Appartient au dossier : IA, le grand bluff
L’IA en classe : une intégration réfléchie
Alors que 80 % des lycéens et lycéennes utilisent déjà l’intelligence artificielle dans leur travail scolaire, seulement 20 % du corps enseignant s’en empare. Un déséquilibre qui tend à se résorber sous l’effet d’une réflexion stratégique menée depuis une décennie à l’échelle nationale et internationale.
IA, une opportunité pour l’éducation reconnue
Dès 2015, les États membres de l’Unesco s’engagent, dans la Déclaration de Qingdao, à s’approprier les technologies émergentes pour « assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie ». Le Consensus de Beijing adopté en 2019 franchit un pas supplémentaire en esquissant le premier cadre mondial d’intégration de l’IA dans les politiques éducatives.
En France, le terrain semble propice à cette mutation : deux tiers de l’opinion publique sont favorables à l’usage de l’IA dans le domaine éducatif, d’après une enquête Ipsos réalisée fin 2024. Le ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche considère l’IA comme une opportunité et compte relever le défi de l’utiliser tout en restant attentif au cadre éthique, à la transparence et à la sécurité des outils sélectionnés pour un usage en classe.
L’éducation et la formation au numérique
Réseau Canopé, opérateur du ministère pour la formation des enseignant·es, s’est intéressé dès 2017 à l’impact potentiel des intelligences artificielles sur la préparation de cours, l’apprentissage en classe ou encore l’accompagnement des parents à son usage. « À chaque fois que nous sommes confronté·es à de nouvelles technologies ou de nouveaux usages, cela remet en question certains préceptes de l’éducation », explique Romain Vanoudheusden, directeur de l’innovation de Réseau Canopé. L’arrivée d’Internet à la fin des années 1990 et l’apparition de Wikipédia ont suscité des débats similaires.
« Cette remise en cause est salutaire pour accompagner l’évolution de l’éducation, poursuit-il. En 2022, quand les IA génératives ont été mises à la disposition du grand public, tout s’est accéléré. Mais la réflexion et le travail réalisés en amont ont permis au réseau de pouvoir proposer des formations à destination des enseignant·es dès janvier 2023. Aujourd’hui, 15 000 d’entre elles et eux ont bénéficié d’une formation à l’IA réalisée par Canopé. » La communauté éducative a également à sa disposition de nombreuses ressources : Mooc, formations internes, webinaires, et la presse spécialisée qui publie régulièrement sur le sujet.
Des outils IA à l’école
Par ailleurs, l’intelligence artificielle a déjà, discrètement, fait son entrée dans les classes. En maternelle, les élèves travaillent l’algorithmique à l’aide de petits robots. En primaire et au collège, le jeu de Nim permet de verbaliser le raisonnement et d’aborder les notions de boucle et d’instruction conditionnelle.
Depuis septembre 2024, des assistants pédagogiques intelligents sont à la disposition des équipes pédagogiques. Déployés en cycle 2 (CP, CE1 et CE2), prochainement en cycle 3 (CM1, CM2, 6e), des outils facilitent l’apprentissage des mathématiques ou encore du français, à l’instar d’Adaptiv’Math, Smart Enseigno, Lalilo et Navi. À partir du lycée, Nolej AI permet aux enseignant·es de créer des supports de cours variés à partir des données confiées à l’outil.
À la rentrée 2026, une IA souveraine sera mise au service des professionnel·les de l’enseignement, a annoncé la ministre de l’Éducation lors du Sommet de l’IA à Paris, qui a eu lieu en février 2025. En attendant, le ministère reste vigilant au sujet de l’exploitation qui pourrait être faite des données et des productions des élèves. C’est surtout le cas en matière d’outils d’intelligence artificielle générative, comme le rappelle Romain Vanoudheusden : « la politique du ministère et de Réseau Canopé est d’encourager les enseignant·es à s’emparer des potentiels de l’IA en termes de conception et de création de cours. En revanche, nous invitons à l’utiliser le moins possible avec les élèves, au moins jusqu’à l’âge de douze ou treize ans. Dans tous les cas, l’utilisation se fait en groupe encadré, à partir d’adresses e-mail sécurisées. »
Une acculturation numérique plutôt qu’une formation à un outil
Le directeur de l’innovation rappelle que la mission de Réseau Canopé n’est pas de courir après les outils, mais de développer une véritable culture numérique. « Les compétences numériques du corps enseignant sont ainsi améliorées et, par ricochet, celles des élèves. Ils et elles s’adaptent et éveillent cette curiosité qui permet de développer les capacités nécessaires à l’appréhension des nouveautés technologiques. Un outil peut disparaître en deux semaines et être remplacé par un autre encore plus pertinent, surtout dans le domaine des IA génératives », argumente Romain Vanoudheusden. Avec neuf lycéen·nes sur dix qui utilisent déjà l’IA, le rôle de la communauté éducative consiste plutôt à accompagner une première appropriation des concepts philosophiques et éthiques liés à l’intelligence artificielle.
