Article

Appartient au dossier : Babylon Berlin : la République de Weimar à l’écran

Babylon Berlin #1 : une ambitieuse série allemande

Depuis 2017, la série télévisée Babylon Berlin propose une plongée dans la capitale allemande de la fin des années vingt. Balises se penche sur cette interprétation audiovisuelle de la République de Weimar, en écho aux projections des Trésors du doc de la Cinémathèque du documentaire et aux rendez-vous sur l’Allemagne proposés par la Bpi et le Centre Pompidou au printemps 2022.

Image de la série Babylon Berlin : les deux personnages principaux devant un kiosque à journaux
X Filme/ARD/Sky/Beta Film

Créée par Tom Tykwer, Achim von Borries et Hendrik Handloegten, la série Babylon Berlin est diffusée depuis l’automne 2017 sur la chaîne payante Sky Deutschland puis, un an plus tard, sur la première chaîne de la télévision publique. La série bat des records d’audiences et obtient plusieurs récompenses en Allemagne. Ses droits de diffusion sont vendus dans une centaine de pays, à Netflix pour les États-Unis et à Canal+ pour la France notamment.

Inspirée des romans policiers de Volker Kutscher, Babylon Berlin s’articule autour de deux protagonistes : Gereon Rath (interprété par Volker Bruch), un policier arrivé de Cologne pour enquêter sur des images pornographiques au cœur d’un chantage politique, et Charlotte Ritter (Liv Lisa Fries), employée de bureau au siège de la police et prostituée occasionnelle, vivant avec sa famille dans un taudis surpeuplé. L’intrigue donne à voir les bas-fonds comme les hautes sphères de la capitale allemande. Ainsi se croisent dirigeants industriels et militaires nostalgiques du Deuxième Reich, rares partisans du nouveau régime républicain, exilés trotskistes complotant contre Staline, communistes allemands aspirant à la révolution, et criminels manipulant à leur profit ces divisions politiques.

Un hommage au cinéma de Weimar

Par ses choix scénaristiques et esthétiques, la série multiplie les références au cinéma de la République de Weimar : plusieurs personnages, scènes ou cadrages renvoient directement aux films de Fritz Lang (Docteur Mabuse le joueur, 1922 ; Metropolis, 1927 ; M le maudit, 1931 ; Le Testament du Docteur Mabuse, 1933), Robert Wiene (Le Cabinet du Docteur Caligari, 1920), Georg W. Pabst (La Rue sans joie, 1925) ou encore Walther Ruttmann (Berlin, symphonie d’une grande ville, 1927). La chercheuse germaniste Sara F. Hall y voit même un pastiche du cinéma allemand des années vingt, c’est-à-dire une imitation qui veut être reconnue comme telle.

Certains films sont aussi, dans la série, des objets physiques et scénaristiques : Charlotte Ritter assiste à une projection de Les Hommes le dimanche de Robert Siodmak et Edgar G. Ulmer (1930) avant de vivre, quelques épisodes plus tard, une scène similaire au bord d’un lac. Au cours de ses investigations, Gereon Rath interrompt le visionnage d’une première version de L’Ange bleu – long métrage de Josef von Sternberg qui lancera la carrière de Marlene Dietrich en 1930 – mais aussi un tournage de film érotique. La caméra du 21ᵉ siècle s’attarde alors sur celle des années vingt, sur les bobines et le vieux matériel. Le caractère fragile et éphémère de l’objet filmique est rappelé à de nombreuses reprises au cours des investigations sur les images pornographiques. L’enquête policière au cœur de la saison 3 tourne quant à elle autour d’une série de crimes commis aux studios de Babelsberg, évoquant à travers ce tournage fictif le développement du cinéma sonore.

Une ambition internationale

La série fait également écho à plusieurs productions hollywoodiennes, notamment à Cabaret de Bob Fosse (1972) dans ses représentations de Berlin comme une Babylone décadente, et aux films noirs américains dont certains tropes esthétiques et scénaristiques apparaissaient déjà dans le cinéma de Weimar, avant l’exil d’artistes allemands vers les États-Unis.

Cette ambition internationale est aussi manifeste dans les conditions de production de la série. À l’instar de Berlin Alexanderplatz de Rainer Werner Fassbinder trente ans plus tôt, Babylon Berlin mobilise d’énormes moyens : les deux premières saisons (2 x 8 épisodes de 45 minutes) impliquent 3 équipes, 300 rôles parlés, 5 000 figurants et 300 décors pour 6 mois de tournage et un budget d’environ 40 millions d’euros, ce qui en fait le projet le plus coûteux de l’histoire de la télévision allemande. La diffusion à l’international apparaît alors comme un impératif économique.

