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Gilles Aillaud, dessins en liberté

Le peintre Gilles Aillaud est surtout connu pour ses peintures représentant des animaux sauvages en captivité, mais il a également réalisé de nombreuses lithographies avec l’imprimeur Franck Bordas : deux aspects complémentaires de son œuvre, à découvrir dans l’exposition que lui consacre le Centre Pompidou du 4 octobre 2023 au 26 février 2024.

Gilles Aillaud dessinant un serval couché sur une pierre lithographique, dans l'atelier lithographique improvisé dans la ferme africaine.
Gilles Aillaud dessinant sur pierre dans l’atelier installé au Kenya, 1988. © Ianna Andréadis

Une rencontre artistique

Peintre, théoricien de la figuration narrative, écrivain, scénographe et poète, Gilles Aillaud (1928-2005) est déjà connu et reconnu lorsque Franck Bordas le contacte, en 1978. Âgé de dix-neuf ans, ce dernier ouvre alors son atelier de lithographie, et Aillaud est l’un des premiers artistes qu’il démarche. Franck Bordas connaît ses peintures et a vu quelques-uns de ses dessins, en noir et blanc, épurés, jouant avec le blanc du papier… La transcription graphique devrait intéresser le peintre, se dit-il.

Aillaud fait une première lithographie dans l’atelier : une tortue se réfugiant dans un recoin. « Dès la première pierre, c’était une réussite. Parce que c’était son dessin évidemment, mais c’était aussi une réussite technique par l’adéquation entre le procédé et sa gestuelle. Nous avions aussi en commun les animaux. Une partie de ma vie s’est vraiment orientée vers les animaux sauvages et c’était le thème central d’Aillaud », raconte Franck Bordas. De cette rencontre naissent des projets artistiques et une longue amitié.

Avec la lithographie, « l’artiste dessine directement sur la pierre, une matière sensible qui restitue les nuances des crayonnés. Le touché du dessin est là, reproduit sur la pierre, puis sur le papier. C’est assez différent de la gravure », poursuit l’imprimeur. Aillaud n’a d’ailleurs jamais fait de gravure, uniquement de la lithographie. « Il réalisait une transcription de ses thèmes de peintures à l’huile, mais avec un outil différent. C’est comme une variation avec un autre instrument de musique pour un musicien. Dans son cas, c’était une variation graphique. » Entre 1978 et 2000, ils réalisent ensemble près de 300 lithographies.

Tous les animaux…

lithographie : tête de lion couché, dessin au trait réalisé au crayon noir
Gilles Aillaud, Lion, lithographie extraite du tome I de l’Encyclopédie de tous les animaux y compris les minéraux. Édition Atelier Franck Bordas, 1988 © ADAGP, Paris, 2023

Malgré ses nombreuses occupations, Aillaud participe volontiers aux projets de Franck Bordas, comme la réalisation du numéro 2 de la revue Cargo (1983), fanzine luxueux en lithographie, tiré à 100 exemplaires. Au cours d’un dîner, Aillaud propose un autre projet éditorial ambitieux : un bestiaire dont chaque volume, tiré à 50 exemplaires, comportera 52 lithographies sur de petites pierres (25 x 32,5 cm), produites au rythme d’une par semaine. Chaque dessin sera accompagné d’un texte sur l’animal, rédigé par un écrivain : Jean-Christophe Bailly, Jean Jourdheuil, Nicky Rieti, Jean-Louis Schefer, Hans Zischler… Tous se rendent disponibles et le premier volume paraît en 1988. 

Quatre volumes de cette Encyclopédie de tous les animaux y compris les minéraux sont réalisés sur plus de douze ans, soit 194 lithographies constituant une vaste description du monde animal sauvage, des bêtes minuscules aux plus imposantes. Le même animal est parfois représenté plusieurs fois, proposant des variations autour du serval, de la tortue, du crocodile…

Franck Bordas propose à Gilles Aillaud et Jean-Christophe Bailly de réaliser le deuxième volume au Kenya, pays qu’il connaît bien. Ils s’établissent dans une ferme et arpentent les réserves, derniers territoires dévolus aux animaux sauvages. Les lithographies sont imprimées sur une presse apportée par Franck Bordas et les textes, rédigés sur place, font l’objet d’une mise en forme typographique à leur retour en France, deux mois et demi plus tard. Durant le séjour, Gilles Aillaud prend des notes, trace des esquisses, puis dessine sur la pierre les animaux rencontrés dans l’ordre chronologique. « Il connaissait parfaitement les animaux pour les avoir dessinés depuis son enfance, quand son père l’emmenait avec sa sœur Laurence au Jardin des plantes. Il les dessinait avec justesse, sans effets, ni technicité académique, sans repentir et parfois de mémoire. Très peu de pierres ont été mises de côté », témoigne Franck Bordas.

