Qu’est-ce qui définit un fleuve et fait son identité ?
Un utilisateur d’Eurêkoi, service de réponses et recommandations à distance assuré par des bibliothécaires, s’interroge sur la notion d’identité d’un fleuve. Les bibliothécaires de la Bibliothèque publique d’information examinent les caractéristiques qui confèrent au fleuve sa singularité et résument les débats pour préserver ou restaurer cette identité.

Qu’est-ce qui définit un fleuve de façon objective ? Son nom, son parcours, son histoire, sa place dans la géographie ou la culture d’un territoire, en un mot, l’ensemble des caractéristiques qui lui confèrent une singularité en tant qu’entité géographique, écologique, sociale et symbolique.
La problématique de l’identité d’un fleuve, ou plus largement d’un cours d’eau, implique d’aborder un ensemble de questions contemporaines particulièrement prégnantes, au premier rang desquelles figure celle du droit de la nature. Celle-ci suscite un débat renouvelé à l’ère de l’anthropocène, marquée par des transformations environnementales majeures. Le fleuve revêt par ailleurs une dimension identitaire collective. Espace de mémoire, vecteur de traditions et de culture, il constitue un élément structurant du territoire. À ce titre, il fait aujourd’hui l’objet d’une attention accrue, tant dans les domaines de l’aménagement du territoire que dans celui de la préservation écologique.
Nous vous proposons d’explorer cette identité du fleuve en trois parties : l’identité culturelle du fleuve, son identité juridique, et la reconquête du fleuve : vers une identité originelle.
L’identité culturelle du fleuve
Si, par son activité, l’humanité a largement façonné le fleuve, ce dernier, élément naturel, contribue au modelage manifeste de la vie des hommes et des femmes qui peuplent ses rives. Il participe à la création de leurs identités propres : socioculturelle et géographique, politique ou économique.
Le fleuve comme motif littéraire
Source d’inspiration, le fleuve constitue un motif littéraire de prédilection. Cette citation issue de l’ouvrage collectif L’Imaginaire du fleuve (19ᵉ-21ᵉ siècles) le confirme : « aucun ne peut se prévaloir d’arriver devant un fleuve vierge de toute littérature. » Cet ouvrage analyse la puissance du potentiel narratif d’un fleuve comme la portée symbolique et poétique de ces représentations dans la littérature. Dans l’œuvre de Victor Hugo, Chateaubriand, Valère Novarina, entre autres, le fleuve constitue bien souvent la charpente fictionnelle du récit, structurant la destinée des personnages d’un territoire habité par la mémoire historique qu’il charrie. Il est le berceau des légendes et des traditions qui lui sont attachées.
« Le fleuve apparaît comme le lieu où se cristallise l’identité d’un territoire et de sa culture : il incarne volontiers l’âme d’un pays ou d’un peuple, au point qu’il a souvent permis de les nommer et qu’à l’énoncé de ce nom, c’est toute l’histoire de ce pays ou de ce peuple qui remonte à la mémoire du voyageur. »
L’Imaginaire du fleuve (19ᵉ-21ᵉ siècles), Universitätsverlag Winter, 2020
L’ensemble des articles rassemblés dans cet ouvrage donne à comprendre comment le fleuve inspire l’imaginaire et analyse en parallèle comment ce dernier détermine l’homme ou la femme. Par son caractère ambivalent, nourricier ou destructeur, le fleuve, témoin des cycles de l’existence, est un guide, constituant l’humain dans son identité propre.
En exergue, cette citation du philosophe Bruno Latour, s’exprimant lors de la commission du Parlement de Loire, en 2019 :
Nous avons vécu dans la fiction d’un roman moderne de séparation qui a mis la nature de côté et la culture de l’autre. Mais les choses – et la Loire parmi elles – n’ont jamais cessé de parler, n’ont jamais cessé d’être des causes, des âmes si vous voulez, des principes agissants, animés qui font que le système Terre dans son ensemble vit, que la Loire parle et agit.
