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Appartient au dossier : Voyage dans le cyberespace

Orages sur le cloud

Depuis une dizaine d’années, l’augmentation de la bande passante fluidifie et accélère l’accès à Internet via les différents serveurs répartis sur la planète. Le cloud computing (en français « l’informatique en nuage ») permet aux entreprises comme aux particuliers d’héberger des données ou des logiciels sur des serveurs distants plutôt que sur leurs ordinateurs personnels. Mais entre concurrence acharnée et risques sur la confidentialité des données, rien n’est simple dans le monde du cloud.

Immeubles émergeants au milieu des nuages
Photo d’Aleksandar Pasaric sur Pexels

Le cloud, qu’est-ce que c’est ?

Le cloud computing recouvre un vaste ensemble de services, depuis les messageries en ligne (Gmail, Yahoo mail), jusqu’à la vidéo à la demande (Netflix, Prime Vidéo), en passant par la visioconférence (Zoom) et le jeu vidéo (Xcloud, GeForce Now). Les entreprises qui louent des services cloud peuvent bénéficier d’une infrastructure complète qui héberge les données de leurs clients, mais aussi leurs sites web et toutes leurs applications. Avec le développement du SaaS (software as a service ; en français « logiciel en tant que service »), il est ainsi possible de faire tourner les logiciels sur des serveurs distants. Ainsi, plus besoin d’installer chaque programme informatique sur chaque poste ou serveur de l’entreprise, tout est accessible à distance, synchronisé en tant réel, et facilement mis à jour. 

L’infrastructure informatique utilisée appartient à des sociétés dédiées qui louent des serveurs cloud dans leurs propres data centers. À la différence d’un serveur traditionnel qui sert essentiellement de point de stockage, un serveur cloud peut raccorder divers serveurs et logiciels et se déployer sur le réseau Internet partout à travers le monde : cela permet entre autres d’adapter en temps réel les besoins de stockage et la puissance de calcul des entreprises en cas de pics d’activité. Les avantages sont nombreux : les machines des utilisateurs deviennent de simples terminaux peu gourmands en ressources, et la maintenance est assurée dans les data centers qui peuvent faire évoluer de manière unifiée les logiciels et les données. Outre une efficacité améliorée, cela permet de réduire les coûts, de sauvegarder les données et de protéger contre les virus et autres cyberattaques.

Un marché en expansion

La pandémie de Covid-19 a mis en lumière les avantages de la délocalisation des données et l’intérêt pour le cloud s’est encore accru. Les particuliers ont pu découvrir toutes les possibilités de divertissement à distance, tandis que les entreprises ont expérimenté le télétravail à grande échelle. Cela a fait bondir le chiffre d’affaires du secteur : les dépenses dans des infrastructures cloud ont augmenté de 35 % en 2020. Et le marché est bien parti pour s’étendre très largement : 80 % des données des entreprises, encore hébergées localement, sont appelées à rejoindre le cloud dans les années qui viennent. 

Trois entreprises états-uniennes fournissent l’essentiel de ces services dans le monde – Amazon Web Services (AWS, avec 33 % de parts de marché mondial), Microsoft Azure (22 %) et Google Cloud (10 %). Mais de nombreux acteurs cherchent à se positionner sur ce marché. Si elles sont encore loin derrière leurs concurrents américains, les entreprises chinoises se développent néanmoins rapidement : Alibaba, qui occupe 5 % du marché mondial, et Tencent 2 %, sont concurrencés de près par Huawei et Baidu. À elles quatre, ces entreprises possèdent 80 % du marché chinois, qui a connu en 2020 une croissance record de 70 %.  Trois leaders américains s’intéressent également au marché asiatique mais ils peinent à s’y introduire. De leur côté, les entreprises européennes restent encore marginales et n’arrivent pas à profiter de la croissance du secteur : dans un marché en expansion, leur chiffre d’affaires tend même à régresser… 

L’Europe à la traîne

Toutes les entreprises du cloud se livrent à une compétition impitoyable. Les techniques pour attirer et fidéliser les clients sont nombreuses. D’importantes réductions sont accordées pour les premières années d’hébergement mais des frais importants sont facturés à ceux qui souhaiteraient faire migrer leurs données et changer de prestataire. Microsoft Azure accorde des licences moins chères sur Office 365 et ses autres logiciels aux clients qui utilisent son cloud, ce qui a conduit OVHCloud, le leader européen, à déposer une plainte à auprès du commissaire européen à la Concurrence à Bruxelles pour abus de position dominante. L’Autorité de la concurrence française a également lancé début 2022, une enquête sur le fonctionnement de ce secteur.

