Sélection

La BD en quête de soi

Balises s’est plongé dans la sélection officielle du Festival d’Angoulême 2021 et vous en propose un aperçu en suivant le fil conducteur de l’invention ou la réinvention de soi.

Alors que dominent les incertitudes sur ce que sera le « monde d’après », la bande dessinée a pris un temps d’avance, anticipant sur le besoin, collectif et individuel, de se réinventer. Qu’il s’agisse de se débarrasser de ses addictions pour reprendre le contrôle de sa vie, de se confronter à son milieu familial pour mieux s’en extraire ou encore de trouver dans l’art comment réenchanter sa vie, suivez le chemin de personnages en quête d’eux-mêmes.

Retrouvez la sélection officielle du Festival d’Angoulême 2021, ainsi que le palmarès de la Bpi sur Tu vas voir ce que tu vas lire, du 25 au 29 janvier 2021 !

Publié le 25/01/2021 - CC BY-SA 4.0

Notre sélection

Une année exemplaire

Lisa Mandel
Exemplaire, 2020

Une année exemplaire est un récit autobiographique de l’autrice de bande dessinée Lisa Mandel, qui raconte au quotidien son combat contre les addictions. Elle décide, un jour de juin 2019, de retrouver une vie plus saine et modérée en édictant vingt commandements, auxquels elle se promet de s’astreindre pendant un an : supprimer l’alcool, les sucres raffinés, le tabac, faire du sport, arrêter le grignotage, les séries, les jeux vidéo…

À raison d’une planche par jour qu’elle publie sur les réseaux sociaux, Lisa Mandel raconte à quel point la modération peut être extrême. Ce défi personnel et artistique se double d’une réflexion sur les injonctions multiples auxquelles chacun est soumis et sur les faces plus sombres de ces habitudes en apparence anodines (l’épilepsie dont elle souffre et contre laquelle les addictions sont un refuge). L’humour et l’autodérision sont au cœur de son récit, renforcés par un dessin en noir et blanc et un trait vif et efficace.

Entièrement financée en crowdfunding, Une vie exemplaire est aussi le point de départ d’une nouvelle aventure éditoriale avec la création d’Exemplaire, structure hybride entre autoédition et édition traditionnelle.

À la Bpi, niveau 1, RG MAN A

Billy Noisettes

Tony Millionaire
Éditions Huber, 2020

Billy Noisettes est une œuvre sombre qui nous ramène au cœur de l’imaginaire enfantin et de ses émotions paradoxales. Traduit et édité en France en 2020, cet album publié aux États-Unis en 2006 a valu à son auteur, Tony Millionaire, le prix Eisner de l’auteur humoristique l’année suivante.

On y suit les aventures oniriques et rocambolesques d’une créature fabriquée dans une ferme par une bande de souris. Becky, une fillette maline et téméraire, prend sous son aile ce Golem revisité, fait non pas de glaise mais de restes de tarte à la viande, et place des noisettes dans ses globes oculaires pour lui donner la vue. C’est ainsi que Billy Noisettes est baptisé. On s’attache à ce personnage aussi teigneux qu’impulsif en suivant avec bonheur ses aventures dans un monde qui suit sa logique propre.  À sa manière (très) particulière, Billy Noisettes apprend et grandit au fil de ces péripéties, jusqu’à se retrouver grignoté de toutes parts par un oisillon qu’il tente non sans mal de ramener à sa mère.

L’inquiétante étrangeté de cette bande dessinée fait référence aux grands maîtres de l’imaginaire du 19e siècle, au premier rang desquels Gustave Doré et Herman Melville. Le dessin en noir et blanc fourmillant de détails renforce cet hommage et les dialogues, aussi drôles que percutants, contribuent à en faire une œuvre intemporelle.

