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Appartient au dossier : Catherine Meurisse entre les arts

Catherine Meurisse entre les arts 2/5 : Hubert Robert

Dans les paysages du peintre français Hubert Robert, au 18e siècle, se déploie toute la « poétique des ruines » dont parle Diderot dans ses écrits sur la peinture en 1767. Une approche du dessin d’observation entre architecture et nature qui trouve écho dans l’œuvre de Catherine Meurisse, notamment dans Les Grands Espaces.
Nous vous proposons, au fil de notre dossier, un aperçu de la relation de Catherine Meurisse aux arts, entre hommage et réinvention, pour accompagner l’exposition « Catherine Meurisse, la vie en dessin » qui se tient de septembre 2020 à janvier 2021 à la Bpi.

Vue de la Grande galerie du Louvre avec des visiteurs et des artistes copiant des tableaux.
Hubert Robert, Projet d’aménagement de la Grande Galerie du Louvre en 1796. Photo (C) RMN-Grand Palais / Jean-Gilles Berizzi
Musée du Louvre

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Vue d'une galerie de musée détruite par le temps, le toit effondré laissant voir le ciel.
Hubert Robert, Vue imaginaire de la grande galerie du Louvre en ruines, 1796. Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Jean-Gilles Berizzi

La Grande Galerie du Louvre entre projection et destruction

Parmi tous les motifs traités par le peintre d’architecture Hubert Robert (1733-1808), l’un d’eux revient régulièrement pendant vingt ans, celui de la longue galerie voûtée, vue en enfilade avec un point de fuite placé environ au tiers du tableau. Illustrant ce motif, la Vue imaginaire de la Grande Galerie du Louvre en ruines et le Projet d’aménagement de la Grande Galerie du Louvre sont tous deux peints en 1796, avant que le palais du Louvre n’ouvre au public. D’une toile à l’autre, l’artiste compare non pas le passé et le présent mais l’avenir proche (l’aménagement de la galerie) et le futur lointain (sa destruction par le temps).

Dans un contexte post-révolutionnaire, Hubert Robert évoque ainsi la vie et de la mort des civilisations, en célébrant la pérennité de l’art : au milieu des ruines, un dessinateur, devant un Apollon intact, tire des leçons du passé pour reconstruire le présent. Grâce à la poésie que dégage ce tableau de ruines gagnées par la nature, l’artiste convainc également subtilement de l’utilité de l’éclairage zénithal de la Grande Galerie. Sa vision sera réalisée bien plus tard par les architectes Percier et Fontaine. 

Une œuvre entre architecture et nature

Nommé en 1778 Garde des tableaux du Roi au Museum (le futur Louvre) et Conseiller à l’Académie, Hubert Robert est consulté en prévision des transformations architecturales de la Grande Galerie afin de rendre les collections royales accessibles au public. Surnommé « Robert des Ruines » pour ses peintures d’architecture néo-classique en ruine, Hubert Robert est le seul artiste à recevoir le titre de Peintre d’architecture à l’Académie royale, puis à être nommé dessinateur des Jardins du roi. Hubert Robert conçoit à Versailles l’aménagement du Hameau de la Reine et du Rocher du Belvédère de Trianon dans l’esprit précurseur néoromantique du jardin anglais, rompant avec la rigueur du jardin à la française. Passé maître en matière de dessin et de peinture de jardin, il réalise une forme de syncrétisme entre ces deux inspirations : néo-classique par la représentation des ruines italo-romaines et préromantique par le retour à la nature.

Mais il ne faut pas se tromper sur la nature profonde de l’artiste, amoureux de la vie et de la touche légère, attentif aux petits personnages qui vivent dans ses décors. Sa contemporaine et peintre Élisabeth Vigée-Lebrun le décrit dans ses mémoires :

« Il avait de l’esprit naturel, beaucoup d’instruction sans aucune pédanterie et l’intarissable gaîté de son caractère le rendait l’homme le plus aimable qu’on pût voir en société. »

Catherine Meurisse et la « poétique des ruines »

Sur France Culture en 2018, Catherine Meurisse explique : 

« En arrivant au Louvre, j’ai eu l’impression que j’arrivais dans une seconde maison. J’étais attirée par tout ce qui représentait la verdure, la campagne. (…) Dans Les Grands Espaces, je raconte cet attrait pour le romantisme, parce que c’est la conscience de soi dans la nature. »

