Interview

Aurélien Fouillet : portrait d’un sociologue en joueur

Culture numérique - Politique et société

Aurélien Fouillet

Dans le cadre de la rencontre du 27 avril 2015 « Tout doit être ludique : anatomie d’une idée reçue », nous interrogeons le sociologue spécialiste du jeu Aurélien Fouillet, qui vient de publier L’empire ludique chez François Bourrin, sur son rapport au jeux.

À quel moment de votre parcours universitaire avez-vous commencé à vous intéresser à la question du ludique ?

Le fait de choisir de travailler sur les pratiques ludiques pendant mon doctorat est plutôt le fruit d’une continuité que d’un moment particulier : dès mes premières années de philosophie à l’université, les thématiques ludiques m’ont interpelé (le jeu, le hasard, la créativité, la règle, etc…). Mais c’est surtout dans la continuité des travaux que j’ai menés sur Jean Marie Guyau et sa morale sans obligation ni sanction, puis mes recherches sur une éthique du risque qui m’ont décidé à choisir le jeu et le ludique en général comme thématique de recherche.

Est-ce que vous jouiez aux jeux vidéo étant enfant et en quoi cela a orienté vos recherches?

Je fais partie d’une génération qui n’a pas pu échapper aux jeux vidéo. Je me souviens de l’Amstrad CPC 664 à cassettes pour lequel les temps de chargement des jeux étaient si longs qu’on ne faisait que le premier niveau avec mon frère, et puis il y avait les jeux électroniques, puis la Nes et la Mega Drive. Donc oui, j’ai joué assez jeune aux jeux vidéo, je ne sais pas si cela a orienté mes recherches véritablement mais cela m’a été utile pour comprendre un certain nombre d’éléments des jeux que j’ai étudiés. Et cela m’a certainement permis d’être attentif aux manifestations des comportements ludiques contemporains même s’ils dépassent très largement la question du jeu vidéo.

Quel est votre jeu vidéo préféré ?

C’est une question très difficile, il y en a plusieurs et à chaque fois, ce sont des jeux qui sont associés à des souvenirs. Il y a Gautlet 2, que j’évoquais à propos de l’Amstrad à cassettes : c’est le premier jeu vidéo auquel j’ai joué avec mon frère, mais aussi Zelda Ocarina of time qui est le premier jeu pour lequel je suis resté enfermé dans ma chambre jusqu’à l’avoir terminé. Il y a King of figter, jeu sur lequel j’ai passé quelques après midi mémorables avec des amis du lycée, mais aussi Heroes of Might and Magic, Sim city 3000, ou encore la série de jeu Fifa, pour laquelle j’ai passé des après midi fabuleux à refaire des compétitions ou des matchs avec mes amis. Bref, il n’y a pas un seul jeu, mais ce qui est commun à tous, c’est cette capacité à réunir des amis et à produire des souvenir en commun. Je suis d’ailleurs convaincu que le retour du ludique dans nos sociétés est avant tout une recherche de proximité et d’histoires à partager.

Votre façon de jouer a-t-elle changé maintenant que vous êtes devenu adulte ?

Oui, je dirais d’abord que j’ai beaucoup moins de temps pour jouer et que je suis devenu plus exigeant en terme de contenu proposé par les éditeurs de jeu vidéo.

De la même façon que le cinéma ou la bande dessinée qui ne sont devenus des sujets d’étude universitaire que bien après leur apparition, est-ce que les jeux vidéo commencent à devenir un sujet d’étude ?

Il y a tout un mouvement qui fait aujourd’hui des jeux vidéo un sujet de recherche pour les universitaires, les games studies. Même si il y a des spécificités aux jeux vidéo, je crois que c’est d’abord la reconnaissance que la culture contemporaine et celle de demain se font en grande partie dans la pop culture. Le cinéma, la bande dessinée, le jeu vidéo, sont bien évidemment des marqueurs et des terrains de recherche privilégiés pour comprendre comment la culture s’élabore et fait société.

De ce fait, est-ce que l’image des gamers s’améliore auprès du grand public?

