Interview

Appartient au dossier : Espace : vers l’infini et au-delà ?

Y a-t-il de la vie dans l’Univers ?
Entretien avec Frances Westall, exobiologiste

Sciences et techniques

Frances Westall - CNRS Orléans

Dès l’Antiquité, Lucrèce, dans De natura rerum, s’interrogeait sur l’existence de vie dans l’Univers. Cette question, qui a revêtu une importance nouvelle avec les débuts de l’exploration spatiale, est au cœur d’une science récente : l’exobiologie, qui cherche à percer le secret de l’origine de la vie sur notre planète et dans la galaxie. Frances Westall, exobiologiste au CNRS, explique à Balises ses recherches, dans le cadre du cycle « Espace, frontière de l’infini », qui se déroule à la Bpi à l’automne 2022.

Qu’est-ce que l’exobiologie ? 

L’exobiologie est un champ d’études très vaste, puisqu’elle s’intéresse à tous les processus qui ont permis à la vie d’apparaître, sur la Terre et dans l’Univers. L’exobiologie se trouve au croisement de plusieurs disciplines. D’abord, la chimie prébiotique, c’est-à-dire l’étude de la manière dont les molécules se sont assemblées pour former les premières cellules. La biologie nous aide à comprendre comment les cellules ont évolué, se sont structurées, pour aller vers des formes de vie plus complexes. On s’intéresse par exemple aux bactéries et à d’autres microbes qui se développent dans des environnements extrêmes sur Terre, car ce sont des environnements qu’on retrouve sur d’autres planètes. L’aspect géologique a aussi son importance : quel environnement a permis l’apparition de la vie ? Enfin, les connaissances astronomiques permettent d’étudier la composition d’autres planètes pour savoir si la vie a pu y apparaître. 

Etoiles et galaxies phtographiées par un téléscope
Télescope James-Webb, photographie du premier champ profond – NASA, ESA, CSA, and STScI – CC0

Est-ce qu’on connaît aujourd’hui les conditions nécessaires à l’origine de la vie ? 

D’abord, il faut de l’eau : l’eau liquide est un élément stable dans une large gamme de conditions physiques, entre 0 et 100 degrés Celsius, et elle peut résister à de fortes pressions. Cela offre beaucoup de possibilités pour la chimie prébiotique, puisque l’eau va être un excellent solvant pour les molécules organiques. 

La plupart des molécules qui sont à l’origine de la vie sont venues de l’espace, sur certains types de météorites qu’on appelle chondrites carbonées. Ces météorites peuvent contenir jusqu’à 4 % de matière organique. Ces matériaux extra-terrestres contiennent une énorme gamme de différentes molécules, dont la vie n’aura besoin d’utiliser qu’une petite quantité pour se développer. D’après une partie des chercheurs de ce domaine, la molécule clé pour le développement d’une cellule, c’est l’ADN ou l’ARN. Il faut aussi des lipides qui vont former la membrane des cellules. 

Enfin, l’énergie est nécessaire pour que le processus prébiotique puisse avoir lieu. Les UV, par exemple, sont une très haute source d’énergie qui, selon certains chercheurs, sont essentiels pour lancer les premières réactions en chimie prébiotique. Mais, au-delà d’une certaine complexité moléculaire, les UV sont hautement destructifs… D’autres sources d’énergie peuvent venir de réactions à la surface des minéraux, dans les sources hydrothermales par exemple. Ces réactions produisent de l’énergie qui peut être captée pour donner l’élan à des processus prébiotiques. L’électricité aussi peut avoir joué un rôle : on pense que des processus chimiques ont eu lieu dans les nuages volcaniques, dans l’atmosphère de la Terre primitive. Celle-ci ne contenait pas d’oxygène, mais seulement du dioxyde de carbone. Il y avait des éclairs et beaucoup d’électricité qui ont pu provoquer la production de molécules organiques. 

Cependant, tout cela relève d’un long processus de catalyse, mais nous ne savons pas précisément sur quelle échelle de temps : des dizaines, milliers voire millions  d’années ? Les réactions qui conduisent à l’apparition d’une première cellule doivent se faire dans un lapse de temps limité et sans à-coups. Si le processus s’interrompt, les molécules se désagrègent, et on se retrouve avec les ingrédients initiaux.

Mais, même concernant l’apparition de la vie sur Terre, il reste beaucoup d’incertitudes. Depuis soixante-dix ans que les chercheurs s’intéressent à cette question, ils ne sont pas encore parvenus à une réponse unanime ! Il y a actuellement un débat pour savoir si la vie est apparue dans les sources chaudes sur les terres émergées autour des volcans, ou dans les sources hydrothermales sous-marines. Nous n’avons pas non plus de certitudes sur les molécules qui sont à l’origine du processus : étaient-ce les molécules qui servent au transfert d’information, comme l’ADN ou l’ARN, ou bien d’autres molécules ? Est-ce que les molécules essentielles se sont formées toutes ensemble, ou est-ce qu’elles se sont assemblées progressivement ? Il y a autant d’approches différentes que de groupes de recherche. 

