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Appartient au dossier : Cinéma du réel 2021

L’écologie, un combat féministe selon Marwa Arsanios

La vidéaste Marwa Arsanios est également une plasticienne et une chercheuse dont le travail interroge les relations de genre, le collectivisme, la politique et l’écologie. Son film Who is Afraid of Ideology? donne la parole à des femmes habitant des zones de conflit et qui s’organisent au sein de communautés non-mixtes. Entrées en résistance contre le capitalisme, le patriarcat et toute forme d’exploitation, elles recouvrent leur indépendance en retissant un rapport écologique et respectueux à la nature. Who is Afraid of Ideology? est projeté dans le cadre de la programmation « Front populaire » du festival Cinéma du réel 2021.

Assemblée de femmes kurdes
Image de Who is afraid of Ideology? Part II, par Marwa Arsanios, mor charpentier. DR.

Les trois parties de Who is Afraid of Ideology? sont projetées ensemble mais elles sont indépendantes et n’ont pas été réalisées dans le même temps. Chaque épisode traite du cheminement vers l’autonomie d’une communauté féminine installée dans une zone de tensions. Les deux premières parties découlent directement de la rencontre de deux militantes du Mouvement des femmes kurdes tandis que la troisième s’est construite à partir de rencontres faites lors de conférences suivies par la cinéaste. Les réflexions recueillies et les partages d’expériences ou d’idées font émerger un écoféminisme reposant sur le collectif, la transmission de savoirs techniques ou féminins et un rapport renouvelé à la nature. Les « petits » savoirs, presque effacés dans les sociétés capitalistes, resurgissent dans les moments de conflits et deviennent de vrais trésors.

Les femmes combattantes kurdes

La première partie ouvre sur la réalisatrice, seule, face à la caméra, les montagnes du Kurdistan derrière elle. Elle énonce ses interrogations fondamentales sur la place de l’humain dans la nature et la façon dont il l’habite et, plus particulièrement, la signification du « nous » et du « être ici ». Si les lèvres de Marwa Arsanios bougent à l’écran, aucun son n’en sort. C’est sa voix off qui s’exprime, après un temps de décalage qui fait apparaitre la cinéaste comme une toute petite partie du paysage, sensation renforcée par le cadrage large, un travelling arrière et une ambiance sonore traversée par des cris de corbeau. Après lecture d’un texte de Pelshin, écrivaine et idéologue du Mouvement des femmes kurdes, qui parle des liens entre écologie, femmes et guerre, elle donne la parole aux combattantes kurdes de la zone de conflits située aux frontières de l’Iran, l’Irak et de la Turquie. Leur implication dans la résistance kurde leur a accordé un pouvoir politique qu’elles ont mis au service de la cause féminine. Elles refusent désormais toute forme d’exploitation par les systèmes, qu’ils soient politiques, économiques ou patriarcaux.

Marwa Arsanios se positionne en médiatrice du savoir et interroge cette expérience du « nous » lorsqu’elles ont dû survivre seules dans les montagnes. Confrontées à la réalité d’une nature hostile, comment ont-elles composé avec leurs principes écologiques ? Les femmes témoignent de l’importance des savoirs transmis par leurs mères. Si elles ont éprouvé des difficultés avec le maniement de la hache, les savoirs féminins comme la connaissance des plantes leur ont permis de se nourrir et de se soigner. Les paysages majestueux de la région défilent tandis qu’elles s’expriment. Quand les femmes apparaissent à l’écran, les voix se taisent et font place aux bruits de l’environnement, créant une harmonie entre la nature et ses habitantes.

Jinwar, le village des femmes

La deuxième partie traite d’un exemple d’écoféminisme assumé. Marwa Arsanios suit la construction et le quotidien d’un village conçu par le Mouvement des femmes kurdes du Rojava pour les femmes et ouvert en 2018 : Jinwar, au nord de la Syrie, à la frontière avec le Liban. Les hommes n’y sont tolérés qu’en journée. Les femmes qui s’y établissent, par choix ou par nécessité (veuves, victimes de violences conjugales…) sont liées par un contrat social et assument les tâches nécessaires à la vie dans le village, y compris la protection de celui-ci. Leur rôle n’est plus restreint aux tâches liées au care, traditionnellement déléguées aux femmes. La vie au village se construit sur des principes collectifs, féministes et écologiques. Le « nous » leur a permis de gagner leur autonomie.

Marwa Arsanios filme les jardins et vergers, îlots féconds grouillants de vie, en contraste avec les vastes étendues plates aux alentours. Une femme feuillette un herbier et lui énumère les qualités de ces plantes considérées comme des mauvaises herbes mais qui contribuent à leur survie. Malgré les dangers réels aux portes du village, la musique résonne dans le village et les femmes se sentent en sécurité.

Mariana, à Tolima, Colombie

Dans cette troisième partie, Marwa Arsanios s’intéresse à une autre forme de combat pour la terre et change de continent. Elle pose sa caméra en Colombie, dans le Tolima. Le filme commence par des images d’une installation d’artiste qui met en scène les semences et la vie microscopique du sol. La vie de Mariana constitue le fil rouge de cet épisode. Militant pour la récupération des terres et la conservation des semences, elle est obligée de fuir sous les menaces. Son histoire illustre la violence exercée sur ces populations pauvres mais autonomes. Elle est renforcée par les témoignages de la population indigène sur l’ingérence et la violence des puissantes sociétés transnationales. Les voix sont toutes féminines.

La cinéaste filme ces petits paradis de culture menacés, cultivés dans le respect de l’environnement et des traditions. Ils sont de plus en plus enclavés dans un paysage uniformisé par l’industrie agricole. Les habitants de ces enclaves continuent d’y semer des grains récupérés des récoltes précédentes et parfaitement adaptés à leur environnement. Ils produiront des plantes moins gourmandes en ressources et moins fragiles. Ces grains incarnent ces savoirs agricoles hérités qu’il faut transmettre pour résister. Marwa Arsanios capte une scène symbolique : le bruit d’hélicoptère vient couvrir la voix d’une femme en pleine séance de partage du savoir agricole à ses voisins.

Publié le 15/03/2021 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Marwa Arsanios │ mor charpentier

La fiche auteur de Marwa Arsanios sur le site de mor charpentier. Fondée en ​octobre ​2010 par Alex Mor et Philippe Charpentier, la galerie mor charpentier soutient des artistes d’horizons différents réunis par une approche conceptuelle forte.

Who’s Afraid of Ideology? Ecofeminist Practices Between Internationalism and Globalism │e-flux, septembre 2018

Marwa Arsanios parle dans cet article du travail des organisations non gouvernementales de femmes dans le monde arabe et d’écoféminisme. Elle reprend des exemples traités dans les deux premières parties de Who’s Afraid of Ideology?

La lutte des femmes au Kurdistan │ Vacarme n°71 (2015) sur Cairn.info

Un article qui explique comment les luttes politiques pour le peuple kurde ont permis aux combattantes de s’engager sur le chemin de l’émancipation et de l’autonomie.

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