Pêche, narcotrafic, commerce… Qui a autorité pour arrêter un navire en haute mer ?
Un utilisateur d’Eurêkoi, service de réponses et recommandations à distance assuré par des bibliothécaires, souhaite s’informer sur le contrôle des activités maritimes. Qui a autorité et dans quels cas ? Les bibliothécaires de la Bibliothèque publique d’information résument la notion de droit en haute mer avant de détailler les modalités des contrôles maritimes et les dérogations selon les types d’infraction.

Qu’est-ce que la haute mer et quels droits s’y appliquent ?
Au-delà des zones côtières, le droit romain envisageait la mer comme une res communis (« chose commune »), ouverte à la liberté de navigation et d’utilisation libre pour chacun·e. Cette conception très large a prévalu dans les premiers principes du droit international jusqu’à la Renaissance. Elle s’est ensuite réduite au fil du temps, à mesure que les enjeux économiques et la nécessité de régulation de l’exploitation et de la répartition des ressources marines se sont imposés.
La définition de la haute mer s’est précisée au fur et à mesure des différentes conventions internationales. Chacune d’elles a contribué à redéfinir non seulement les limites spatiales de la haute mer, mais aussi les droits et obligations qui y sont associés, transformant une idée initialement abstraite de liberté absolue en un cadre juridique de plus en plus normé. Ces évolutions reflètent la tension permanente entre la préservation du bien commun et la volonté des États ou des acteurs privés d’exploiter ces espaces pour des intérêts économiques, scientifiques ou stratégiques.
L’évolution du droit de la mer
Dans son article « Les enjeux politiques autour des frontières maritimes », paru en 2011 dans Ceriscope Frontières, 2011, Alexandra Bellayer Roille résume ainsi les premières étapes de cette redéfinition avec le fil rouge des prétentions d’appropriation territoriale :
- Une première conférence des Nations unies sur le droit de la mer tente, en 1958, d’encadrer les prétentions d’extension de souveraineté des États sur les différentes zones maritimes. Elle se décline en quatre conventions portant sur la mer territoriale, le plateau continental, les activités de pêche et la conservation des ressources biologiques en haute mer.
- Une deuxième conférence affine la délimitation de la mer territoriale en 1960.
- En 1973, se déroule la troisième conférence qui débouche sur la convention des Nations unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982 (convention dite de Montego Bay – CMB) consacrant la dimension économique de la mer en écho aux préoccupations des États en développement. La CMB est entrée en vigueur le 16 novembre 1994 et permet de distinguer différentes zones maritimes qui peuvent être scindées en deux grandes catégories : les zones sous souveraineté de l’État côtier et les zones internationales. Cette dernière convention crée en outre un cadre pour le règlement des différends, notamment par la création d’un Tribunal international du droit de la mer (compétence double : avis consultatif et procédure contentieuse).
Enfin, dernier en date, le traité des Nations unies sur la haute mer, ou traité BBNJ (Biodiversity Beyond National Jurisdiction), marque un accroissement des contraintes liées à la préservation et à l’exploitation de la biodiversité marine en haute mer. Cette nécessité d’un renforcement du dispositif législatif est résumée dans cet article du site du ministère français chargé de la Mer et de la Pêche : « Il y a 41 ans, la Convention des Nations unies sur le droit de la mer », au chapitre « Un nouveau traité pour préserver la biodiversité marine de la haute mer ».
« Cet espace [la haute mer] est soumis à une pression croissante due aux activités humaines, aux changements climatiques, à la surpêche et aux pollutions de toute sorte.