Les mécanismes d’apparition de la vie sur Terre sont-ils transposables à d’autres planètes ? 

Christian de Duve (1917-2013), prix Nobel de médecine, qui s’est intéressé à l’origine de la vie, a fait l’hypothèse d’une évolution logique qui va de la chimie à la biologie dans certaines conditions environnementales : il s’agit de mécanismes absolument automatiques, qui ne sont pas spécifiques à la Terre. La Terre primitive, il y a 4 ou 4,5 milliards d’années, présentait des caractéristiques qui se retrouvent sur de nombreuses autres planètes. Nous pensons donc que les processus qui ont permis l’apparition de la vie pourraient être assez fréquents dans l’Univers, en tout cas pour une vie microbienne ou unicellulaire. En revanche, beaucoup d’autres facteurs sont nécessaires pour voir apparaître des formes de vie plus évoluées et aboutir à des mammifères comme les êtres humains. Par exemple, la tectonique des plaques est absolument indispensable : si rien ne bouge à la surface d’une planète, la vie utilise tous les nutriments disponibles dans son environnement avant de disparaître. La tectonique des plaques va diffuser des nutriments, et la vie va pouvoir continuer. Ensuite, il faut beaucoup d’oxygène : plus les organismes sont grands, plus ils vont avoir besoin de brûler de nutriments pour vivre et se développer et pour cela il leur faut de l’oxygène. Je doute que tous ces critères soient réunis sur les exoplanètes que l’on connaît actuellement et je ne m’attends pas à découvrir bientôt des extra-terrestres technologiquement avancées ! 

 Comment peut-on identifier la présence de vie sur les exoplanètes depuis la Terre ?

Si quelqu’un observait la Terre depuis une planète lointaine, il verrait à la composition de l’atmosphère que s’y trouve une vie très active à la surface, une vie basée sur la photosynthèse, c’est-à-dire l’utilisation du rayonnement solaire comme source d’énergie. Un produit de cette photosynthèse est l’oxygène. Aujourd’hui notre atmosphère est composée essentiellement d’azote (78 %), d’oxygène (21 %), et de traces d’autres gaz comme la méthane, un gaz réduit. En ce qui concerne les exoplanètes, si l’atmosphère contient des gaz oxydants et réduits, cela veut dire qu’il y a des processus qui les produisent en continu, donc des formes de vie. La photosynthèse est aussi facilement observable :  elle produit des molécules de couleurs, des pigments, qui peuvent être détectées avec un spectroscope. De nombreux signes de vie peuvent ainsi être observés, même à longue distance.

À quelles découvertes s’attendre prochainement ? Sur Mars ou ailleurs ? 

On a de bonnes raisons de penser qu’il y a eu de la vie sur Mars. Mais Mars n’a jamais été entièrement favorable au développement de la vie : si la vie a existé, c’est seulement autour des grands cours d’eau et dans les lacs des cratères où il y avait de l’activité hydrothermale. 

Pour le savoir plus précisément, il faudra réussir à se poser dans un endroit propice à l’apparition de la vie où on trouvera éventuellement des traces fossiles. Il va falloir ramener les échantillons sur la Terre, ce que la Nasa prévoit de faire avec le robot Perseverance. Mais ces dernières 3,5 milliards d’années, il y a eu beaucoup d’activité sur Mars, des pluies, des mouvements dans les eaux en profondeur, et cela a pu altérer les traces de vie. 

D’autres missions sont prévues pour aller sur Vénus faire des analyses in situ dans les nuages de cette planète. Y trouvera-t-on de la vie ? Personnellement, je ne crois pas… D’autres missions vont aller sur des lunes glacées, Europe, autour de Jupiter, et Encelade, autour de Saturne. Éventuellement, la vie peut être apparue sous la glace, dans l’océan, sur ces deux corps glacés. On trouve aussi sur ces lunes des sortes de geysers qui rejettent des panaches de fumée, des « plumes », lesquelles pourraient contenir des traces de vie. Le télescope James-Webb va permettre des découvertes étonnantes, plus encore que Hubble qui était déjà incroyable. Aujourd’hui, on est capable de mesurer la composition des atmosphères. Bientôt, nous pourrons voir aussi quelles planètes ont une couleur qui signale la présence de photosynthèse. Nous avons déjà détecté cinq mille exoplanètes, et cinq mille autres sont des candidates sérieuses. Les dix ou vingt prochaines années vont être intéressantes pour identifier les planètes vraiment habitables.

Publié le 07/11/2022 - CC BY-NC-ND 3.0 FR

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Le point sur les conditions pour la vie sur les autres planètes, sur l’origine de la Terre et son devenir. Après un constat des conditions idéales de vie sur Terre, l’ouvrage présente les recherches et projets en cours de la NASA, de l’ESA et de SETI.

À la Bpi, niveau 2, 576.4 MAE

Site web de la Société Française d’exobiologie

La Société Française d’exobiologie, fondée en 2009, a pour buts principaux :

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