Si l’Europe espère disposer de ses propres champions, elle a bien du mal à s’en donner les moyens. Le projet Gaia-X qui vise à doter doter l’Union européenne (UE) d’une infrastructure cloud complète est désormais critiqué par certains acteurs : au vu du retard européen, le choix a été fait de faire collaborer au projet les leaders américains et chinois avec les entreprises européennes, lesquelles garantissent la sécurité des données sur des clouds gérés depuis le continent européen. Mais la participation des géants mondiaux au projet Gaia-X, le détourne de sa vocation originelle qui était de faire émerger des licornes européennes. Par ailleurs, un nouveau « projet important d’intérêt européen commun » (PIIEC) sur le cloud, engagé en 2022, bénéficie d’un soutien public de 300 millions d’euros, ce qui reste bien loin des milliards investis par les géants du numérique. 

En plus des intérêts économiques, de véritables enjeux d’indépendance et de souveraineté sont au cœur des préoccupations européennes. En effet, le cloud computing pose un véritable défi : celui de la confidentialité des données. Les entreprises qui louent des services cloud, voient leurs données exportées chez des prestataires qui ne relèvent pas des législations européennes. Les lois américaines posent particulièrement problème : depuis 2018, le Cloud Act permet au gouvernement américain de réclamer l’accès à n’importe quelle donnée détenue par une société américaine, quel que soit le lieu d’hébergement physique de la donnée. Des risques similaires existent avec les clouds chinois : l’utilisation de matériels et technologies Huawei est fortement déconseillée, tant il existe de risques que les données soient transférées vers la Chine. 

À défaut d’une infrastructure technique, l’Europe met en place des garde-fous juridiques. Le Digital Markets Act(DMA) vise à contenir les pratiques anticoncurrentielles des GAFAM, pour permettre aux entreprises européennes de se faire un peu de place sur ce marché. Par ailleurs, le Règlement général sur la protection des données (RGPD) protège, depuis 2018, les données des entreprises et des citoyens contre leur exploitation par les fournisseurs de service cloud. Le RGPD s’impose en principe aux entreprises étrangères, mais il est compliqué d’en vérifier l’application… Amazon n’a pas respecté ce règlement et a été condamné en 2021 à une amende de 746 millions d’euros. Cela suffira-t-il à protéger les utilisateurs européens ? 

Publié le 15/08/2022 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Cloud computing

Sylvain Caicoya, Jean-Georges Saury
Micro application, 2011

Évolution majeure de l’informatique, l’informatique dans les nuages ou cloud computing permet de stocker les données sur des serveurs distants. Cela modifie grandement l’organisation de l’informatique des entreprises. Ce livre répond aux nombreuses interrogations soulevées par le cloud en présentant les différentes solutions qui existent et les approches possibles pour sécuriser les données.

À la Bpi, niveau 3, 681.5 CAI

Pour un cloud européen : garant de notre indépendance numérique

Édouard de Rémur, Cédric Mermilliod, Stanislas de Rémur
Cherche midi, 2020

La mainmise des États-Unis et de la Chine sur le stockage de nos données pose des problèmes évidents de confidentialité, de sécurité et de souveraineté. La solution pour acquérir une indépendance numérique passe par une mutualisation des forces européennes, au cœur du projet Gaia-X. Les auteurs expliquent le fonctionnement du cloud et la nécessité de disposer d’un cloud européen.

À la Bpi, niveau 3, 339.62 REM

« Le Cloud, nouveau terrain d’une guerre internationale sans merci » | Le Moci, 29 juillet 2021

La guerre internationale du numérique a débuté ! Son champ de bataille est le cloud – le « nuage numérique » et les principaux enjeux sont la domination de la data, la régulation du e-commerce, la protection des données personnelles. Les « e-currencies » ou monnaies digitales sont à très court terme également concernées !

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