Interview

Inédits : la magie des films amateurs
Entretien avec Alain Esmery

Cinéma

Caméra amateur - Photo de Dusan Jovic sur Unsplash - CC0

L’Association INÉDITS regroupe des collectifs et des institutions qui, partout en Europe, collectent et conservent des films amateurs. Ceux-ci présentent des images rares et parfois précieuses, qui témoignent d’une histoire et d’un patrimoine communs. Alain Esmery, vice-président de l’association, nous présente son travail dans le cadre de la projection de La Vie filmée, une série de sept films sur l’histoire des Français, réalisés à partir de films tournés par des amateurs entre 1924 et 1954.

Comment est née l’association Inédits ?

L’association est née en 1991 à Paris, au Forum des images, où je travaillais comme directeur des productions. Elle avait pour ambition de collecter, conserver, documenter et valoriser les films amateurs, principalement les films de familles. Il s’agissait au départ de créer un réseau : les pôles images, qui se sont constitués dans les années quatre-vingt au sein des cinémathèques régionales et qui rassemblaient ces images ne faisant pas partie du répertoire cinématographique classique car destinées à un public privé. En 1991, un certain nombre de responsables d’associations et de chaînes de télévision, ont rejoint ce réseau : la Radio Télévision Belge Francophone, la Cinémathèque d’Écosse, le British Film Institute, la Cinémathèque de Bretagne… 

Ces organismes débutaient alors dans la collecte et la conservation de ce type de films. La Vie Filmée était une référence, puisque ce triptyque révélait pour la première fois comment des cinéastes avaient pu s’emparer de ces images privées pour dresser une fresque impressionniste de la France. C’était la révélation que ces images avaient une valeur historique, sociologique, voire cinématographique. En 1991, on a donc décidé, ensemble, d’apprendre des méthodes de documentation, de conservation mais aussi de regard, pour sauvegarder ces films.

Aujourd’hui le réseau Inédits rassemble plus de 60 structures dans 15 pays en Europe qui partagent très régulièrement leurs expériences.

Comment sont collectées les images d’archives ? 

Ces images sont collectées par des réseaux, par le bouche-à-oreille. Au Forum des images par exemple, nous projetions de très courtes séquences amateur qui paraissaient intéressantes du point de vue de la qualité du regard ou des situations, en disant aux spectateurs : si vous avez des films, ils ont une valeur patrimoniale, apportez-les nous !  La Cinémathèque de Bretagne a bénéficié du relais de la presse quotidienne régionale, très favorable au projet. Chacun a essayé de développer des réseaux d’appel et d’information pour que les gens viennent déposer leurs films. 

On s’est aussi posé la question de savoir quels contrats passer avec les familles. Dans les années quatre-vingt, c’étaient les cinéastes eux-mêmes qui venaient déposer leurs images. Aujourd’hui, ce sont les descendants, les ayants-droits qui nous apportent les films de famille. 

Caméra amateur – Photo de Dusan Jovic sur Unsplash – CC0

Sélectionnez-vous les images à conserver ? 

Dans le réseau, au départ, certains conservaient seulement un partie des images après visionnage, considérant qu’ils n’avaient pas les moyens budgétaires ou logistiques de conserver l’ensemble des films. D’autres étaient dans une position plus radicale, avec l’idée de tout collecter, puisque c’est du patrimoine et que notre regard d’aujourd’hui ne préjuge en rien des regards de demain. 

Aujourd’hui, la tendance est d’essayer de collecter au maximum, mais tout collecter n’est simplement pas possible, pour des raisons essentiellement budgétaires. 

Qu’est-ce qui fait la spécificité des images amateurs ?

Ces images ont un mode de production privé, avec l’argent de la famille, elles sont tournées dans l’espace familial et amical, et projetées le plus souvent au sein d’une assemblée amicale ou familiale. C’est un cinéma centripète, tourné vers soi, un « cinéma du bonheur » mettant en scène principalement les moments heureux.

Mais en additionnant ces images, on s’aperçoit qu’elles n’existent nulle part ailleurs et qu’elles sont donc complémentaires avec le cinéma de fiction comme le cinéma documentaire. Dans les années vingt, trente ou quarante, même le cinéma documentaire n’entrait pas dans les interstices sociétaux et privés que donnent à voir les films amateurs. 

Dans un siècle qui intègre l’image animée comme un élément de son historiographie, ces images sont importantes. Il faut bien sûr apprendre à les regarder parce qu’elles sont polysémiques : parfois, c’est l’arrière-plan qui est important, car il témoigne de l’évolution des villes, des campagnes, des modes, des comportements, des corps. Ces documents sont pleins de potentiel. Selon la manière dont on regarde un film, on va être sensible à des choses différentes, c’est en cela que ces images sont très polysémiques. 

Dans les images amateurs, on voit passer des personnages inconnus qui peuvent rappeler un aïeul, un parent et d’un seul coup vous êtes transportés dans le film pendant quelques instants. C’est la magie de ces films. 

Comment sont-elles ré-utilisées ?  

La valorisation est très importante aujourd’hui. D’abord, pour avoir des subventions : il faut témoigner d’un intérêt pour la collectivité. Certaines cinémathèques projettent les films dans les villes où ils ont été tournés. Cela donne lieu à de vrais succès : les gens se précipitent pour voir des films dans lesquels ils pourront reconnaître un grand-père, une grand-mère voire eux-mêmes. Ces projections suscitent des échanges et des commentaires qui sont importants parce qu’ils révèlent le hors-champ de ces images et qu’il est intéressant de questionner ce qui se passe autour. Par exemple, les films tournés pendant les années de guerre en France, on peut se demander comment ils ont été tournés, comment ils ont été développés alors qu’il y avait une censure…

La valorisation permet aussi à des cinéastes de venir chercher des images, de s’en emparer pour créer un nouveau récit. 

Enfin, depuis une dizaine d’années s’est développée un partage de ces images avec des artistes qui travaillent d’une façon différente des documentaristes et qui révèlent parfois une esthétique qu’un regard d’historien ou de cinéaste ne permet pas de percevoir. 

Publié le 25/10/2021 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Site de l'association Inédits

L’Association Inédits est une association européenne, à but non lucratif. Elle a été créée en 1991 pour encourager la collecte, la conservation, l’étude et la mise en valeur des films amateurs. Elle regroupe aujourd’hui des associations, des institutions ou des particuliers. En 2016, elle compte une quarantaine de membres, en majorité francophones, issus de plusieurs pays européens (France, Grande-Bretagne, Italie, Luxembourg, Monaco, Pays-Bas, République tchèque). Ses membres se retrouvent chaque année pour échanger sur leurs pratiques, autour d’interventions d’universitaires ou de témoins, et pour découvrir des films ou des spectacles conçus à partir de films amateurs.

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