Un dessin essentiel

L’imprimeur décrit la façon de travailler de son ami : « De nombreux artistes, lorsqu’ils envisagent une œuvre graphique, partent du noir et couvrent le papier, cherchant à donner une profondeur par la matière. Lui, c’est plutôt l’inverse. Il utilise le blanc du papier. C’est un dessin très pur, essentiel. » Il cite une lithographie de 120 x 160 cm, réalisée de retour d’Afrique et représentant une file d’éléphants au centre de la feuille blanche, et une autre sur laquelle figurent toutes sortes d’animaux dans la savane, des buffles, des éléphants, dont on peine à distinguer les formes dans le paysage. « Il y a l’idée que le blanc du papier devient comme une surexposition. Il y a beaucoup de lumière et, quand on regarde attentivement, apparaissent les animaux. C’est le sentiment qu’on a souvent là-bas. L’animal n’est pas livré sur un plateau visuel. Quand vous l’apercevez au loin, il vous a vus depuis longtemps, et vous devez opérer comme une mise au point vers l’endroit où l’herbe bouge, pour le voir à votre tour. Sa manière de dessiner, c’est ça. »

Pour Franck Bordas, Gilles Aillaud capture plus que l’essence de l’animal : il représente jusqu’à la vibration de l’air. Quand il peint Girafes (1989) par exemple, les animaux se fondent dans le paysage au point que le bleu du ciel apparaît à travers les girafes devenues transparentes. Il restitue la profondeur de champ et peint le mimétisme animal. Après le Kenya, Gilles Aillaud avait imaginé des mises en situation différentes, pour d’autres représentations de l’animal : dessiner de nuit pour saisir la présence animale dans le noir, en Arctique pour les animaux dans le blanc de la neige, ou encore dans le désert. Autant de variations autour du thème animal que l’imprimeur et l’artiste, décédé en 2005, n’ont pas pu réaliser.

Publié le 25/09/2023 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Exposition « Gilles Aillaud. Animal politique » | Centre Pompidou, Paris, du 4 octobre 2023 au 26 février 2024

Cette rétrospective permet de (re)découvrir les peintures de Gilles Aillaud, mais aussi ses lithographies. Celles réalisées pour l’Encyclopédie de tous les animaux y compris les minéraux sont ainsi intégrées au parcours.

La chercheuse en Arts Mylène Ferrand a également consacré un article à Gilles Aillaud dans le Magazine du Centre Pompidou.

Exposition « Gilles Aillaud. Le Serval et la Tortue » | Librairie Métamorphoses, Paris, du 28 septembre au 18 novembre 2023

La librairie Métamorphose présente, avec la complicité d’Ianna Andréadis et de Franck Bordas, l’intégralité de l’œuvre gravé du peintre, dessinateur, scénographe et poète Gilles Aillaud, couvrant la période de 1965 à 2000.

Gilles Aillaud. Le Serval et la Tortue

Ianna Andréadis, avec Jean-Christophe Bailly
Librairie Métamorphoses, 2023

Établi par Ianna Andréadis, ce catalogue raisonné de l’œuvre gravé de Gilles Aillaud rassemble ses estampes, complétées par des photographies de l’artiste au travail, des citations, une chronologie, et un texte de Jean-Christophe Bailly qui rend hommage aussi bien au dessinateur qu’à l’art de la lithographie.

Bientôt à la Bpi

D'après nature : Encyclopédie de tous les animaux y compris les minéraux

Gilles Aillaud et al.
A. Dimanche, 2010

Cet ouvrage richement illustré est consacré à l’une des réalisations majeures de Gilles Aillaud : l’Encyclopédie de tous les animaux y compris les animaux, suite lithographique en quatre volumes éditée entre 1988 et 2000 par Franck Bordas. Les origines et la réalisation du projet sont ainsi évoquées et illustrées par un choix de planches et de textes, complétés par un catalogue raisonné.

À la Bpi, niveau 3, 70″19″ AILL.G 1

« Gilles Aillaud, éco-artiste avant l'heure », par Mylène Ferrand | Magazine du Centre Pompidou, 13 septembre 2023

« À l’heure de l’effondrement climatique, l’œuvre relativement méconnue de Gilles Aillaud apparaît comme intensément pertinente. Celui qui, sa vie durant, a peint les animaux enfermés dans des zoos, nous invite à repenser notre rapport au vivant – et plus largement aux choses terrestres. En représentant ces animaux, réduits à de simples symboles au service du narcissisme humain, le peintre-philosophe Aillaud ne contribue-t-il pas à les sortir des cages ? Pistes de réflexion, par la chercheuse Mylène Ferrand. »

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