« Il y a 41 ans, la Convention des Nations unies sur le droit de la mer », ministère français chargé de la Mer et de la Pêche
Malgré l’existence de la CNUDM ([Convention des Nations unies sur le Droit de la mer]), la pratique s’est heurtée à des limites. La haute mer étant située en dehors de la juridiction nationale, les États n’avaient aucune légitimité d’action. De ce fait, la protection de la biodiversité marine était limitée. »
2026 : le traité sur la haute mer BBNJ
Le traité BBNJ entrera en vigueur le 17 janvier 2026 et viendra renforcer le cadre juridique global de la Convention des Nations unies sur le Droit de la mer (CNUDM). Il a été salué par Greenpeace « comme une victoire pour la protection des océans » dans son article web « Traité sur la haute mer (BBNJ) : une victoire pour la protection des océans (Greenpeace, 22 septembre 2025). L’article détaille les principales avancées, notamment en termes de police des océans. Le BBNJ établit un cadre juridique contraignant pour réguler toutes les activités en haute mer, prévoit un système de coopération internationale multilatérale et la mise en place d’une COP (Conférence des Parties) dédiée à l’océan pour coordonner les efforts de protection. Par ailleurs, il garantit un partage équitable des bénéfices issus des ressources génétiques marines et renforce la surveillance des habitats critiques, avec pour objectifs de restaurer les écosystèmes, de limiter les impacts du changement climatique et d’assurer un accès équitable aux ressources.
Dans le livret de la campagne pour la protection des océans et la mise en œuvre de l’ODD 14 publié par le PGA (Parliamentarians for Global Actions), un schéma synthétise les avancées en matière d’utilisation durable de la haute mer. Le PGA est une organisation apolitique internationale réunissant des parlementaires de toutes les démocraties au service de la promotion de la démocratie, la paix, la justice ou encore le développement durable dans le monde entier.
Ce cadre juridique posé, examinons l’organisation de la police en haute mer selon les types de délinquance.
Qui a le pouvoir de police en haute mer et qui est habilité à arraisonner un navire dans les eaux internationales ?
Le principe et ses déclinaisons
Le principe général confère à l’État du pavillon — c’est-à-dire à l’État ayant immatriculé le navire — la responsabilité de contrôler les activités des navires battant son pavillon, y compris lorsque celles-ci se déroulent dans des zones maritimes situées en dehors de sa juridiction, telles que la zone économique exclusive d’un autre État ou la haute mer.
Aucun arraisonnement ne peut se faire sans son accord explicite.
Toutefois, les infractions en haute mer font l’objet de régimes juridiques distincts, adaptés à leurs spécificités et le texte général lui-même prévoit des exceptions.
Le cas de la pêche illégale
Depuis l’accord international sur les stocks de poissons (UNFSA)du 8 septembre 1995, les procédures d’arraisonnement pour contrôle de la légalité des pêches bénéficient de contraintes plus souples que celles du cadre général cité plus haut.
Les États dits « parties », c’est-à-dire les états signataires de l’Accord international, sont habilités à arraisonner un navire en haute mer. Les articles 21 et 22 de l’UNFSA énoncent les conditions de mise en œuvre de tels contrôles.
« 1. Dans tout secteur de la haute mer couvert par une organisation ou un arrangement de gestion des pêcheries sous-régional ou régional, tout État partie qui est membre de cette organisation ou participant à cet arrangement peut, par l’intermédiaire de ses inspecteurs dûment habilités, arraisonner et inspecter, conformément au paragraphe 2, les navires de pêche battant le pavillon d’un autre État partie au présent Accord, que cet État partie soit ou non lui aussi membre de l’organisation ou participant à l’arrangement, pour assurer le respect des mesures de conservation et de gestion des stocks de poissons chevauchants et des stocks de poissons grands migrateurs instituées par ladite organisation ou ledit arrangement. »
Texte du paragraphe 1 à l’article 21 : Coopération sous-régionale et régionale en matière de police (dans sa version française)
Les acteurs de ces contrôles sur le terrain sont les nombreuses organisations régionales de pêche (ORGP) qui ont intégré dans leurs règles internes ce nouveau cadre légal.
« Les ORGP sont des organismes internationaux établis par des États ayant des intérêts communs en matière de pêche. Ils visent à renforcer la coopération régionale pour favoriser la conservation et l’exploitation durable des ressources halieutiques en haute mer et des stocks chevauchants. Cela passe notamment par la lutte contre la pêche INN [illicite, non déclarée et non réglementée]. »
Extrait de l’article web « Les acteurs de la gestion des pêches » consulté le 15 octobre 2025 sur le site du Comité national des pêches.