Bruno Latour, devant la commission du Parlement de Loire, le 19 octobre 2019
Inspiré par cette réflexion, présente en épigraphe de son roman graphique La Loire, Étienne Davodeau brosse les portraits intrinsèquement liés d’un homme avec « son » fleuve, la Loire. L’auteur donne la parole au fleuve, personnage principal de son histoire. Il y exprime « une écologie sensible qui passe par le corps ». En se laissant porter, l’humain se réapproprie sa mémoire territoriale. Une véritable invitation à la dérive imaginaire.
Le fleuve dessine un territoire géographique et économique

L’identité d’un fleuve, issue d’une histoire culturelle commune, est aussi définie par la façon dont les humain·es s’approprient et transforment les paysages. Les cours d’eau sont en effet les artères d’un territoire que l’être humain aménage, exploite et valorise.
Le parcours artistique Le Voyage à Nantes est un exemple de cette valorisation. Il s’agit d’une manifestation culturelle, proposant des œuvres d’art littéralement intégrées aux paysages des bords de Loire. De la ville de Nantes jusqu’à l’estuaire de Saint-Nazaire, les rives du fleuve sont ainsi « réinventées ». Tout en faisant la promotion du fleuve, ce musée à ciel ouvert devient l’expression d’un travail de préservation et de sensibilisation au territoire. Sur un modèle similaire, la Biennale des fleuves du monde est un projet culturel qui, en mettant la lumière sur différents fleuves à l’échelle internationale, permet de réinterroger le rapport d’une population à la Loire.
S’ils traversent les campagnes, les cours d’eau font partie intégrante des villes et participent à leur essor économique et touristique. La chercheuse Fanny Romain décrit comment l’environnement des berges de la Têt (Pyrénées-Orientales) et du Lez (Hérault) est redéfini à la lumière du « rôle structurant du fleuve dans le projet urbain ». Elle s’appuie sur les résultats d’une thèse qui étudie les formes et les enjeux des réaménagements urbains des berges dans deux villes au Sud de la France (Perpignan et Montpellier).
« Le fleuve est en passe de jouer un rôle d’image urbaine : ses berges sont devenues en deux décennies une pièce essentielle du décor urbain (…). Il ressort de cette analyse que le fleuve est convoqué comme argument des politiques publiques de la ville, infléchissant les réorganisations urbaines actuelles, et inaugurant un nouveau caractère d’espace public. »
« Le fleuve, porteur d’images urbaines : formes et enjeux », Fanny Romain, dans GeoCarrefour, vol. 85/3, 2010
Enjeu de promotion touristique, artère fondamentale des villes, le fleuve peut en outre représenter un enjeu primordial dans le développement économique des territoires.
Dans l’ouvrage Estuaire de la Seine, espace et territoires (Presses universitaires de Rouen et du Havre, 1998), un chapitre entier est consacré à l’influence que peut avoir (ici, à son embouchure) la Seine sur des enjeux politico-économiques de développement. L’espace estuarien est en effet redéfini par la construction du Pont de Normandie, débutée en 1993. Au lieu d’orienter son développement le long du fleuve comme à l’origine, la région Normandie a modifié son axe de développement, tenant désormais compte de la liaison des deux rives. Cette décision implique la possibilité d’un nouveau territoire estuarien, un « espace de convoitise pour les différents acteurs », selon l’auteur. Ces changements ont un impact considérable sur l’activité économique et l’histoire écologique de tout un territoire. Ils exercent une influence politique et administrative déterminante, et peuvent redessiner à long terme toutes les limites d’un département.
Liens entre le fleuve et l’humanité : dimension sociologique et anthropologique
C’est autour des fleuves que l’être humain s’installe et se forge ensuite une culture, apprenant à développer les échanges, apprivoisant ou luttant contre les méfaits de l’eau. Vivre avec le fleuve, c’est aussi faire société.
