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Appartient au dossier : Petite histoire du datajournalisme

Du journalisme narratif au journalisme de précision

Le texte, l’article, la « story », a longtemps constitué le cœur du journalisme, à plus forte raison avec le Nouveau journalisme à partir des années soixante. En contre-point de ce journalisme inspiré de la littérature s’est développé un journalisme basé sur des méthodes scientifiques, avec la généralisation de l’outil informatique.

L’apparition du Nouveau journalisme, théorisé par Tom Wolf en 1973 a consacré la part narrative du journalisme, avec des auteurs comme Joan Didion, Truman Capote ou Hunter S. Thompson. Sans être de la fiction, le Nouveau journalisme emprunte à la littérature ses techniques et ses modes de narration. Centré sur le storytelling, le journalisme de narration passe par deux étapes : investiguer puis raconter. Mais, dans le même temps, se développe un autre mode de journalisme, qui emprunte ses méthodes aux sciences.

Premières applications du journalisme assisté par ordinateur

Avec le développement des outils informatiques, des journalistes d’investigation commencent à exploiter les possibilités offertes par les bases de données. Dès 1952, la chaîne de télévision américaine CBS utilise un ordinateur (Remington Universal automatic Computer) pour prédire l’issue des élections présidentielles opposant Adlai Stevenson à Dwight Adenauer.

La reconnaissance du datajournalisme

Les sciences sociales et leurs méthodes irriguent aussi le journalisme. Le journaliste Philip Meyer, qui a étudié les sciences sociales à Harvard, est ainsi considéré comme l’un des pionniers du journalisme de précision. Journaliste au Detroit Free Press, il analyse les émeutes de 1967 à Detroit grâce à une méthode de sondage qu’il exploite à l’aide d’un ordinateur, pour montrer la décorrélation entre le statut social et le fait de participer à une émeute. En 1973, il publie Precision Journalisme (édition augmentée en 1993 sous le titre The New Precision Journalism), dans lequel il plaide pour l’utilisation des méthodes de statistiques et des outils informatiques dans le journalisme.

Dans les années quatre-vingt, ce journalisme à vocation scientifique continue de se développer, à mesure que l’usage de l’outil informatique se généralise. Ainsi, en 1989, le prix Pullitzer, la plus prestigieuse distinction du journalisme américain, est décernée à Bill Dedman pour sa série d’article « The Color of Money » dans The Atlanta Journal-Constitution, dans laquelle il démontre la discrimination envers les Noirs dans l’attribution de prêts bancaires à Atlanta. Son travail, qui a conduit le Congrès à favoriser la divulgation des données de prêts bancaires pour mettre en lumière les schémas de discrimination raciale, constitue un exemple majeur du journalisme assisté par ordinateur.

« The Color of Money », Bill Dedman, 1989, The Atlanta Journal-Constitution

L’exemple de Bill Dedman est suivi, en 1993 par Steve Doig, qui reçoit à son tour le prix Pulitzer pour son enquête sur l’ouragan Andrew. Steve Doig est détenteur d’une chaire de journalisme assisté par ordinateur à l’université d’Arizona et a été journaliste au Miami Herald pendant près de vingt ans. En 1992, après le passage de l’ouragan Andrew en Floride, il constate que certaines maisons ont été complètement détruites et d’autres sont restées intactes. Il conduit son enquête à partir de données publiques et établit une corrélation entre les destructions infligées aux constructions les plus récentes, utilisant des matériaux de moins bonne qualité et faisant l’objet d’inspections urbaines plus légères, et le financement des partis politiques aux dernières élections par des entreprises du bâtiment. Mais, s’il révèle l’importance de l’utilisation des données et des outils informatiques pour mettre en évidence des faits, il rappelle aussi que « le datajournalisme, c’est de l’enquête, pas du code ».

Publié le 02/08/2021 - CC BY-NC-SA 4.0

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