À la Bpi, niveau 1, RG MIL A

Pendant ce temps

Pelle forshed
Agrume, 2020

La banlieue pavillonnaire vue par Pelle Forshed n’est pas sans rappeler l’univers de Chris Ware. L’auteur suédois parvient à concilier à sa manière une certaine froideur et un comique diffus, qui rend ses personnages vivants et touchants.

Sur fond de thriller, Pendant ce temps brosse le portrait d’une scientifique dépressive, de son mari passionné de cyclisme, d’un drôle d’enfant qui collectionne les animaux empaillés, d’une femme qui a perdu son mari, d’une jeune artiste en pleine recherche formelle… Dans cette banlieue morne et apparemment sans aspérité, un homme, mari et père de famille, disparaît. Un grain de sable dans la machine qui ne fait que révéler les bizarreries de tous les personnages, enfermés dans leur solitude mais étroitement dépendants les uns des autres.

La solitude, le couple, l’art, l’enfance, la recherche de soi, sont quelques-uns des sujets évoqués dans cette histoire d’une apparente simplicité. Le style minimaliste, les dialogues subtils et le scénario délicat forment un univers que l’on pourrait observer longtemps à travers le microscope de Pelle Forshed.

À la Bpi, niveau 1, RG FOR P

Tanz!

Maurane Mazars
Le Lombard, 2020

À la fin des années cinquante, Uli étudie la danse moderne en Allemagne tout en rêvant de comédies musicales américaines. Après une discussion avec un amant passager, le jeune homme décide de tenter sa chance à New York. Là, entre auditions, fêtes, répétitions et rencontres d’un soir, le danseur cherche sa place et construit son identité, dans un milieu artistique en pleine mutation.

Avec Tanz!, Maurane Mazars fait le récit dense et vibrant d’une trajectoire singulière, mais aussi d’une époque pleine de bouleversements. Les corps en mouvement dessinés au pastel aquarellable racontent les traumatismes de la guerre et la contre-culture naissante dans le Manhattan des années cinquante, à travers les gestes emblématiques de chorégraphes tels que Kurt Jooss, Jerome Robbins, Mary Wigman ou Gene Kelly. Les références et les couleurs éclatantes qui emplissent les pages donnent à la trajectoire d’Uli et à celles de ses amis de l’épaisseur, de la vie et une grande douceur.

Pour ce projet, Maurane Mazars a reçu en 2018 le prix Raymond Leblanc de la jeune création à la Fête de la BD de Bruxelles.

À la Bpi, niveau 1, RG MAZ T

Battue

Marine Levéel
6 pieds sous terre, 2020

Camille vient de perdre son père, ancien membre du groupuscule d’influence néopaïenne « Les Blanchistes », proche de l’extrême droite. Elle vit recluse à la campagne, loin de sa région natale. Son quotidien est bouleversé par l’arrivée de son ami journaliste, Hassan, qui enquête sur ce mouvement dont il cherche à révéler l’idéologie. Son objectif est d’infiltrer la « Grande Battue », une chasse organisée chaque année dans les montagnes, pour comprendre et mettre à jour leurs actions illicites. Il va se rapprocher de Camille pour lui demander des informations sur un passé enfoui qu’elle ne veut pas exorciser.

Le récit de Battue, non linéaire et rythmé, mêle un passé fait de non-dits, de mystères et un présent sous tension. La technique du lavis donne une profondeur mélancolique et troublante au dessin. Les couleurs oscillent entre le tangerine vif de la chevelure de Camille et le magenta des paysages, des ombres, du ciel. Certaines planches en gaufrier s’attardent sur un détail morphologique ou une émotion d’un personnage. Une grande importance est accordée aux odeurs que Camille partage : caoutchouc brûlé, sueur aigre ou encore vomi lointain.

Marine Levéel avait envisagé de faire de Battue un scénario de court-métrage sur les thèmes de la chasse, du sang et de la force sauvage. La bande dessinée synthétise avec crudité tout cela : la violence d’une campagne délaissée où la noirceur humaine l’emporte sur la beauté des paysages.

