Sélection

Cinq ressources pour découvrir la bibliothèque Chimurenga

Balises vous propose une sélection, alors que le collectif Chimurenga s’installe à la Bpi en avril 2021 pour réaliser et matérialiser une « Étude noire » des collections d’ouvrages qui s’y trouvent.

Le collectif Chimurenga définit l’Étude noire (Black Study) ainsi :

« L’ensemble des méthodes et corpus de connaissances que les Noirs ont développé pour survivre et contrecarrer la modernité occidentale dont la construction et la consolidation se sont fondées sur l’esclavage, la colonisation et les formes d’apartheid. Fondamentalement indisciplinée, c’est une façon d’apprendre basée sur la relation, l’improvisation en groupe et la réactivation d’une connaissance ancrée de la liberté. »

En avril 2021, près de cent cinquante ouvrages sont choisis dans la Bpi par le collectif pour leur apport dans les Études noires. Histoire, sciences, musique, sciences sociales, littérature… Toutes les disciplines et toutes les époques sont représentées pour tracer un chemin de pensée à travers la bibliothèque. Balises vous propose cinq livres de référence témoignant de la richesse, de la singularité et de la diversité de cette sélection.

Publié le 04/04/2021 - CC BY-NC-SA 4.0

Notre sélection

Mémoires d'un esclave

Frederick Douglass
Lux Éditeur, 2007 (1845 pour la première édition)

Ce livre disparaît régulièrement des collections, ce qui en fait l’ouvrage le plus racheté sur l’histoire des Noirs aux États-Unis de la bibliothèque ! Figure majeure des mouvances abolitionnistes, Frederick Douglass (vers 1818-1895) a vécu plusieurs vies. Né esclave dans une plantation du Maryland, il bénéficie pourtant d’une éducation littéraire. Il remet très tôt en cause l’autorité des maîtres blancs : jeune adulte, il se bat même publiquement avec l’un d’eux puis prépare une conspiration. Devenu homme libre, il multiplie les tournées et collaborations éditoriales dans tout le pays.

Ses revendications de liberté dépassent la seule question des Afro-américains. Ainsi, le journal qu’il fonde, The North Star, a pour devise : « Le droit n’a pas de sexe – La vérité n’a pas de couleur – Dieu est notre père à tous et nous sommes tous frères. »

À la Bpi, niveau 2, 973-45 DOU

Les Âmes du peuple noir

William Edward Burghardt Du Bois
Éditions Rue d'Ulm, 2004 (1903 pour la première édition)

William Edward Burghardt Du Bois, dit W. E. B. Du Bois, est le premier Afro-américain à obtenir un doctorat à Harvard. Historien, sociologue, écrivain et militant à la pensée complexe, Du Bois publie en 1903 Les Âmes du peuple noir. Ce recueil d’essais, premier ouvrage d’importance à évoquer la condition noire aux États-Unis, fait figure de référence pour les penseurs du mouvement des droits civiques dans la seconde moitié du 20e siècle.

À travers une collection d’articles publiés dans des journaux et de textes inédits, mêlant témoignages personnels, chants et analyses historiques et sociologiques, W.E.B. Du Bois interroge sa double identité de Noir et d’Américain : « deux âmes, deux pensées, deux luttes irréconciliables […] dans un seul corps ». Il revendique la possibilité d’être les deux à la fois pour sortir le peuple noir du « Voile » derrière lequel il reste enfermé après l’abolition de l’esclavage.

Il raconte son expérience d’instituteur dans l’une de ces écoles de fortune pour enfants noirs où les élèves, faute de bureau, sont assis sur des bancs instables qui ont l’avantage de rendre la sieste dangereuse. Quelques années plus tard, il sillonne la « Ceinture noire » et décrit ce « royaume sans roi » que les anciens propriétaires ont déserté, mais qui continuent d’exploiter des Noirs cultivant avec peine une terre épuisée.

Il déplore le difficile accès à la connaissance, le manque de formation de ce peuple livré à lui-même après deux cent cinquante ans d’esclavage, l’absence de contacts politiques, géographiques ou intellectuels entre les populations blanches et racisées et conclut : « Entends mon cri, ô Dieu lecteur ; fais que mon livre, ce livre, ne tombe pas, mort-né, dans les déserts du monde. Fais que jaillissent de ces pages, noble lecteur, une pensée vigoureuse et la ferme ambition d’une merveilleuse moisson. » Prière entendue puisqu’en 2003, au centenaire de sa publication, le livre avait déjà connu plus de cent rééditions.

À la Bpi, niveau 3, 821 DUBO 4 SO

Femmes, race et classe

Angela Davis
Éditions des femmes-Antoinette Fouque, 2013 (1981 pour la première édition)

Publié aux États-Unis en 1981, Femmes, race et classe, de la militante du mouvement des droits civiques et féministe Angela Davis, aborde déjà les problématiques actuelles d’intersectionnalité, qui visent à étudier les formes de discriminations dans les liens qu’elles entretiennent entre elles. Elle plaide pour un combat global et solidaire contre toutes les exploitations, à la croisée desquelles se trouvent les femmes noires américaines.