Lorsque Catherine Meurisse découvre le musée du Louvre à treize ans avec ses parents et sa grande sœur, elle se souvient d’un véritable coup de cœur devant les tableaux de Hubert Robert, comme elle l’explique chez Dargaud en 2018 :

« Sur deux planches dans Les Grands Espaces, je m’attarde sur deux œuvres du peintre Hubert Robert. La première nous montre la grande galerie du Louvre grouillante de vie, peuplée de peintres qui viennent y copier des tableaux. La seconde le même lieu, mais en ruines, mangée par le lierre, avec plus qu’un seul peintre fidèle au poste. Avant/après la catastrophe : c’est une allusion à ce que je raconte dans La Légèreté. »

Catherine Meurisse se dessine petite fille répondant à la question de sa sœur sur le pourquoi de son coup de cœur devant les deux tableaux : « Je ne sais pas. C’est beau. C’est une mise en abyme. Les deux peintures représentent la Grande Galerie du musée où l’on est en ce moment même ». Sa sœur lui répond : « Tu aimes le lierre et les éboulis, comme les romantiques, petite sœur […]. Le peintre romantique cherche à retrouver une nature perdue. Il a conscience de la perte, de la chute ». C’est ce que le philosophe Diderot appelle « la poétique des ruines » dans son Salon de 1767 : l’homme anticipant les ravages du temps.

Les tableaux de Hubert Robert représentent d’une certaine manière ce qui a permis à Catherine Meurisse de se reconstruire, se « réassocier » après l’attentat contre Charlie Hebdo auquel elle a échappé : l’art et la nature.

Catherine Meurisse, Les Grands Espaces © Dargaud, 2018

Publié le 07/12/2020 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Hubert Robert (1733-1808) : un peintre visionnaire

Guillaume Faroult, Catherine Voiriot
Somogy éditions d'art, Louvre éditions, 2016

Dans une exposition en 2016, le musée du Louvre rend hommage à Hubert Robert, artiste de premier plan au talent visionnaire. Bien plus que le peintre de ruines et de paysages dont la postérité a gardé l’image, Hubert Robert fut l’un des plus grands créateurs d’imaginaire poétique du 18e siècle.

À la Bpi, niveau 3, 70″17″ ROBE 2

Hubert Robert et les jardins

Jean de Cayeux
Herscher, 1987

Contribution essentielle à l’histoire du jardin et du « paysagisme » français, ce livre est un guide irremplaçable dans la découverte des « paradis perdus » du 18e siècle et de ce qui en subsiste de nos jours. Ayant vécu en Italie de 1754 à 1765, Hubert Robert revint en France passionné d’architecture. Dans ses tableaux, les ruines à l’antique, les arbres et l’eau se marient en paysages de rêve à la poignante poésie. Chacun peut imaginer être l’un des personnages qui se promènent dans les jardins de Hubert Robert.

À la Bpi, niveau 3, 70″17″ ROBE 2

Hubert Robert et la Fabrique des jardins

Sarah Ubassy-Catala, Catherine Pachowski, Gabriel Wick
RMN-Grand Palais, 2017

Célèbre peintre de ruines et de paysages, Hubert Robert fut également dessinateur des Jardins du roi. Pratique affectionnée des aristocrates dans la décennie 1770, la conception des jardins permettait d’exprimer sa sensibilité et son raffinement. Ce livre présente son œuvre en la matière à travers des dessins et des gravures mais aussi des photographies contemporaines.

À la Bpi, niveau 3, 70″17″ ROBE

Le Louvre d'Hubert Robert

Nicole Garnier, Marie-Catherine Sahut
Réunion des musées nationaux, 1979

Les auteurs de ce petit livre apportent de précieuses explications pour comprendre l’œuvre de Hubert Robert, annonciatrice du mouvement romantique et de ses liens avec la nature. Ils analysent notamment sa série sur la Grande Galerie du Louvre, pour laquelle l’artiste a été autant visionnaire que poète.

À la Bpi, niveau 3, 70″17″ ROBE 2

Le Secret professionnel de Hubert Robert et de l’esthétique des ruines | France Culture

À l’occasion de l’exposition rétrospective de Hubert Robert au Louvre en 2016, Charles Dantzig reçoit Sarah Catala, historienne d’art, qui a contribué au catalogue de l’exposition.

 

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