Chaque ORGP met en place son propre système HSBI (High Seas Boarding and Inspection), mais toutes suivent des principes similaires : les inspecteur·rices doivent être formé·es, les inspections doivent être consignées et faire l’objet d’un rapport, et les pouvoirs des inspecteur·rices sont limités. Ces précisions sont largement synthétisées à partir d’un document de travail de l’ORGP ICCAT.
La piraterie maritime
La piraterie maritime appartient également à un régime dérogatoire prévu dans le cadre de la convention de Montego Bay. La piraterie est définie par l’article 101 comme « tout acte illicite de violence, de détention ou de déprédation commis à des fins privées » en haute mer. Elle fait l’objet d’une compétence universelle. Tout État peut arrêter les pirates et les juger selon sa législation nationale, sans corrélation avec le pavillon du navire pirate ou attaqué.
Au niveau international, l’Organisation maritime internationale (OMI) est le principal acteur de la sécurité et de la sûreté maritimes, ainsi que de la prévention de la pollution marine et atmosphérique par les navires. Sous son impulsion, et celle du Conseil de sécurité de l’ONU, des accords de coopération se montent entre plusieurs pays dans les zones à haut risque de piraterie. Pour en savoir plus sur la répartition mondiale des zones de piraterie maritime et les interventions des navires militaires des États, vous pouvez consulter la note de synthèse ISEMAR n°255 de novembre 2023, « État de la piraterie en 2023 ».
Le trafic d’êtres humains
Il fait également exception à la règle commune et relève, quant à lui, de l’article 99 : Interdiction de transport d’esclaves.
« Tout État prend des mesures efficaces pour prévenir et réprimer le transport d’esclaves par les navires autorisés à battre son pavillon et pour prévenir l’usurpation de son pavillon à cette fin. »
Le terrorisme
La Convention pour la répression d’actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime (SUA) de l’OMI ne prévoit pas d’exception à la règle du pavillon. Elle impose sa contrainte sur terre en créant l’obligation, pour tout État partie, de poursuivre et extrader l’auteur ou l’autrice d’un acte de terrorisme maritime.
Son arsenal répressif est toutefois renforcé par l’adoption en 2005 d’un complément dit « protocole de 2005 ». Un État peut engager la procédure permettant – le cas échéant – l’arraisonnement d’un navire d’un État tiers, s’il « a des raisons sérieuses de soupçonner qu’une infraction [prévue par la convention SUA] a été, est en train ou est sur le point d’être commise » (point 5 de l’article 8 bis). Il élargit ainsi la liste des cas dans lesquels un État est habilité à procéder à un arraisonnement, au-delà des cas initialement prévus par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982.
Les trafics illégaux
Le narcotrafic en mer suit également un régime spécifique. La Convention des Nations unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes de 1988 prévoit la possibilité pour tout navire d’un pays signataire de la convention d’intervenir en cas de « motifs raisonnables de soupçonner qu’un navire battant son pavillon ou n’arborant aucun pavillon ou ne portant aucune immatriculation se livre au trafic illicite ».
Le récit d’un arraisonnement par la Marine française, au cœur d’une opération Narcops, le 10 février 2023, permet de se représenter les différentes étapes de telles interventions.
La pollution en haute mer
Aujourd’hui, aucun dispositif ne permet de déroger au principe général de l’État du pavillon. La répression de la pollution en mer est cadrée par la Convention pour la répression d’actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime et la Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires (MARPOL).
Le traité des Nations unies sur la haute mer, le BBNJ (Biodiversity Beyond National Jurisdiction) qui entrera en vigueur en janvier 2026, représentera un progrès majeur. Les efforts diplomatiques se concentrent aujourd’hui sur la ratification, par les États, de ce traité. S’il est vrai qu’il entrera en vigueur en janvier 2026, toutefois les travaux des commissions se poursuivent encore afin de définir les accords de coopération, ainsi que les instruments, cadres juridiques et mécanismes de gouvernance pertinents aux niveaux mondial, régional et sous-régional, comme en attestent les actualités de la page dédiée sur le site des Nations unies.
Publié le 20/10/2025 - CC BY-SA 4.0
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