Oui et non. D’une certaine manière, les gamers sont réhabilités par de nombreuses études comme étant plus éduqués et plus sociaux que la moyenne. Cependant, à chaque fois que l’on interroge un spécialiste des jeux vidéo, on lui pose une question sur l’addiction ou sur la « fausseté » des relations virtuelles. Il y a donc encore pas mal de chemin à faire. N’oublions pas que les premiers jeux vidéo ont été fait par des chercheurs du MIT qui ont ensuite, avec l’ensemble de la communauté des geeks, fait ce que l’on appelle aujourd’hui les technologies de l’information et de la communication. Qu’on le veuille ou non, la culture gamer influence l’ensemble de nos sociétés et bien au-delà de la question des jeux vidéo.

On voit de plus en plus de cafés, de bibliothèques, qui proposent des jeux de société : de quoi cette volonté de faire “société” à travers le jeu est-elle le signe selon vous?

Elle montre une société qui se réinvente dans et par le ludique. Le jeu c’est l’espace du « comme si ». C’est un environnement d’expérimentation. Un peu à la manière du carnaval que décrivait Baktine, c’est un espace dans lequel on fait l’expérience qu’un autre monde est possible, que l’on peut envisager de nouvelles façons de faire société.

Une dernière question, lors des dernières élections syndicales étudiantes à Rennes 2, l’Armée du Dumbledore, parti fantaisiste inspiré de la saga Harry Potter, a obtenu ¼ des voix : de quoi cette irruption de la fantaisie et du monde de l’enfance dans le politique est-elle le symptôme? 

Il y a deux réponses à cette question. Tout d’abord, je crois que cela montre l’épuisement des formes traditionnelles du politique,ou tout au moins ses formes revendicatives et institutionnalisées (partis politiques, syndicats, …). Le problème ne touche d’ailleurs pas que les élections universitaires. Les dernières élections départementales, quoiqu’en disent les observateurs et les hommes politiques, montrent qu’il y a quelque chose qui ne fonctionne plus. Le premier parti de France, c’est l’abstention. Deuxièmement, l’emprunt d’un registre de la fantasy et de l’aventure romanesque pour conduire une liste electorale montre que le premier problème est celui de l’adhésion à une histoire partagée. Dumbledore, pour ceux qui sont fans de la saga Harry Potter, représente un certain nombre de choses auxquelles ils peuvent s’identifier. Attention, je ne suis pas en train de dire que tout cela est sérieux, en son sens traditionnel du moins, mais cela nous montre qu’il y a un potentiel créatif et de renouvellement dans le ludique qui dépasse celui des cadres traditionnels et que la société utilise pour se renouveler.

Publié le 21/04/2015 - CC BY-SA 4.0

Sélection de références

L'empire ludique : comment le monde devient (enfin) un jeu

L'empire ludique : comment le monde devient (enfin) un jeu

Aurélien Fouillet
F. Bourin, 2014

Le monde est en train de muter. Nos sociétés s’en trouvent bouleversées dans leur mode de fonctionnement et de sociabilité. Dans cet espace où l’on voit se fracturer le socle traditionnel du vivre-ensemble prolifèrent des pratiques ludiques. Les sites de rencontres, les jeux de rôle en ligne, les Zombies Walk, le Cosplay, la bande dessinée, les réseaux sociaux, Candy Crunch saga, Ingress … Autant de signes et d’indices d’un nouveau monde conquis par l’esprit du jeu.
Loin de mettre en avant ce qui est futile ou frivole, l’ensemble de ces pratiques ludiques dessine, selon l’auteur, les modèles des sociétés de demain. Comment le monde devient (enfin) un jeu World of warcraft interroge les techniques de management traditionnelles, les fablabs les modèles de production et de distribution industriels, les jeux en ligne les processus de recherches collectives. L’application Tinder remet en question les modalités d’existence du couple. La réalité augmentée change notre rapport au réel. Ce livre se veut un pied de nez au pessimisme ambiant, et un outil de compréhension de l’importance du jeu dans la fabrication de la société de demain. Vous reprendrez bien une bonne tranche de « funkphilosophie » …

À la Bpi, niveau 2, 301.4 FOU

vers l'interview d'Aurelien Fouillet sur le site radio thésards

La sociologie du jeu

Après un travail sur le philosophe et poète Jean-Marie Guyau autour de la notion de risque, Aurélien Fouillet s’est orienté vers la sociologie pour faire une sociologie du jeu qu’il inscrit dans une anthropologie de l’imaginaire.
Sur le plan théorique, son travail fait régulièrement référence au thème post-moderne de la fin des grands discours.

Rédiger un commentaire

Les champs signalés avec une étoile (*) sont obligatoires

Réagissez sur le sujet