Sélection

Appartient au dossier : Cartographie et colonialisme

La géographie, ça sert d’abord à faire… les empires ?

Au lendemain de la défaite de 1870-1871 face à l’Allemagne, la politique française s’oriente progressivement vers l’expansion coloniale. Or, les Européens n’ont pas de connaissances réelles de l’intérieur des continents comme en témoignent les vides des cartes de l’Afrique.

Carte de l'Afrique, 1750
Carte de l’Afrique de d’Anville, 1750 sur Gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

L’époque n’est plus au comblement des « blancs des cartes » par des allégories ou des scènes de vie des indigènes.
La « découverte » des autres continents durant le 19e siècle et les premières décennies du 20e siècle demande un important travail de collecte de données topographiques, ethniques et économiques. Ce sera l’œuvre des Sociétés de géographie ou des Services géographiques des armées qui vont établir ces cartes très imparfaites au départ, d’abord à partir de leur « cabinet » parisien puis sur le terrain.

Ces cartes se feront à partir des relevés et des descriptions d’itinéraires fournis par les explorateurs, les missionnaires, les militaires, les marchands, voire certains autochtones… 
Elles seront surtout une cartographie de l’empire, de l’administration et du découpage du territoire colonial entre les puissances européennes de l’époque.

Remplir les blancs des cartes

Quelques articles

« La Carte et l’exotisme », Carole Séveno, Hypothèses, 2007/1, p. 47-56
Dès le 18e siècle, les cartes des colonies d’Amérique ou des Antilles, beaucoup plus précises que celles des métropoles, sont un outil de connaissance pour l’administration des territoires mais aussi une invitation au rêve, au voyage vers des contrées lointaines.
À consulter gratuitement à la Bpi sur le site payant Cairn.info

« Le dernier grand blanc de la carte d’Afrique : premières approches de l’Oubangui-Chari ou Centrafrique à la fin du XIXe siècle », Yves Boulbert, In Terres à découvrir, terres à parcourir, textes réunis par Danielle Lecoq, p. 299-313
Dans la région la plus centrale d’Afrique, à l’emplacement actuel de la Centrafrique et du Cameroun intérieur, de 1885 à 1899, des missions belges, françaises… rivalisent pour découvrir cette « région inconnue »… des Européens. Seuls quelques explorateurs divers et variés ont déjà tenté l’aventure avant 1884. Au temps des conquérants succède la mise en place coloniale, de 1900 à 1925. Le travail cartographique fut surtout topographique. Il secondait une exploration plus politico-militaire que scientifique.
À consulter en ligne sur Documentation.ird.fr

« Mythologies africaines dans la cartographie au tournant du XIXe siècle », Emanuela Casti, Cahiers de géographie du Québec, vol. 45, 2001, n° 126, p. 429-450
L’analyse du langage cartographique des cartes des revues du début du colonialisme en Afrique occidentale française (AOF) montre qu’aucune attention n’était apportée au territoire produit par les populations locales (toponymes, organisation sociale et politique…). L’Afrique était dotée de valeurs occidentales et considérée comme un territoire vide mais riche de ressources à exploiter. Ces mythologies dites de « retour » justifiaient le projet de domination occidental.
À consulter en ligne sur www.erudit.org

et à consulter en ligne sur mappemonde.mgm.fr

« Cartographie et contrôle au Maroc sous le Protectorat espagnol (1912-1956) », José Luis Villanova, M@ppemonde, n° 98 (2010.2)
Les « interventores » (contrôleurs) du Protectorat espagnol au Maroc entre 1912 et 1956, chargés de surveiller les autorités tribales marocaines, ont établi des cartes de qualité variée dans le cadre des rapports d’ordre économique, social ou à finalité militaire qui leur étaient demandés sur les tribus, mal connues de l’autorité coloniale : une mise en cartes à des fins de contrôle mais aussi de propagande.

« Une étape de la mise en carte de la montagne marocaine (1937) : le massif du Toubkal au 1/20 000″, Aurélia Dusserre, M@ppemonde, n° 93 (2009.1)
Réalisée sous la direction de Théophile-Jean Delaye, officier topographe, alpiniste et dessinateur, cette carte marque la fin de la cartographie de reconnaissance, au moment où le protectorat entend accorder une nouvelle valeur aux montagnes du Maroc.

