En chiffres

Appartient au dossier : Contre-chant : luttes collectives, films féministes

25 % des films français sont réalisés par des femmes

En dépit d’avancées notables, l’industrie cinématographique française demeure un terrain où les inégalités entre femmes et hommes persistent. Les écarts à combler demeurent importants en matière de rémunération, de financement ou encore de représentativité. Balises fait le point sur ces inégalités et leurs évolutions, en écho au cycle de cinéma documentaire Contre-Chant, consacré aux luttes collectives et aux films féministes jusqu’au 4 juillet 2024 à la Bpi.

Superposition de deux photographies d'une femme tenant une caméra
Daria Buntaria [CC0], pour Pexels.com

L’Observatoire de l’égalité femmes-hommes dans le cinéma et l’audiovisuel, piloté par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), publie chaque année une série de statistiques riche d’enseignements sur l’état des inégalités de genre dans le secteur. Si les industries du cinéma et de l’audiovisuel s’ouvrent peu à peu aux femmes, les chiffres révèlent encore des disparités significatives. Les femmes représentent en effet près de la moitié des effectifs de la production audiovisuelle de fiction, mais, en 2023, seul 36 % des films d’initiative française agréés par le CNC ont été éligibles au « bonus parité ». Ce dispositif permet aux équipes des films de bénéficier d’un bonus de financement de 15 %, dès lors qu’elles respectent la parité femmes-hommes. 

Des stéréotypes tenaces

Ces chiffres, s’ils révèlent une féminisation progressive du cinéma, ne masquent pas les profonds écarts de représentativité encore à l’œuvre dans ce secteur, surtout aux postes clés ou à responsabilité. On ne compte, par exemple, que 38 % de femmes à la réalisation des œuvres audiovisuelles aidées par le CNC en 2023 (34 % pour les films d’animation, 36 % pour les fictions et 38 % pour les documentaires). Du côté des équipes techniques intermittentes, les femmes représentent 44 % des effectifs non-cadres, et seulement 38 % des effectifs cadres.

Les stéréotypes ont la dent dure et les fonctions majoritairement occupées par les femmes demeurent, d’après l’étude publiée par le CNC en 2022, celles relatives à la beauté et l’esthétique : costumières (90,5 % des effectifs) ; maquilleuses (87,9 %) ; coiffeuses (67,6 %). Tout au contraire, les métiers du son (composés à 89 % d’hommes), du plateau technique (64 %) et de l’image (76 %) demeurent des bastions masculins. Le cinéma n’échappe donc pas à l’effet « plafond de verre », qui désigne les ségrégations verticales (inaccessibilité à des postes de responsables) et horizontales (confinement à certaines familles de métiers), contraignantes pour la carrière des femmes. L’historienne Cari Beauchamp explique par exemple, dans le film Et la femme créa Hollywood de Julia et Clara Kuperberg (2016), que : « Les femmes étaient acceptées comme monteuses parce qu’elles avaient de petites mains. Elles utilisaient des ciseaux pour couper la pellicule, puis de la colle. C’était comme de la couture. Puis elles peignaient la pellicule pour la teindre ».

Des inégalités persistantes, devant et derrière l’écran

En matière de précarité et de rémunération aussi, l’histoire très masculine de l’industrie cinématographique continue de peser lourd sur les épaules des femmes qui y travaillent. Si elles représentent 46 % des effectifs de la production de films français de fiction en 2022, les écarts de salaire avec les hommes atteignent toujours des sommets dans certains corps de métiers, à l’instar de ceux de l’administration (- 30,9 %), de la réalisation (- 27,8 %), ou encore de l’image (- 25,7 %).