Le peuple pêcheur du fleuve Sénegal, dit Soulbabé, vit dans la moyenne vallée de ce fleuve, également nommée Foûta Tôro. Le fleuve, qui prend sa source en Guinée pour se jeter dans l’océan Atlantique, rythme le quotidien de ces pêcheurs, tributaires de sa crue annuelle. Ils y ont développé toute une civilisation, fondée sur une économie locale de la pêche et une culture orale poétique. Le film Écoute le fleuve (Marie Lorin, CNRS, 2020) retrace ainsi les histoires croisées de deux figures natives de la vallée. Ibrahima Maal, maître des eaux et Ousmane Niang poète-pêcheur. De leurs récits, on comprend que le fleuve est une ressource nécessaire autant qu’un vecteur des savoirs liés à l’expérience de toute une vie passée sur ses rives. La transmission poétique se fait l’écho de toute une civilisation née des influences du fleuve et des relations qui s’y tissent au quotidien.
« Les Soubalbés sont définis par leur rapport à l’eau. Pêcheurs, ils ont longtemps fourni à la population du Foûta, le poisson consommé lors des repas. Mais leur rôle ne s’arrête pas là, ils sont chargés d’assurer la sécurité sur les rives du fleuve. C’est pourquoi, ils sont aussi chasseurs, traquant et parfois tuant les animaux aquatiques […] Le pékâne (pekaan) est une poésie chantée a capella propre aux Soubalbés […] Elle est composée en grande partie de longs passages descriptifs appelés jaraale qui narrent l’itinéraire des poètes au bord du fleuve Sénégal. Ils passent en revue les lieux parcourus, les personnes rencontrées, les histoires entendues, faisant ainsi de cette poésie une véritable cartographie sensible du fleuve Sénégal et de son bassin versant.
Extrait de « Cultures : Interview de Marie Lorin, réalisatrice de Keɗoɗaa maayo / Écoute le fleuve ». ILARA, l’Institut des langues rares, 16 mars 2022
Autre exemple, celui du fleuve Maroni, frontière naturelle entre la Guyane et le Suriname. Dans « Santé des fleuves, santé des hommes : en Guyane, les leçons du Maroni », le directeur de l’Institut Pasteur de la Guyane Mirdas Kazanji relate comment de nombreuses ethnies ont construit leur civilisation autour d’un fleuve, ressource essentielle qui leur permet non seulement de subsister mais aussi d’exister collectivement. L’article se fait l’écho des nombreux enjeux socio-économiques, démographiques et sanitaires qu’engendre le fleuve, décrit comme « vecteur de vie et de mort ». Préserver le fleuve, c’est œuvrer pour la survie de l’ensemble des peuples habitant ses berges. Dans ce contexte, l’article souligne la nécessité de réfléchir et d’agir pour sauver l’éco-système associé à cette artère vitale qu’est le fleuve.
L’identité juridique du fleuve
À l’ère des changements climatiques et de l’augmentation de la pression démographique, la question prend également un tour juridique : comment assurer la protection de cette identité plurielle du fleuve et concevoir des instruments juridiques capables d’assurer sa préservation ?
Vulnérabilité du fleuve et principes juridiques
Dans sa leçon inaugurale au Collège de France intitulée « L’eau en droit international : entre singularité et pluralité », la juriste internationale Laurence Boisson de Chazournes brosse un historique très éclairant des principes du droit international relatifs aux fleuves. La notion juridique clef, « l’utilisation équitable et raisonnable d’un cours d’eau international », s’est longtemps appuyée sur le principe d’équité, que l’on retrouve également dans les droits nationaux. Mais un changement de paradigme s’est imposé au tournant du 20ᵉ siècle. « La surexploitation des ressources et l’impact du changement climatique, notamment, mettent à l’épreuve une équité pensée et conçue du point de vue de l’abondance. Cette équité doit intégrer la notion de limitation. Les utilisations doivent être réparties en prenant en compte la “vie“ des ressources elles-mêmes, ainsi que celle des écosystèmes dont elles dépendent », explique l’autrice.
Un constat qui met à mal les grands principes du droit, historiquement centrés sur la suprématie de l’être humain comme propriétaire de la nature et libre de l’exploiter. Il n’est plus envisageable, dorénavant, de légiférer sur de nouveaux usages sans adopter une vision globale et poser « la primauté du vivant », pour reprendre l’expression popularisée par l’ouvrage de philosophie du droit Primauté du vivant. Essai sur le pensable de Dominique Bourg. Une nouvelle approche normative émerge, qui tend à fonder ce changement de paradigme.
