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Appartient au dossier : Machines sonores fracassantes

Chasser les sons : trois approches expérimentales

Collecter toutes sortes de sons permet aux artistes d’expérimenter divers chemins dans la création musicale. Balises propose une sélection de trois œuvres réalisées par des chasseur·euses de sons.

Une main tend un enregistreur pour capter les sons de la nature
© Anne Bléger, Bpi

L’environnement est une source inépuisable de sons pour les artistes. Les chasseur·euses de sons ne s’intéressent pas aux mêmes types de matériaux sonores. Christina Kubisch et Felix Kubin capturent, par exemple, essentiellement les bruits citadins, tandis que Catherine Béchard et Sabin Hudon prêtent davantage l’oreille aux bruits de la nature.

Les artistes s’approprient aussi la matière sonore collectée de différentes manières. Certain·es, comme Catherine Béchard et Sabin Hudon, réalisent des installations dans des musées ou centres d’art, pour faire entendre leur œuvre aux visiteur·euses. D’autres réintroduisent les sons capturés dans une création musicale sur scène, lors d’un concert ou d’une performance, comme le font l’Allemande Christina Kubisch ou l’Américaine Laurie Anderson.  

La Circulation des fluides  (2008-2009) de Catherine Béchard et Sabin Hudon

« La Circulation des fluides est une installation sonore, composée de pavillons en papier de dimensions variées, portés par une structure en bois aux nombreuses lignes de fuites qui s’entrecroisent, multipliant les points de vue et les horizons. Chaque pavillon est muni d’un haut-parleur, d’un canal d’amplification et d’un capteur à ultrasons. Par ses mouvements et ses déplacements, le visiteur qui déambule dans l’espace active l’émission et façonne les modulations de sonorités subaquatiques de diverses natures, qui ont été captées par hydrophones (micros étanches à l’eau). » C’est ainsi que Catherine Béchard et Sabin Hudon décrivent leur œuvre, composée de huit cônes diffusant plus de 50 sons. Le dispositif est mécanique et interactif, dans le sens où ce sont les mouvements humains – ceux des spectateur·rices – qui sont la cause du résultat sonore final, toujours différent.

Cette installation témoigne de l’intérêt commun des deux artistes canadien·nes pour les bruits de la nature et du vivant et de leur volonté de placer « l’écoute attentive et ce qui échappe aux perceptions immédiates du monde […] au centre de leur pratique ». Catherine Béchard s’est formée en arts visuels et Sabin Hudon est musicien. Le duo travaille ensemble depuis 1999 et a réalisé de nombreuses expositions collectives et performances audio au Canada, au Brésil, en Allemagne, en Chine, en Croatie.

Les Raquettes magnétiques  (2020) de Christina Kubisch 

Présentation du travail de Christina Kubisch dans l’émission Tracks d’Arte

Dans Interference, création présentée au festival Ars Electronica de Linz en 2020 avec la percussionniste Katharina Ernst, l’artiste sonore allemande Christina Kubisch (née en 1948) utilise des raquettes, qu’elle a elle-même confectionnées, pour détecter et amplifier des sons électromagnétiques. La « chasseuse de sons », comme Christina Kubisch se définit elle-même, a enroulé sur les bords extérieurs des deux raquettes une bobine de câbles, en circuit fermé. Le champ électromagnétique autour de ces objets détournés de leur fonction, branchés avec une prise jack à un amplificateur, lui permet ainsi de capter directement le son.

Dès la fin des années 1970, Christina Kubisch concentre ses recherches sur le système électromagnétique à induction. Elle a organisé, depuis 2003, plus de 60 marches électroniques, des promenades dont le but est d’enregistrer des bruits dans des villes du monde entier. Distributeurs de billets, portillons de sécurité, machines de détection du taux d’alcoolémie dans les parkings ou encore tramways sont des sources de matériaux sonores qui l’intéressent. Avec un appareil enregistreur, l’artiste part à la recherche de bruits urbains, un peu à la manière de Felix Kubin, filmé par Marie Losier dans Felix in Wonderland (2019) en train de capter toutes sortes de sons dans la rue. « Avec son travail, [elle] souligne l’impact de ces technologies omniprésentes », précise l’émission Tracks d’Arte, consacrée à Christina Kubisch.

Formée très jeune à la musique – violon, accordéon et flûte – et à l’académie des Beaux-arts, cette artiste a toujours conjugué arts plastiques et son dans son travail.

L’Archet magnétique (1978) de Laurie Anderson 

Laurie Anderson et son Tape Bow (1978) – durée 2 minutes

 « Son violon enchanté, trafiqué, tantôt blanc, tantôt gris perle, tantôt luminescent (violon-néon, flamboyant vert) est équipé non seulement d’un microcontact mais aussi d’une tête de lecture électronique. Car l’archet, de même, est bricolé : si elle joue ce ne sont pas des crins qui glissent sur les cordes, mais une bande magnétique, préenregistrée », écrit Mathilde La Bardonnie dans Le Monde du 29 novembre 1982, au sujet de l’instrument imaginé par Laurie Anderson.

C’est à la fin des années 1970 que la musicienne et artiste expérimentale américaine, née en 1947, conçoit son Tape Bow. Le Tape Bow est « un violon muni d’une tête de lecture de magnétophone sur laquelle passe, dans un sens ou dans l’autre, une bande magnétique préenregistrée à la place du crin de l’archet », comme le précise Daniel Caux dans Le Monde du 16 octobre 1979, au lendemain de la prestation de Laurie Anderson lors du Festival d’automne 1979.

L’artiste a décidément plusieurs cordes à son arc puisqu’elle manie bien l’archet, mais aussi ses cordes vocales pour faire vibrer le public. Elle multiplie les expériences, performances visuelles et sonores dans le cadre de collaborations artistiques variées.

Publié le 13/10/2025 - CC BY-SA 4.0

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