Par ailleurs, les inégalités persistent aussi bien devant que derrière la caméra. Le peu de réalisatrices récompensées dans les grands festivals (Cannes, Mostra de Venise, Oscars, etc.) en est la manifestation la plus visible. La composition des castings reflète également ces disparités : « Dans les films d’initiative française de 2019, les femmes ne représentent que 39,8 % de l’ensemble des personnages, et 38 % des personnages principaux », pointe le rapport Cinégalités du Collectif 50/50. Ce document relève aussi que « les inégalités de représentation entre hommes et femmes se creusent pour les personnages âgés de plus de 50 ans ». En effet, la visibilité des personnages féminins cinquantenaires et au-delà s’effondre, passant de 51 % des personnages entre 20 et 34 ans, à 12 % pour ceux âgés de 50 à 54 ans.

Schtroumpfette et Bechdel

Les biais de représentation se constatent, par ailleurs, dans les typologies de rôles qu’occupent les femmes dans les films. Si des héroïnes de blockbusters crèvent régulièrement l’écran (Wonder Woman, Mad Max, Hunger Games, Kill Bill), cette réalité ne saurait masquer l’enfermement des rôles féminins dans des stéréotypes sexistes et âgistes. La poétesse américaine Katha Politt avait, à ce propos, conceptualisé « le syndrome de la Schtroumpfette » dans un article du New-York Times paru en 1991. Il désigne « un groupe de copains masculins accentué par une femme seule, définie de manière stéréotypée », à l’image du personnage de Black Widow dans la saga The Avengers, quelque peu perdue au sein d’un clan de super-héros masculins.

Un autre indicateur du sexisme au cinéma est inspiré du travail de l’autrice-dessinatrice Alison Bechdel dans sa série de bandes-dessinées Gouines à suivre (Dykes to watch out for -1983). Le personnage de Mo y évoque les trois règles qu’elle s’applique pour choisir d’aller voir – ou pas – un film au cinéma. Ces trois conditions deviendront celles de ce qui sera dénommé par la suite le test de Bechdel :

  • Que deux personnages féminins soient présents et nommés ;
  • Que ces femmes parlent ensemble ;
  • Qu’elles évoquent autre chose qu’un homme dans leur discussion.

Ce test a été largement repris, partagé et même décliné par le milieu du cinéma et des collectifs de défense des droits des femmes.

Malgré ces constats (sur 4 000 films évalués, 40 % seulement ont passé le test de Bechdel), et la médiatisation croissante des combats pour l’égalité et contre les violences sexistes et sexuelles au cinéma, la parité entre femmes et hommes est un processus au long cours. Gageons que cette industrie sache prendre la mesure du chemin à parcourir et fasse de l’égalité femmes-hommes une réalité et un exemple à suivre pour d’autres industries culturelles.

Publié le 03/06/2024 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

100 grands films de réalisatrices : de "La fée aux choux" à "Wonder Woman", quand les femmes s'emparent du cinéma

Véronique Le Bris
Gründ, 2020

Une sélection de cent films réalisés par des femmes depuis les débuts du cinéma. © Électre 2021

À la Bpi, niveau 3 – Cinéma, 791.6 LEB

Femmes et cinéma, sois belle et tais-toi !

Brigitte Rollet
Belin, 2017

Cet ouvrage décrit les étapes, les développements, les figures, les chiffres et les moments clés d’une histoire du cinéma dans lequel les femmes demeurent le plus souvent en marge, ou cantonnées à des rôles stéréotypés. © Électre 2017

À la Bpi, niveau 3 – Cinéma, 791(091) ROL

La drôle de guerre des sexes du cinéma français, 1930-1956

Noël Burch
l'Harmattan, impr. 2019

Cette étude de l’âge classique du cinéma français met l’accent sur les rapports sociaux de sexe. Les auteurs, passant en revue toute la production de la période, montrent qu’entre l’avant-guerre et les lendemains de la Libération, les représentations filmiques du masculin et du féminin passent d’une idéologie patriarcale et misogyne à un nouveau paradigme d’émancipation féminine. © Électre 2019

À la Bpi, Niveau 3 – Cinéma, 791(44) BUR

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