Vers le fleuve sujet de droit
L’article « Accorder des droits à la nature, une révolution juridique qui bouscule notre vision du monde » (Claire Legros, Le Monde, 21 octobre 2022) revient sur cette nouvelle approche normative qui consiste à reconnaître les espaces naturels comme des sujets de droit, et donc titulaires du droit d’être protégés. Initié par les peuples autochtones pour sauvegarder leurs milieux et leur mode de vie (fleuve Atrato en Colombie, fleuve Whanganui en Nouvelle-Zélande, rivière Magpie au Canada,…), le mouvement gagne l’Europe, comme en atteste l’initiative espagnole concernant la lagune de Mar Menor, premier écosystème européen doté de la personnalité juridiqueen octobre 2022.
En parallèle, la société civile soutient, anime et renforce ce changement de paradigme. ONG et citoyen·nes s’engagent dans des manifestations multiformes pour sensibiliser les pouvoirs publics et la société à l’urgence d’agir pour préserver leurs fleuves. Conscient·es de la faiblesse actuelle des droits de la nature dans la hiérarchie des droits (économiques, commerciaux, droit de la propriété…), ces militant·es font de l’attribution de la personnalité juridique propre le symbole fort de leurs revendications.
Des actions pour changer le statut des fleuves
Afin de donner corps à cette nouvelle réalité et d’en asseoir les concepts, ces manifestations s’appuient sur divers dispositifs d’expérimentation et une exploration croisée et interdisciplinaire des champs artistique, philosophique, épistémologique, politique et juridique.
Ainsi, le procès fictif d’un pollueur de la Seine a réuni, le 9 décembre 2024, expert·es de l’environnement et juristes pour débattre de l’évolution du droit environnemental. Co-organisée par Wild Legal et le collectif des Gardien·nes de la Seine, cette performance, mêlant art et droit, a mis en scène la déesse Sequana portant plainte contre les nombreuses violations de ses droits. Ce procès fait partie d’un dispositif plus vaste, comme l’indique Marine Calmet, cofondatrice et présidente de Wild Legal dans une interview consultable sur le site de la ville de Paris. La création du collectif a pour objectif de sensibiliser et « de créer un réseau, des sources jusqu’à l’estuaire, pour convaincre l’ensemble des habitants du fleuve de changer de modèle juridique ».
En Corse, le collectif citoyen Tavignanu Vivu, UMANI et Terre de Liens Corsica-Terra di u cumunu a engagé de nombreux recours légaux contre un projet d’enfouissement de déchets ménagers sur les rives du fleuve Tavignanu. En parallèle, il a porté ce combat sur le terrain symbolique de la personnalité juridique comme enjeu d’un renouveau politique : l’Academia di u cumunu a été créée pour donner corps à ce symbole par le prisme des biens communs.
L’initiative « Auditions pour un Parlement de Loire » se veut, quant à elle, un dispositif global : à travers des interventions variées de penseur·euses, praticien·nes et citoyen·nes, le processus par lequel la Loire pourrait être reconnue comme sujet de droit est exploré sous de multiples perspectives. En mobilisant des performances artistiques, des débats publics et une large dimension participative, l’ambition du Parlement de Loire est de produire un récit collectif autour d’un territoire et de la transformation symbolique et juridique de son rapport à la nature. Dans un entretien paru dans la revue Études, Camille de Toledo, initiateur du projet, en explique les attendus :
« La crise écologique est une crise de notre relation au monde vivant, une crise de la sensibilité. Cela est clairement posé par de nombreux écrits contemporains. Mais, une fois que l’affect est mobilisé, il faut lui donner, si c’est encore possible, un horizon de transformation […]. La raison pour laquelle je me suis tant intéressé à cette personnalisation juridique des entités de la nature, c’est qu’on a, de manière emblématique, une loi à venir qui permet d’interroger nos valeurs, notre ontologie, et de les transformer, en accueillant des ontologies non européennes, pour hybrider notre culture. »
Entretien avec Camille De Toledo, propos recueillis par Nathalie Sarthou-Lajus, Études, juillet-août 2023
La reconquête du fleuve : vers une identité originelle
Dans un monde marqué par l’Anthropocène, l’objectif poursuivi est de laisser la nature reprendre ses droits, dans l’espoir de lui garantir une plus grande résilience face aux changements climatiques, en protégeant les milieux et en accompagnant leur restauration. Retour sur ces luttes menées et ces projets de préservation.
