Interview

Appartient au dossier : Press Start 2023 : coup d’envoi pour l’esport !

L’esport sur la voie de l’inclusion
Entretien avec Christine Kev

Culture numérique

Christine Kev © Lucas Guimond

La pratique de l’esport devient plus inclusive, affirme Christine Kev, membre du conseil d’administration de Women in Games France et de France Esports. Le secteur du jeu vidéo compétitif s’ouvre progressivement aux femmes, aux seniors et aux personnes racisées ou handicapées, notamment grâce à des associations comme Afrogameuses, HandiGamers et Silver Geek. Cet enjeu d’inclusivité est également au cœur d’une table ronde du Forum du Jeu vidéo, organisé par la Bpi dans le cadre du festival Press Start le 30 septembre 2023.

Quand a-t-on commencé à parler de mixité dans l’esport ?

Dans les circuits professionnels, les compétitions ont toujours réuni une majorité d’hommes. Les premières initiatives sont lancées autour de 2015, lors d’événements esportifs grand public. À cette époque, l’association états-unienne AnyKey est l’une des principales structures sensibilisant à la diversité dans l’esport, notamment la représentation des personnes LGBTQIA+ et racisées. En France, Women in Games et GameHer, qui ont vu le jour en 2017, mènent des actions pour donner plus de visibilité aux femmes dans les compétitions esportives et, plus généralement, dans le milieu du jeu vidéo.

Y a-t-il une volonté politique de rendre le secteur plus inclusif ?

En 2016, les acteur·rices de l’esport et les syndicats professionnels du jeu vidéo se sont réuni·es pour discuter de solutions à mettre en place en France. L’État s’est intéressé à cette démarche et a participé à la création de l’association France Esports. La loi pour une République numérique permet ensuite aux compétitions esportives de ne plus dépendre du régime juridique des loteries publicitaires et jeux concours : les joueur·ses peuvent désormais avoir un statut professionnel. En 2019, le gouvernement a proposé une stratégie Esport 2020-2025, pour rendre l’écosystème de l’esport plus responsable et inclusif.

Pourquoi les femmes restent-elles peu représentées dans les compétitions ?

Tout d’abord, dès leur enfance, les filles sont incitées à pratiquer des jeux fondés sur la collaboration, et non sur la compétition. De plus, une étude de Julien Borkowski, chercheur en sociologie du sport, montre qu’elles commencent à jouer aux jeux vidéo, en moyenne, deux années après les hommes. Les jeux vidéo ne leur sont pas adressés : en termes de marketing, les éditeurs les conçoivent à destination d’un public masculin, jeune et hétérosexuel. Elles s’orientent donc moins vers ce loisir. Enfin, le sexisme et les situations de harcèlement peuvent dissuader des joueuses de se lancer, notamment dans des compétitions en ligne. Celles qui ont franchi ce cap se sentent tout de même moins légitimes pour faire de l’esport à haut niveau. Le manque de joueuses modèles ne les encourage pas à persévérer. 

Une jeune femme brune aux cheveux longs, portant un casque audio avec un micro intégré, regarde droit devant elle d'un air déterminé. Dans son iris, se reflète un écran. En arrière-plan, flou, une autre jeune femme et un jeune homme sont dans la même position.
Niizu et Cosmïc, membres de l’incubateur esport Women in Games France, en compétition à la Lyon Esport en 2020 © WIG France, tous droits réservés

Qu’en est-il des personnes en situation de handicap ? 

De nombreuses avancées ont permis à ces joueur·ses de participer à des événements esportifs. En 2018, l’association CapGame a, par exemple, organisé le premier tournoi entièrement accessible à l’occasion de la Paris Games Week et d’Eaubonne Esport

Leur participation à ces compétitions a notamment augmenté grâce aux innovations techniques sur le matériel de jeu. Il existe désormais différentes manettes adaptées à une pluralité de handicaps moteurs. L’association HandiGamers propose une aide financière pour ce type de matériel, permettant aux personnes les plus modestes d’y avoir accès. Il reste cependant un travail à réaliser sur la question du handicap auditif, par exemple avec les éditeurs, qui pourraient développer des logiciels adaptés. Certains jeux, comme League of Legends, ne sont pas accessibles en tournois esportifs, car ils comportent énormément de sound design.

Et les seniors ?

Avec la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement du 1er janvier 2016, il y a une volonté politique de socialiser les personnes âgées par le jeu vidéo. Depuis 2014, l’association Silver Geek propose par exemple, pour les seniors, des ateliers d’initiation à l’usage des tablettes et des consoles de jeux. Elle les encourage aussi à participer à des événements esport de bowling sur la console Nintendo Wii. La compétition et les entraînements dynamisent les joueur·ses seniors dans leur pratique et les poussent à dépasser leurs limites. Ces exercices vidéoludiques, ou exergames, améliorent également leur état de santé physique et cognitive.

Par quels moyens l’inclusion s’améliore-t-elle dans les événements esportifs ? 

Sur la scène esportive du jeu de combat Super Smash Bros. Melee, Women in Games France et France Esports ont organisé des séminaires pour discuter de l’inclusion des femmes, mais aussi de la diversité ethnique et de la représentativité des personnes LGBTQIA+. Une série d’actions a été envisagée, comme la création d’un code de conduite pour sanctionner les joueur·ses ayant des attitudes inappropriées lors des compétitions. 

Actuellement, nous travaillons sur un guide des bonnes pratiques à destination des organisateur·rices de tournois esportifs. Une partie est spécifiquement dédiée à la mixité genrée et générationnelle et à l’accueil des personnes en situation de handicap. Le but est de leur fournir tous les éléments d’information pour que leur événement soit le plus inclusif possible.

Quelles solutions restent à mettre en place ?

Il reste notamment beaucoup de travail sur les questions de racisme et de représentation des personnes LGBTQIA+. L’éducation et la sensibilisation des joueur·ses restent la clé : les organismes de formation à l’esport pourraient par exemple inclure un module dédié à l’inclusion. Un label pour les événements esportifs les plus inclusifs pourrait également être créé. Il serait intéressant de travailler sur la formation des organisateur·rices et des joueur·ses, pour donner une certification disant que la personne a été formée aux enjeux de l’inclusion.

Concernant l’esport en ligne, une connexion tracée avec demande de pièce d’identité des participant·es pourrait être mise en place lors des compétitions. Cette solution peut cependant porter atteinte aux libertés individuelles. Surtout, des plateformes comme Twitch et TikTok ont un rôle à jouer, notamment sur les codes de conduite et le cyberharcèlement. Elles doivent sensibiliser et former les participant·es aux bonnes pratiques en ligne.

Publié le 11/09/2023 - CC BY-SA 3.0 FR

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Fanny Lignon
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Cet ouvrage analyse la représentation du masculin et du féminin dans la pratique du jeu vidéo, en étudiant l’imaginaire du jeu et la personnalité des joueurs ou joueuses.

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