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Entretien avec Karim Sylla, danseur et chorégraphe

Politique et société

© Karim Sylla

Karim Sylla est un danseur et chorégraphe de vingt ans, originaire de Guinée. En France depuis ses seize ans, il a été suivi par l’Aide sociale à l’enfance et accompagné par l’Atelier des artistes en exil. Il nous raconte son parcours, en écho au cycle de conférences « Migrants, réfugiés, exilés » proposé par la Bpi en 2022.

Pourquoi avoir quitté la Guinée ?

Je suis parti pour plusieurs raisons. J’ai perdu mon père. On était quatre dans ma famille et je voyais ma mère qui travaillait dur pour trouver à manger. Je me suis dit : si je pars, ce sera moins de charge pour elle. Et puis, je faisais de la danse. Les gens me critiquaient et me disaient que ce n’était pas un métier, que c’était lié au banditisme. Cela m’a poussé à quitter mon pays.

Comment avez-vous fait pour venir en France ?

C’était compliqué. Il faut des années, traverser plusieurs pays, travailler pour gagner un peu d’argent, et arriver jusqu’ici.

Comment se passe votre travail de danseur depuis que vous êtes en France ?

Quand je suis arrivé, je ne savais pas ce que je devais faire pour danser. J’étais suivi par l’Aide sociale à l’enfance qui voulait que je fasse une formation de restauration, de plomberie ou d’électricité, ce qui ne m’intéressait pas. En attendant, à Paris, je faisais des spectacles dans la rue. Un jour, à seize ans, j’ai rencontré quelqu’un qui jouait des percussions dans le métro. Je me suis mis à danser et il a trouvé que je dansais très bien. Je lui ai expliqué mon problème : je venais d’arriver, je ne connaissais personne. Il m’a donné l’adresse de l’Atelier des artistes en exil et m’a dit qu’il fallait y aller pour obtenir de l’aide.

J’ai rencontré la directrice, Judith Depaule. Elle a vu mon parcours, ce que je faisais sur les réseaux sociaux, donc elle a accepté de m’accueillir. J’étais le premier mineur isolé avec lequel l’Atelier collaborait. J’ai commencé à travailler avec deux amis qui viennent du Mali, Lassine et Soumaïla. On a fait des animations et on a créé un groupe qui s’appelle Trio d’Afrique.

Montez-vous des spectacles ?

On a monté un spectacle avec le chorégraphe Thierry Thieû Niang au Palais de la Porte Dorée, au musée du MacVal et au musée du Quai Branly, dans le cadre du festival Visions d’exil, organisé chaque année par l’Atelier des artistes en exil. 

On organise aussi des animations à Paris, dans les associations, dans les compagnies et on donne des cours de danse. Comme j’étais un mineur isolé, j’ai animé un atelier avec des mineurs isolés parce que je sais ce qu’ils ont traversé. Je donnais des cours trois à quatre heures par semaine et après on discutait ensemble, pour partager un bon moment et pour leur faire oublier leurs soucis. On a fait ça pendant trois mois, et à la fin on a fait un spectacle dans une grande salle, c’était très sympa.

Arrivez-vous à vivre de vos activités ?

C’est compliqué parce que la danse a bloqué plein de choses par rapport à mon titre de séjour. Au début, j’étais dans un lycée où j’étudiais la gestion-administration. Le but, c’était trois ans d’études pour avoir mon diplôme. Mais, au bout de deux ans, l’Aide sociale à l’enfance a voulu que je sois en alternance, sinon ils ne pouvaient pas continuer à me prendre en charge. Donc j’ai été obligé de quitter le lycée, et l’Atelier m’a aidé à trouver un Centre de formation d’apprentis (CFA). J’ai fait ma troisième année là-bas. Je passais deux semaines à l’école, deux semaines en entreprise. Mais il y avait plein de cours que je n’arrivais pas à comprendre : français, anglais, maths, histoire-géo… Même pour trouver une entreprise, c’était compliqué. Je n’y arrivais pas et je voulais même abandonner. La directrice m’a encouragé à continuer jusqu’à la fin de l’année. Quand, en cours, il y avait des choses que je ne comprenais pas, je venais à l’Atelier et ils m’expliquaient. En même temps, j’avais des problèmes de logement. L’Aide sociale m’envoyait dans différents hôtels, je déménageais tout le temps. Malgré tout, j’ai fini mon année, même si je n’ai pas eu mon bac. 

Maintenant, j’ai un titre de séjour travailleur temporaire, d’un an renouvelable, avec lequel j’ai du mal à travailler. À Pôle emploi, ils m’ont dit que mon titre de séjour ne me permet pas de m’inscrire. Je suis dans un projet de danse à Vierzon avec une chorégraphe, Cécile Loyer, mais ce projet est temporaire. Comme la plupart des jeunes, j’ai essayé de faire des livraisons pour pouvoir travailler, gagner un peu d’argent. Mais mon titre de séjour ne me permet pas d’être auto-entrepreneur.

Avez-vous pu suivre une formation en danse ?

J’avais commencé une formation à l’Académie internationale de la danse (AID), et c’était un peu compliqué parce qu’il y avait des danses que je ne connaissais pas du tout, le classique et le jazz. Pour le classique, il faut commencer à la base pour y arriver. Avec le confinement, les choses se sont un peu bousculées et l’école coûte cher, même si c’était pris en charge par l’Atelier des artistes qui m’a toujours soutenu. J’ai quand même fait un an et j’ai eu un certificat.

Ce qui me manque, c’est le diplôme d’État, qu’on obtient au bout de trois ans. Pour être un bon danseur ici, il faut avoir un diplôme. Chez nous ce n’est pas ça : c’est toi qui es ton diplôme. C’est ton travail, ce que tu montres aux gens, qui est ton diplôme.

Évoquez-vous cette situation d’exil dans votre travail chorégraphique ?

Bien sûr il y a des messages à faire passer de temps en temps. On sait qu’on vient d’un pays où ça ne va pas du tout. Dans le spectacle qu’on fait, il y a un premier sens qui explique un peu ce qu’on a vécu, ce qu’on a laissé derrière nous, ce qu’on cherche à obtenir. Le projet à Vierzon avec Cécile Loyer s’appelle Villes de papier. C’est un projet qui parle de l’immigration pour dire que, nous qui venons en France, les immigrés, on peut se réconcilier avec les Français et trouver une place.

Publié le 31/01/2022 - CC BY-NC-ND 3.0 FR

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