À la Bpi, niveau 1, AL BAT

Paul à la maison

Michel Rabagliati
La Pastèque, 2020

À cinquante-et-un ans, Paul ne va pas très bien. Sa femme Lucie n’habite plus avec lui et sa fille s’apprête à quitter Montréal pour l’Angleterre : il se retrouve seul à la maison. Entre courses et obligations professionnelles, Paul rend visite à sa mère et, de plus en plus souvent, à ses médecins. Arrivé à l’âge où la santé devient une préoccupation, il découvre aussi que les rencontres deviennent plus laborieuses et que les jeunes peuvent se révéler agaçants. Si Paul se laisse parfois gagner par la mélancolie, il note aussi avec dérision les multiples changements d’un monde dans lequel il ne se sent plus tout à fait à sa place. 

Paul à la maison est le neuvième tome d’une série qui met en scène Paul Rifiorati, l’alter ego dessiné de l’auteur, Michel Rabagliati. Cette aventure biographique nous parle du temps qui passe avec une sensibilité sans emphase et une nostalgie amusée. Le dessin, synthétique mais précis, s’attache à décrire en bichromie tous les détails de la ville de Montréal et les décors quotidiens et émouvants où évolue son héros.

À la Bpi, niveau 1, RG RAB P

Anaïs Nin : sur la mer des mensonges

Léonie Bischoff
Casterman, 2020

Anaïs Nin s’est toujours rêvée écrivaine. Elle qui a appris trois langues différentes en grandissant, a pris l’habitude de déverser ses pensées les plus intimes dans un journal qui restera toute sa vie au cœur de son activité littéraire. Mais au début des années trente, le talent d’Anaïs Nin n’est encore qu’en germe. Tout en travaillant à un essai sur D.H. Lawrence, elle s’efforce en vain de faire aboutir une ébauche de roman, soutenue par son mari, le délicat Hugh. C’est à cette époque qu’elle fait une rencontre qui va changer sa vie : celle de Henry Miller, écrivain américain précédé par sa réputation sulfureuse.

Léonie Bischoff met en scène la métamorphose de la jeune femme en écrivaine : avec Henry Miller, Anaïs Nin prend confiance en ses capacités d’écriture en même temps qu’elle découvre un plaisir érotique inédit. Avec un dessin délicat rehaussé par des couleurs au crayon, qui donnent toute sa lumière et sa fluidité à ce récit d’une éclosion, l’autrice fait le portrait d’une femme audacieuse et aimante qui, pour accéder à sa véritable identité, brise les entraves sociales et psychologiques qui la limitaient depuis l’enfance.

À la Bpi, niveau 1, RG BIS A

Flipette et Vénère

Lucrèce Andreae
Delcourt, 2020

Clara est une jeune photographe. Effacée et en manque de confiance, elle cherche sa place en tant qu’artiste. Axelle milite dans une association qui vient en aide aux plus démunis. Insoumise et éruptive, la jeune femme lutte quotidiennement contre les inégalités et les injustices.

Bien que Clara et Axelle soient sœurs, tout semble les opposer. Mais quand Axelle se casse une jambe, elle est contrainte d’accepter l’aide de Clara et de l’accueillir chez elle. La cohabitation forcée se fait alors dans une ambiance explosive.

Au fil du temps, Clara se familiarise avec l’environnement de sa sœur et prend conscience d’une autre réalité que la sienne. Axelle, quant à elle, apprend à percevoir chez Clara des traits de sa personnalité qu’elle ignorait.

Par son dessin hyper coloré et son trait net, Lucrèce Andreae signe une BD ancrée dans son époque, qui raconte les préoccupations, les combats, les incertitudes d’une génération en quête d’elle-même. Flipette et Vénère brosse le portrait d’une jeunesse dans le flou, jonglant entre lucidité et idéaux, entre joies et tourments, et entre ravissements et désillusions.

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