Une adaptation de l’enseignement
C’est déjà une réalité : 80 % des élèves et des étudiant·es font leurs devoirs avec l’IA. Il est, en outre, vain de lutter contre cette pratique, puisque les détecteurs d’IA sont peu fiables. Dès lors, la communauté éducative doit envisager que l’élève travaille différemment, et non moins qu’avant. D’ailleurs, pour Romain Vanoudheusden, faire ses devoirs avec l’IA générative n’est pas plus malhonnête que de s’aider de Wikipédia ou de travailler avec ses parents, ses frères et sœurs. Le formateur cite le cas d’une professeure de philosophie qui note aussi les brouillons de devoirs, puisqu’ils rendent compte du cheminement intellectuel de l’élève.
L’IA offre également de formidables opportunités en termes d’ingénierie pédagogique, comme l’adaptation des énoncés aux besoins de certains élèves (troubles dys, décrochage scolaire, etc.), la création de groupes, ou encore la conception de nouveaux formats. Avec l’intelligence artificielle prédictive, il sera même possible de détecter des signaux faibles de décrochage sur un exercice et de proposer des remédiations à l’élève. C’est sans doute aussi pour les enseignant·es l’occasion de reconquérir du temps à consacrer à leur mission principale, l’accompagnement des élèves vers le savoir et l’épanouissement, en déléguant aux machines intelligentes les tâches répétitives ou administratives.
Un campus d’excellence de l’IA à Paris
Depuis 2012, la cité scolaire Paul Valéry (Paris 12e) offre des enseignements et des ateliers informatiques en intelligence artificielle pour tous les niveaux, de la 6e aux classes préparatoires.
L’établissement est le siège du nouveau Campus IA, un projet conjoint de la Région, du Rectorat et des académies d’Île-de-France, auquel s’est associée Sorbonne Université. Il ambitionne de « sensibiliser et acculturer les publics à l’IA » – élèves, enseignants, mais aussi grand public, de « former à l’IA et par l’IA » en mobilisant des entreprises innovantes, de « diffuser » ces nouveaux savoirs au sein des entreprises franciliennes.
Le projet vise également à promouvoir la féminisation des carrières dans l’IA, alors que seulement 1 % des filles choisissent la spécialité Numérique et sciences de l’informatique en classe de Terminale.
En 2026, un tiers-lieu comprenant des espaces de formation, de coworking et des laboratoires, sera édifié à côté de la cité scolaire, pour favoriser les synergies et parachever ce nouveau campus.
Marine Planche, Bpi
Publié le 02/06/2025 - CC BY-SA 4.0
Pour aller plus loin
Réseau Canopé
Construire aujourd’hui l’enseignement de demain.
Éducation et Intelligence artificielle
Fédération européenne des écoles
l'Harmattan, 2024
Études sur les usages et les conséquences de l’intelligence artificielle dans le secteur de l’éducation. Les contributeur·rices analysent les possibilités ainsi que les enjeux d’une éducation à l’intelligence artificielle, mais surtout d’une intelligence artificielle au service de l’éducation. © Électre 2024
À la Bpi, 371.36 EDU
« Intelligence artificielle et pédagogie » | Cahiers pédagogiques n°593
Julie Higounet et Jean-Michel Zakhartchouk (dir.)
CRAP -Cahiers pédagogiques,
L’intelligence artificielle fait partie de notre quotidien depuis longtemps, mais l’intelligence artificielle générative a fait une entrée fracassante dans nos vies il y a moins de deux ans. Aucun pan n’est épargné, cela interroge donc aussi les pratiques pédagogiques. Comment, quand et pourquoi l’utiliser en classe ?
À la Bpi, 37(0) CAH
À consulter dans Cairninfo, à la Bpi
Intégrer l'intelligence artificielle à l'université
Pierre Martinez
L'Harmattan, 2024
Réflexion sur les moyens à mettre en place pour intégrer l’intelligence artificielle dans l’enseignement supérieur et les organismes de recherche. © Électre 2024
À la Bpi, 378 MAR
« IA et éducation » | Sénat
Rapport d’information n° 101 (2024-2025), déposé le
Stratégie du numérique pour l’éducation 2023-2027 | education.gouv.fr
La stratégie numérique pour l’éducation 2023-2027 repose sur une série de mesures pour renforcer les compétences numériques des élèves et accélérer l’usage des outils numériques pour la réussite des élèves.
Les champs signalés avec une étoile (*) sont obligatoires