Une série historique

Les deux guerres mondiales ont longtemps constitué le terreau privilégié des fictions télévisées, malgré quelques exceptions notables comme Heimat – immense série d’Edgar Reitz réalisée en trois temps entre 1984 et 2004, suivant le destin d’une famille allemande de la fin de la Première Guerre mondiale jusqu’à l’aube du 21ᵉ siècle.

Depuis quelques années, réalisateurs et scénaristes du petit écran posent un œil nouveau sur diverses périodes de l’histoire allemande, dans des séries diffusées à l’international : Bauhaus, un temps nouveau (2019-) revient sur l’effervescence artistique des années vingt, Berlin 56 et Berlin 59 (2016-2018) sur la vie de la capitale avant la construction du Mur, Deutschland 83, Deutschland 86 et Deutschland 89 (2015-2020) sur les dernières années de la guerre froide. Babylon Berlin s’inscrit résolument dans cette continuité, et dans celle d’autres séries historiques ayant connu un succès mondial – la complexité de l’intrigue et des personnages évoque de grandes productions américaines comme Mad Men (2007-2015), tandis que l’élégance des gangsters en costumes et l’usage de la musique rappellent la série britannique Peaky Blinders (2013-2022).

La production d’une série aussi ambitieuse sur les « Goldene Zwanziger » – ces « années dorées » de la République de Weimar – est d’autant plus significative que la réception de ce type de séries historiques leur confère souvent valeur de vérité : représentation fictionnelle et réalité d’une période donnée se confondent, de fait, dans l’imagination populaire.

Publié le 25/04/2022 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Sara F. Hall, « Babylon Berlin: Pastiching Weimar Cinema », Communications 44(3), 2019

Cet article propose d’analyser la série Babylon Berlin comme un pastiche des films allemands des années vingt, c’est-à-dire comme un hommage et une imitation assumés du cinéma de la République de Weimar, destinés à être reconnus comme tels. Cela passe par des références esthétiques et scénaristiques qui, à leur tour, invitent à une réflexion sur le médium cinématographique.

Accessible sur abonnement

Noah Soltau, « “Zu Asche, Zu Staub”: Netflix Acquisitions and the Aesthetics and Politics of Cultural Unrest in Babylon Berlin », The Journal of Popular Culture 54(4), 2021

Cet article revient entre autres sur les nombreuses références de Babylon Berlin au cinéma de la République de Weimar et à des productions hollywoodiennes plus récentes. Il interroge aussi son rapport aux téléspectateurs et à l’actualité politique, dans un contexte de diffusion internationale notamment.

Accessible sur abonnement

Weimar : une histoire culturelle de l'Allemagne des années vingt

Walter Laqueur
Les Belles Lettres, 2021 [1974]

Cet ouvrage publié pour la première fois en 1974 dresse un panorama de la vie culturelle de la République de Weimar dans les domaines des arts visuels, de la littérature, de la philosophie ou de la musique. Il se penche aussi sur l’héritage de cette culture moderne dans l’art du second 20ᵉ siècle.

À la Bpi, niveau 2, 943-81 LAQ

Berlin des années 1920

Rainer Metzger (dir.)
Taschen, 2017

Cet ouvrage collectif revient sur l’effervescence culturelle de la capitale allemande dans les années vingt. Il évoque des courants artistiques comme le Bauhaus ou l’expressionnisme, et s’intéresse aux expérimentations esthétiques traversant aussi bien les domaines du cinéma et du spectacle vivant que ceux de la photographie, du design ou de l’architecture.

À la Bpi, niveau 3, 704.37 BER

Allemagne / Années 1920 / Nouvelle Objectivité / August Sander | Exposition au Centre Pompidou, du 11 mai au 5 septembre 2022

Cette exposition offre une vue d’ensemble sur l’art et la culture de la Nouvelle Objectivité dans l’Allemagne des années vingt. Mêlant peinture, photographie, architecture, design, cinéma, théâtre, littérature et musique, elle pose un regard original sur l’histoire allemande, invitant à interroger les résonances politiques et les analogies médiatiques entre hier et aujourd’hui.

Rédiger un commentaire

Les champs signalés avec une étoile (*) sont obligatoires

Réagissez sur le sujet