Luttes pour préserver ou restaurer une identité originelle, écologique ?
En France comme à l’étranger, des habitant·es, collectifs ou défenseur·euses de la nature, se mobilisent pour protéger les cours d’eau. Parmi elles et eux, Martin Arnould est engagé depuis 30 ans dans la conservation et la restauration des fleuves et de l’eau. Responsable depuis une dizaine d’années de « Rivières vivantes » au WWF-France, il est l’auteur de l’ouvrage Au pied du barrage. La lutte oubliée pour la Loire sauvage (Actes Sud, 2025). Dans un entretien, il revient sur la chronologie de ce combat, en évoquant notamment une « mobilisation citoyenne sans précédent », dans les années 1980 et 1990, pour empêcher que le « dernier grand fleuve sauvage d’Europe », la Loire, ne soit dénaturé par la construction de barrages :
« Quand notre lutte démarre, tous les grands fleuves d’Europe sont aménagés. Le Rhône n’est plus qu’un escalier d’une vingtaine de grands barrages sur 550 kilomètres. Le Rhin a été transformé de la même façon. Reste la Loire qui est le dernier fleuve sauvage d’Europe – sauvage au sens de libre.
Extraits de « Lutte pour la Loire sauvage : “ Ce combat a ravivé le sentiment d’appartenir à quelque chose de plus grand ” » de Thibaut Schepman, Socialter.fr, 11 juin 2025
Or, de 1950 à 1980, nos connaissances ont progressé et ont mis en lumière les conséquences écologiques majeures de ces aménagements sur la biodiversité, et leur efficacité toute relative en matière de maîtrise des crues. Parallèlement, on entre dans une époque où émerge une exigence citoyenne de participer davantage aux décisions publiques, où les choix de l’État sont de plus en plus questionnés.
Des collectifs se mobilisent également dans l’Hexagone pour lutter contre la pollution de l’eau et pour préserver les fleuves. Un exemple parmi d’autres, le Collectif SOS Loue et Rivières Comtoises (SOS LRC), actif depuis 2010. Soutenu par le WWF, il rassemble une vingtaine d’associations.
Outre-Atlantique, dans la province du Québec au Canada, les consciences s’éveillent face aux projets bétonnés, inspirés par les combats français en faveur de l’environnement.
« Agrandissement de ports, nouvelles autoroutes ou zones industrielles… Dans la province du Québec, les projets portés par le lobby de la logistique fleurissent — tout en bétonnant et privatisant les berges du fleuve. Depuis l’été, tous les collectifs en lutte contre cette Silicon Valley québécoise ont décidé de se regrouper à travers Les Soulèvements du fleuve, un mouvement inspiré des Soulèvements de la Terre en France. L’idée ? “Montrer que nous ne sommes pas des luttes locales isolées, mais que l’on se bat pour un enjeu global. Et au passage, fournir un discours théorique et politique sur ce que ce monde-là nous prépare”, explique Joris Maillochon, lui aussi membre de Mobilisation 6600. »
« Les soulèvements du fleuve : ces cousins québécois des luttes françaises », par Clément Villaume, reporterre.net, 4 septembre 2024.
De même, Dominique Marchais, réalisateur français, a bien compris l’importance de mettre en avant tout l’écosystème fragile des fleuves et des rivières, ainsi que les enjeux de l’eau. Il utilise l’image pour sensibiliser le public. Son film, La Rivière, réalisé en 2023 et récompensé par le Prix Jean-Vigo, disponible sur la plateforme Les yeux doc, met en lumière des démarches personnelles, locales ou associatives, mais aussi l’implication croissante des collectivités. À mesure que les prises de conscience s’opèrent, les institutions s’approprient, elles aussi, ces enjeux. Le réensauvagement apparaît alors comme une étape essentielle.
