailleurs, le nombre de journalistes emprisonnés a battu un record en 2021 avec 706 détenus ; les plus nombreux sont détenus en Chine (124), en Birmanie (111), et en Biélorussie (60).

Si les journalistes sont confrontés à une violence extrême dans des pays où les droits de l’homme sont peu respectés, de nouvelles menaces se développent également dans des pays démocratiques. La défiance envers les médias et la prolifération des fake news sont à l’origine de discours de haine à leur encontre. En France, par exemple, les journalistes se sont parfois trouvés face à des manifestants violemment hostiles lors des premiers actes des gilets jaunes ou lors de marches contre le passe sanitaire. Les manifestations qui sont déroulées entre 2019 et 2022 ont également été l’occasion d’agressions de journalistes par les forces de l’ordre.

Enfin, de nouvelles formes de violences ont été révélées ces dernières années comme le harcèlement en ligne, dont les femmes sont les premières victimes : 73 % des femmes journalistes ont déclaré avoir été victimes de cyberharcèlement, comme l’a révélé une enquête réalisée en 2020 par l’Unesco dans 125 pays. Les femmes sont aussi particulièrement visées par les agressions sexuelles sur les terrains de reportages… comme au sein des rédactions. En France par exemple, la consultation en ligne #EntenduàlaRédac auprès de femmes journalistes a révélé 3 000 faits de violences sexistes et sexuelles. La précarité du métier de journaliste et la nécessité de préserver sa réputation dans un secteur très concurrentiel ne permettent pas toujours aux victimes de porter plainte. 

Une impunité dangereuse

Un des principaux écueils auquel se heurte la sécurité des journalistes reste l’impunité. Sur 1 200 cas d’assassinats de journalistes dans le monde entre 2006 et 2020, 87 % n’ont pas été élucidés, selon l’Observatoire de Unesco des journalistes assassinés. Il existe d’importantes disparités disparités d’une région à l’autre : le Moyen-Orient compte 98 % de cas non résolus. Si l’Europe et l’Amérique du Nord obtiennent de meilleurs résultats, on y recense tout de même 52 % de crimes impunis.

Les situations de guerre rendent évidemment les enquêtes très difficiles, les armées étant peu enclines à laisser accuser leurs soldats. Dans des pays qui ne sont pas en guerre, les investigations peuvent être empêchées ou ralenties par les groupes politiques ou mafieux qui disposent de moyens importants pour faire obstacle à la justice. Des systèmes judiciaires engorgés et des magistrats mal formés au droit international en matière de liberté d’expression n’améliorent pas la situation. De ce fait, les crimes contre les journalistes sont régulièrement traités comme des faits de droit commun, sans lien avec l’exercice de leur profession.

Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme s’est alarmé de cette impunité qui remet factuellement en cause la liberté de la presse et réduit au silence nombre de journalistes. Les Nations unies ont mis en place un plan d’action sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité et instauré tous les 2 novembre, une Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre des journalistes. Il s’agit de sensibiliser les États membres à la question de l’impunité, les obliger à mener des enquêtes en cas d’agression et renforcer la législation pour améliorer la résolution de ces cas. Une autre initiative a été prise par plusieurs organisations de défense de la liberté de la presse : Free Press Unlimited (FPU), RSF et le Comité pour la protection des journalistes (CPJ). Elles se sont tournées vers le Tribunal permanent des peuples pour mettre en accusation les gouvernements du Sri Lanka, du Mexique et de Syrie qui n’ont pas rendu justice dans plusieurs affaires de meurtre.

Publié le 03/10/2022 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Reporters sans frontières

Reporters sans frontières assure la promotion et la défense de la liberté d’informer et d’être informé partout dans le monde. L’organisation, basée à Paris, compte des bureaux à l’international (Berlin, Bruxelles, Genève, Madrid, Stockholm, Tripoli, Tunis, Vienne et Washington) et plus de 150 correspondants répartis sur les cinq continents.

AFP, les survivants de l'information

Jacques Thomet
Hugo Doc, 2009

L’Agence France-Presse compte plus de 2 000 journalistes dans le monde. Plusieurs centaines d’entre eux ont été tués, blessés, enlevés, emprisonnés, expulsés ou menacés de mort. Cet ouvrage recueille les témoignages de quelque 120 d’entre eux sur les situations délicates où ils ont pu se retrouver dans leur recherche d’information.

À la Bpi, niveau 1, 073.4 THO

Sécurité des journalistes | Unesco

Ce site de l’Unesco informe sur les différentes initiatives de l’organisation pour promouvoir la sécurité des journalistes et lutter contre l’impunité de ceux qui les agressent.

Il est temps de briser le cycle des violences contre les journalistes : points clés du Rapport 2016 de la Directrice générale de l'Unesco sur la sécurité des journalistes et le danger de l'impunité | Unesco, 2016

Le chiffre de 827 assassinats recensés par l’Unesco en dix ans donne la mesure des risques auxquels s’exposent ceux qui exercent leur droit d’exprimer des opinions et de diffuser l’information. À cela s’ajoutent les nombreuses autres atteintes à leurs droits subies par les journalistes, notamment les cas d’enlèvement, de détention arbitraire, de torture, d’intimidation et de harcèlement, hors ligne et en ligne, et de saisie ou destruction de matériel.

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