« Exploration et transferts de savoir : deux cartes produites par des Africains au début du XIXe siècle », Camille Lefebvre, Isabelle Surun, M@ppemonde, n° 92 (2008.4)
Une exception dans le paysage cartographique du début du XIXe siècle : deux cartes produites par des Africains à la demande d’explorateurs européens où se conjuguent des traditions géographiques hétérogènes : une géographie savante présente chez les élites musulmanes africaines héritée des géographes arabes, une géographie des itinéraires qui relève du savoir pratique des commerçants africains, l’intérêt des Européens pour le réseau hydrographique et les voies commerciales et une exigence de maîtrise par un chef d’état africain de l’image qu’il donne de son territoire. Ces cartes, pourtant publiées en Europe, ont été ignorées des spécialistes européens jusqu’à ce que Reclus à la fin du siècle s’y intéresse.

Les cartes se montrent… aux expositions universelles et coloniales

Elles permettent, entre 1855 et 1937, à  l’empire français d’atteindre un de ses objectifs : connaître et faire connaître, montrer la puissance de la France et susciter les vocations de colons.

Quelques articles

Dans Annales de Géographie, à consulter en ligne sur www.persee.fr

« La cartographie à l’exposition universelle de 1900« , Emmanuel de Margerie et Louis Raveneau, Annales de géographie, 1900, t. 9, n°46. pp. 291-312

« Etude sur la cartographie de l’Indochine française« , Capitaine Rouget, Annales de Géographie, 1906, t. 15, n°79. pp. 26-42

« L’Exposition de géographie et de cartographie coloniales« , Paul Privat-Deschanel, Annales de Géographie, 1908, t. 17, n°94. pp. 347-351

« La cartographie à l’exposition coloniale de Marseille« , G. Rambert, Annales de géographie, 1922, t.31, n°174. pp. 433-448

« La cartographie à l’exposition coloniale de Vincennes« , Lieutenant Colonel Edouard de Martonne, Annales de géographie, 1931, t.40, n°227. pp. 449-478

Publié le 25/09/2012 - CC BY-SA 4.0

Sélection de références

couverture Géographes en Algérie

Géographes en Algérie, 1880-1950 : Savoirs universitaires en situation coloniale

Florence Deprest
Belin, 2009

L’auteure propose ici de reconsidérer la géographie coloniale à travers l’étude de la géographie universitaire de l’Algérie entre 1880 et 1950. Elle met en relation les discours savants, les conditions institutionnelles de leur production et de leur circulation entre colonie et métropole ainsi que les contextes politiques et les pratiques concrètes de leur mise au service du pouvoir. Très loin d’une réhabilitation de la géographie coloniale française, l’ouvrage met au jour les logiques contradictoires au cœur des savoirs universitaires et dévoile ainsi les visages multiples de la domination.

À la Bpi, niveau 3, 914(612) DEP

couverture Géographies des colonisations

Géographie des colonisations XVe-XXe siècles : actes du colloque "Géographie, colonisations, décolonisations XVe-XXe siècles", Talence, 1992

Centre d'études de géographie tropicale Talence (1992) Talence
L'Harmattan, 1994

Les études rassemblées ici portent sur l’Afrique, l’Asie ou l’Amérique latine, de la fin du 15e siècle à nos jours. Elles analysent à la fois la production et la connaissance progressive des territoires coloniaux par divers empires, l’histoire des groupes d’intérêts coloniaux souvent regroupés sous la bannière des Sociétés de géographie et l’impact du fait colonial mondial et local sur notre représentation du monde y compris au temps des décolonisations.

À la Bpi, niveau 3, 911(091) GEO

couverture La Cartographie missionnaire en Afrique

La Cartographie missionnaire en Afrique : science, religion et conquête (1870-1930)

