Interview

La biodiversité, tissu vivant de la planète
Entretien avec Bruno David

Sciences et techniques

Bruno David par Spiridon Ion Cepleanu - CC-BY-SA 4.0

La perte de biodiversité est un des dangers qui pèsent sur l’environnement. La disparition de nombreuses espèces menace des écosystèmes entiers et, peut-être, l’espèce humaine. Bruno David, directeur du Muséum national d’Histoire naturelle et auteur de À l’aube de la 6e extinction, nous explique en quoi cette biodiversité est essentielle et comment la préserver.

Que désigne précisément le terme biodiversité

La biodiversité, c’est le tissu vivant de la planète, la biosphère. Il existe différentes manières de l’observer : il est possible d’étudier le nombre d’espèces dans tous les écosystèmes de la planète, ou de s’intéresser aux populations de chaque espèce. On peut également examiner les rapports entre espèces dans un écosystème : est-ce qu’une espèce domine ou est-ce qu’elles sont toutes équivalentes en nombre ? D’autres recherches portent sur la biomasse, c’est-à-dire combien pèsent les différentes espèces ou étudient le patrimoine génétique de chacune. Toutes ces approches, qui ne sont pas exclusives mais complémentaires, sont des manières de considérer un objet à multiples facettes, la biodiversité. Ce terme recouvre donc une multitude de concepts. 

Gravure représentant des plantes et des insectes
Metamorphosis insectorum Surinamensium, planche VI. 1705, par Anna Maria SibyllaMerian [  CC0 – Wikimédia Commons ] 

Quelle est la part des espèces menacées et pourquoi est-ce problématique ?  

L’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique sur la biodiversité et les services écosystémiques) donne le chiffre de 500 000 à 1 million d’espèces en déclin, qui risquent de disparaître dans les décennies qui viennent si les processus vont au bout de leur mécanique. Puisqu’il existe environ une dizaine de millions d’espèces vivantes sur la planète, cela ne fait jamais que 10 % des espèces qui sont menacées. Mais dans le monde vivant, ce chiffre a peu de sens. Tout dépend de l’importance relative des espèces menacées et de leur rôle dans les écosystèmes auxquels elles appartiennent. La disparition d’une espèce peut déstabiliser complètement un écosystème, tandis que la disparition d’une autre aura peu d’impact. 

La biosphère fonctionne comme un immense réseau d’interactions : des fils sont entrelacés, entremêlés et nous sommes en train de tirer sur ces fils. Nous pourrions avoir la tentation de la pure gestion et faire la liste des espèces utiles sans s’intéresser aux autres. Mais cela supposerait qu’on sache exactement comment fonctionne la vie sur terre et comment elle va fonctionner dans l’avenir… ce qui est impossible puisqu’il n’y a pas de règle dans la manière d’évoluer. La vie est trop complexe pour qu’on puisse la mettre en équation, donc, si on tire un fil, nous ne savons pas quelles conséquences cela va entraîner. 

Quelles sont les causes de ce déclin ? 

La perte de biodiversité est multifactorielle, actuellement comme lors des grandes crises du passé. Différentes causes peuvent être invoquées aujourd’hui : l’occupation des espaces à cause de l’urbanisation et des routes qui morcellent les territoires, la surexploitation des ressources dans les océans ou la pollution des plaines agricoles. Il arrive aussi que certaines espèces soient déplacées par l’homme : introduites dans certaines régions, elles peuvent devenir invasives et déséquilibrer les écosystèmes. Et il y a aussi le changement climatique. Ce sont ces différents facteurs qui, ajoutés les uns aux autres, posent problème. S’il n’y avait que le réchauffement global, la biodiversité serait affectée, mais elle pourrait sans doute le supporter.

Des extinctions massives ont déjà eu lieu par le passé. En quoi est-ce particulier cette fois ? 

Une première particularité tient à ce que pour la première fois, une seule espèce est à l’origine de l’extinction des autres : Homo sapiens. 