Dossier de presse de La Rivière par Makna Presse, lesyeuxdoc.fr, 2023.
Le réensauvagement ou les essais d’une réversibilité de changements séculaires
Le réensauvagementest un concept né aux États-Unis dans les années 1990, qui a pour ambition de laisser un espace se régénérer en limitant l’intervention humaine, afin qu’il retrouve ses caractéristiques d’origine, en permettant le retour des plantes et des animaux, adaptés au milieu actuel. Le but est donc de restaurer les écosystèmes autrefois altérés par l’activité humaine.
« On voit ici que le but est aussi de retrouver un écosystème pouvant fonctionner de manière autonome mais où l’humain serait moins impliqué dans sa gestion future et qui va bien au-delà de la réintroduction d’espèces sauvages ayant disparu dans tout ou partie de leur aire de distribution historique au regard des résultats attendus sur toutes les autres composantes des écosystèmes. »
« Restaurer ou réensauvager la nature ? » par Thierry Dutoit, Clémentine Mutillod, Élise Buisson et Tatin Laurent, The Conversation, 6 mars 2024
Cette réflexion peut survenir à la suite d’une catastrophe naturelle qui touche des habitant·es à proximité d’un point d’eau. C’est par exemple le cas dans le Sud-Ouest de la France, après la tempête Xynthia en 2010.
L’article « Les fleuves dans le projet urbain : entre risque et identité paysagère » de Léa Assouline, publié en 2019 dans Projets de paysage, retrace l’histoire de la gestion du risque des fleuves dans les villes : du fleuve contraint au fleuve apprivoisé dans un contexte de résilience. Inscrire l’être humain dans le système naturel est alors l’une des clés de la résilience urbaine.
Des exemples de réensauvagement
Pour mieux comprendre ce qu’implique concrètement le réensauvagement, regardons ce qui est fait sur le terrain. En France comme en Afrique, plusieurs projets montrent comment des espaces peuvent retrouver une dynamique plus naturelle lorsque l’on réduit l’impact humain, ou que l’on aide la nature à reprendre ses droits.
Partons dans un premier temps du côté de la Loire, où le mot d’ordre est : rééquilibrer. En effet, le programme de « rééquilibrage » engagé depuis 2021 dans le cadre du Plan Loire vise à redonner aux milieux leur état d’origine, tout en assumant le paradoxe d’une intervention humaine destinée à corriger les effets de l’activité humaine elle-même :
« “On pourrait dire qu’on corrige les aménagements précédents, oui”, reconnaît la cheffe de l’unité Loire de VNF. Tout en soulignant qu’aucun des ingénieurs ayant construit des épis à l’époque n’aurait pu anticiper le dragage du sable lié aux besoins de reconstruction à la fin de la Seconde Guerre mondiale, qui a largement accentué les dégâts sur l’affaissement du lit de la Loire. »
« “Rééquilibrer la Loire” : des interventions humaines pour rendre au fleuve son état naturel » , par Mathilde Doiezie, leschampsdici.fr, 18 février 2025
En Afrique, le réensauvagement passe, quant à lui, par le geste d’achat de terres. Le but ? En les acquérant, les préserver, réintégrer des animaux et mener des projets écoresponsables avec les populations locales.
« Aujourd’hui, l’ONG gère déjà plus de 160 000 hectares et peut s’appuyer sur quatre projets de rachat de terrains. “Notre vision est de créer un parc transfrontalier entre la Namibie et l’Afrique du Sud dont le fleuve Orange serait un élément central, d’y réintroduire des animaux comme des éléphants, des hippopotames, ou des guépards, et d’y développer des activités cogérées avec les communautés locales, qu’il s’agisse de fermes sur le fleuve ou de projets touristiques écologiques”, détaille Andreia Pawel. »
« ORKCA, un projet de réensauvagement africain d’une ampleur inédite », Le Monde, 12 novembre 2025
Eurêkoi – Bibliothèque publique d’information
Publié le 10/12/2025 - CC BY-SA 4.0
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