Jean-Michel Vasquez
Éd. Karthala, 2011

Au 16e siècle, les Jésuites avaient fait découvrir aux Européens l’existence de la Chine, de l’Inde, de l’Amérique latine et du Canada. Au 19e, l’église chrétienne se tourne vers l’Afrique alors inexplorée. Les missionnaires sont les premiers Européens à s’enfoncer à l’intérieur des terres alors que les autres restent sur le littoral. Ils détiennent une pratique inégalée des langues locales ainsi que du territoire qu’ils habitent et produisent les premières cartes d’un espace jusque là sans image. Publiées en Europe, -près de 500 cartes par le périodique illustré des Missions catholiques entre 1870 et les années 30-, elles accroissent le savoir géographique mais restent distinctes de la géographie coloniale. Car elles servent surtout au missionnaire sur le terrain pour mieux contrôler son espace, affirmer son emprise sur des populations à évangéliser et contrer l’avancée des missionnaires protestants ou des autres congrégations catholiques. Elles servent aussi à collecter des fonds auprès des lecteurs en Europe pour aider les missions. Toutes ces cartes sont publiées par l’autorité pontificale à Rome pour illustrer l’avancée triomphante du catholicisme dans le monde. Ainsi, ces cartes, à priori illustratives, s’avèrent refléter, en réponse à des revendications territoriales contradictoires, un espace plus voulu que perçu.

À la Bpi, niveau 3, 914(630) VAS

Couverture L'Empire des géographes

L'Empire des géographes : géographie, exploration et colonisation, XIXe-XXe siècle : [actes du colloque, Bordeaux, Maison des sciences de l'homme d'Aquitaine, 13-15 octobre 2005]

Sous la direction de Pierre Singaravélou
Belin, 2008

La géographie est souvent considérée comme la « science coloniale » par excellence. L’exploration puis la colonisation des espaces africains et asiatiques au 19e et 20e siècles ont suscité un immense travail de description topographique, de classification ethnique et d’analyse socio-économique tant sur le terrain colonial qu’en métropole. Le savoir géographique devait permettre de conquérir puis de gouverner de vastes étendues avec un minimum d’administrateurs et de « mettre en valeur » les colonies de façon rationnelle. Les colonies ont pu, en outre, constituer un laboratoire de la modernité géographique comme lieux d’expérimentation de nouvelles pratiques de gestion et d’aménagement de l’espace, susceptibles d’être ensuite importées en métropole.

À la Bpi, niveau 3, 911(091) EMP

couverture Territoires impériaux

Territoires impériaux : une histoire spatiale du fait colonial

Sous la direction de Hélène Blais, Florence Deprest, Pierre Singaravélou
Publications de la Sorbonne, 2011

Ce livre a pour ambition de réexaminer la relation entre savoirs géographiques et empires à la lumière des travaux les plus récents, posant ainsi les jalons d’une histoire spatiale des empires. L’appropriation coloniale de l’espace par la construction de savoirs géographiques et de pratiques spatiales (cartographie, tracé de frontières, enquêtes) est souvent marquée de nombreuses discontinuités. La circulation des concepts, des méthodes de description et d’explication est liée au déplacement des principaux acteurs (explorateurs et voyageurs, militaires, ingénieurs, cartographes) et à leurs rencontres au sein de réseaux de relations institutionnels ou informels (informateurs autochtones, associations, revues). Elle ne saurait se résumer à une opposition binaire entre spatialités européenne et indigène.

À la Bpi, niveau 3, 911(091) BLA

Voyages au grand océan : géographies du Pacifique et colonisation (1815-1845)

Voyages au grand océan : géographies du Pacifique et colonisation (1815-1845)

Hélène Blais
Comité des travaux historiques et scientifiques, 2005

Bien après les voyages de Bougainville (1766-1769) et de Cook (1768-1771), eurent lieu, sous la Restauration et la Monarchie de Juillet, onze navigations « circumterrestres »dans le Pacifique. Elles furent financées et organisées par le Ministère de la Marine et des Colonies pour redorer la blason de la marine après les défaites napoléoniennes face à l’Angleterre. En 1813, Malte-Brun a déjà placé « l’Océanique » dans la 5e partie du monde dans sa « Géographie universelle ». On considère qu’en Océanie il n’y a plus de terres à découvrir mais que la connaissance du terrain doit confirmer et compléter les hypothèses avancées lors des voyages antérieurs. Hélène Blais analyse les récits de ces expéditions, édités en 1845 au moment de l’occupation française des Marquises et de Tahiti. Elle montre que la curiosité géographique même si elle s’inscrit dans un contexte d’expansion coloniale ne se réduit pas à la satisfaction d’ambitions coloniales : en effet, ce ne sont pas les îles ayant retenu l’attention des circumnavigateurs qui deviennent françaises.

À la Bpi, niveau 3, 99 BLA

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