La vitesse est une autre particularité : actuellement, le changement se produit cent à mille fois plus vite que lors des extinctions observées précédemment. Depuis l’origine de la vie sur la terre, il y a 3,5 milliards d’années, et en particulier depuis 500 millions d’années – période dont on a gardé un registre très complet des espèces, grâce aux fossiles – il y a toujours eu des extinctions et des apparitions d’espèces. Mais cela se passait à un rythme qui permettait que les apparitions compensent les extinctions. Il y a d’ailleurs eu longtemps plus d’apparitions que d’extinctions, ce qui fait que la vie s’est beaucoup diversifiée sur la planète. Pour qu’une nouvelle espèce apparaisse sur terre, il faut une évolution de générations en générations. Pour certains organismes microscopiques, les générations sont rapides, mais pour d’autres organismes comme les arbres ou les mammifères, l’apparition d’une nouvelle espèce peut prendre plusieurs milliers d’années. 

Que peut-on faire pour protéger la biodiversité ? 

Dans la mesure où nous sommes face à des systèmes complexes, on ne peut pas attendre de comprendre comment fonctionne tel écosystème forestier ou lacustre. Ce qu’il est possible de faire en revanche, c’est de diminuer les facteurs de pression, car eux, nous les connaissons. En polluant moins par exemple, on est certain de faire les choses sans se tromper. Il y a des initiatives qui vont en ce sens : par exemple, aujourd’hui, les cours d’eau en France sont en meilleur état qu’ils ne l’étaient il y a quarante ou cinquante ans. 

Le déclin des espèces est encore réversible parce que la biodiversité a une très bonne capacité à réagir. Sa résilience – un mot qui vient de l’écologie – est très importante, c’est-à-dire que si on laisse la nature tranquille, en cessant d’exercer des pressions sur elle, elle pourra repartir… tant que certains seuils ne sont pas atteints. Le problème, c’est que nous ne savons pas où se situent les seuils à ne pas dépasser. De ce fait, nous pouvons agir, mais il faut aller très vite. 

Publié le 29/03/2021 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

À l'aube de la 6e extinction

Bruno David
Grasset, 2021

Nous sommes à l’aube d’une sixième extinction qui arrive à une vitesse jamais vue par le passé, avec pour principal responsable l’espèce humaine. Bruno David revient dans cet ouvrage sur l’histoire de la biodiversité et les crises qu’elle a déjà traversées et s’interroge sur les risques que cela présente pour nous. 

Avant que nature meure

Jean Dorst
Muséum national d'Histoire naturelle, 2012

En 1965, Jean Dorst publiait une analyse vivante et prémonitoire de la crise d’érosion de la biodiversité, aujourd’hui avérée. Cette étude naturaliste qui révèle toute l’importance de la biodiversité, est un appel pour que l’homme se réconcilie avec la nature.

À la Bpi, niveau 2, 573 DOR

Face aux limites

Collectif
Muséum national d'Histoire naturelle, 2020

Dans ce manifeste, le Muséum national d’Histoire naturelle explore la question des limites. Comment, dans un monde fini et face à une telle crise environnementale, la question des limites est abordée dans nos sociétés ? Les limites envisagées selon les divers points de vue (économique, anthropologique, etc.) sont ici examinées à la lumière de l’histoire naturelle. 

Pour que nature vive

Le Muséum national d’Histoire naturelle propose un podcast intitulé Pour que nature vive. En douze épisodes, cette série vous présente les sujets des recherches conduites par les scientifiques du Muséum, en lien avec l’actualité et des enjeux de société.

Demain, cohabiter avec le vivant : peut-on éviter la 6e extinction ?│ Bnf, 25 mars 2021

Les intervenants de ce colloque sont invités à éclairer l’érosion de la biodiversité qui inquiète la communauté scientifique et à esquisser les pistes d’une cohabitation harmonieuse entre l’espèce humaine et le reste du monde vivant.

Rédiger un commentaire

Les champs signalés avec une étoile (*) sont obligatoires

Réagissez sur le sujet