Elle célèbre, à travers l’histoire, des héroïnes parfois oubliées dont les noms viennent s’afficher aux côtés des plus célèbres comme Harriet Tubman, qui ont résisté, fui, créé des écoles clandestines, etc. Elle met également en exergue les moments où, dans la lutte pour l’abolition de l’esclavage puis dans le mouvement des droits civiques, les militants ont su dépasser les antagonismes de genre, de classe ou de race pour faire avancer leur cause. Elle cite ainsi les femmes blanches ouvrières qui ont rejoint le mouvement abolitionniste dans les années mille huit cent trente, brandissant de front lutte contre l’esclavage, féminisme et lutte sociale. En contrepoint de ces phases progressistes, Angela Davis cite les moments où un type de discrimination a pris le pas sur un autre, comme sur la question du droit de vote des Noirs, où les hommes noirs ne se sont pas montrés plus soucieux d’égalité des sexes que les Blancs. « Quand il est question de race, la question du sexe arrive au second plan », écrit-elle.

À la Bpi, niveau 2, 300.11 DAV

Nomad’s land No. 4 : Pensées noires

Alexandre Laumonier (dir.)
Kargo, Zones sensibles, 1999

En dépit d’une marginalité assumée vis-à-vis des milieux universitaires comme militants,  « Pensées noires » compte probablement au nombre des actes décisifs pour l’avancée des Black Studies musicales en France. 

Son directeur de publication, Alexandre Laumonier, fondateur des éditions Kargo puis Zones Sensibles, allait en effet bientôt publier la traduction de Black Atlantic de Paul Gilroy, ainsi que Raising cain, de William T. Lhamon. Interviewé par Emmanuel Parent (futur commissaire de l’exposition « Great Black Music » à la Philharmonie de Paris) dans un numéro de Volume en 2007 sur le thème « Géographie, musique et postcolonialisme », Alexandre Laumonier se souvient :

« La revue marchait bien. Le quatrième numéro, intitulé « Musiques noires », était attendu. C’était un numéro épais, et à mon sens le plus réussi. C’est surtout un numéro où j’ai commencé à publier des textes portant moins sur les musiques populaires que sur les différents contextes où elles peuvent apparaître. D’où la question du postcolonial, à un moment où personne n’en parlait. La découverte de L’Atlantique noir a pour moi été fondamentale, de même que bien d’autres ouvrages anglo-saxons que j’ai connus grâce à ce livre et d’autres. »

« Pensées noires » contient des textes de Paul Gilroy, Robert Palmer ou Greil Marcus sur la diaspora, le blues, Stagerlee ou l’afrofuturisme chez Miles Davis, Sun Ra et Lee « Scratch » Perry.

À la Bpi, niveau 3, 780.63 NOM

Réparons la Terre : réutilisons, réduisons, recyclons

Wangari Maathai
Éditions Héloïse d'Ormesson, 2012

Wangari Maathai est née en 1940 et morte en 2011 au Kenya. Grâce à une bourse de l’African-American Students Foundation, elle part étudier aux États-Unis, où elle obtient un doctorat en biologie. En 1977, elle crée le Mouvement de la ceinture verte (Green Belt Movement) pour lutter contre la déforestation au Kenya. Engagé en étroite collaboration avec les femmes de villages kenyan, ce programme ne vise pas seulement à planter des arbres mais à « réparer les blessures infligées aux communautés ». Dans une approche holistique de l’écologie, elle réalise que la plantation d’arbres n’est pas seulement un moyen de retenir l’eau et de freiner l’érosion des sols mais aussi de subvenir aux besoins élémentaires (eau potable, qualité des sols et donc de l’alimentation, combustibles…).

Les femmes sont restées au cœur de ce mouvement, qui a contribué à planter plus de cinquante millions d’arbres. À travers ce livre, Wangari Maathai, qui obtient le prix Nobel de la paix en 2004 pour son action, réaffirme les valeurs du Mouvement de la ceinture verte : l’amour de l’environnement, la reconnaissance et le respect des ressources de la terre, l’autonomisation et le perfectionnement, et l’esprit de service et d’entraide. Elle a pour ambition de répandre ces valeurs au-delà du mouvement, pour « réparer la terre de ses blessures  ». Elle y raconte aussi son expérience personnelle, notamment son voyage dans le Bassin du Congo, deuxième poumon vert de la planète, où elle observe la déforestation à l’œuvre. Elle mêle à son récit des références religieuses, alors qu’elle-même se définit comme laïque, par volonté de substituer au sacré religieux le sacré écologique, appelant les individus « à ne pas attendre l’intervention divine  ».

À la Bpi, niveau 2, 573.1 MAA

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