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Le documentaire et la petite lucarne

Le succès récent de certains films documentaires comme Petite Fille de Sébastien Lifshitz, qui a rassemblé plus d’un million de téléspectateurs lors de sa diffusion sur Arte, ne suffit pas à masquer les difficultés du couple cinéma documentaire/télévision ces dernières années. Si la télévision reste un canal de production et de diffusion essentiel pour le documentaire, la question de la définition de ce genre continue de se poser, alors qu’émergent de nouveaux acteurs.

TV Wall, Éric Chan [CC BY 2.0] via Flickr

Une politique volontariste pour le documentaire à la télévision

Malgré une forte augmentation des diffusions en salles, la télévision reste le principal circuit de diffusion du documentaire et, avec les aides publiques, sa principale source de financement à travers des engagements de préachats, d’achats ou de co-production.

La relation entre cinéma documentaire et télévision a connu son âge d’or des années soixante-dix aux années quatre-vingt-dix. En 1986, La Sept, qui précède Arte, diffuse et produit nombre de documentaires de création. En 1997, Arte, qui investit dans la production indépendante du monde entier, lance La Lucarne, un créneau hebdomadaire pour des films documentaires exigeants.

En 2017, France 2 lance 25 nuances de doc pour partager « des films anciens ou inédits, des pépites, des coups de cœur d’ici ou d’ailleurs », avec une importante politique de préachat. France 3 contribue également à la diffusion de documentaires avec L’Heure D, diffusé uniquement l’été. France Télévisions est ainsi le premier diffuseur de documentaires, rassemblant 11,1 millions de téléspectateurs autour de 2 944 films en 2019. Les chaînes locales, moins soumises aux contraintes grand public des médias de masse mais avec des budgets plus modestes, sont également un acteur important du système. Cependant, le volume de documentaires diffusé à la télévision tend à baisser et les créneaux de diffusion, en deuxième ou troisième partie de soirée, peinent à rassembler de larges audiences.

La définition du « documentaire de création »

Un groupe de cinéastes, sous le nom de la « Bande à Lumière », obtient en 1987 la création d’un label « documentaire de création » par l’ancêtre du CSA, défini comme un film qui « se réfère au réel, le transforme par le regard original de son auteur et témoigne d’un esprit d’innovation dans sa conception, sa réalisation et son écriture. Il se distingue du reportage par la maturation du sujet traité et la réflexion approfondie, la forte empreinte de la personnalité d’un réalisateur et (ou) d’un auteur ».

L’apparition de la téléréalité puis des chaînes d’information en continu se traduit par la consécration du documentaire de société, basé sur des sujets d’actualité et un traitement sensationnel. Les autres chaînes ont tendance à calquer leurs programmes sur ce modèle, aboutissant à un formatage dénoncé par les professionnels du secteur. Le 9 mars 2021, trois cents réalisateurs, parmi lesquels Julie Bertuccelli, Dominique Cabrera, Sébastien Lifshitz, Nicolas Philibert ou Claire Simon, signent un appel dans Libération :

« Le regard singulier que les documentaristes portent sur le monde a peu à peu disparu des écrans de télévision au profit de programmes à caractère journalistique. […] Nous déplorons d’être acculés à réaliser des contenus formatés au commentaire explicatif. »

Les cinéastes remettent en cause la réduction du cinéma documentaire à des « sujets », alors que le documentaire est par essence un art de la longue durée, qui nécessite beaucoup de repérages et qui s’écrit au présent.

Web, VoD, crowdfunding… les nouveaux acteurs

À partir des années deux-mille, les producteurs et les réalisateurs s’emparent des possibilités offertes par le Web pour produire des documentaires interactifs intégrant vidéos, photos, sons, animations, à travers une narration délinéarisée.

L’essor du financement participatif a également permis au cinéma documentaire de faire financer des productions par des internautes en échange de contreparties exclusives. 

Les chaînes de télévision s’engagent dans la diversification des canaux via leurs plateformes de replay, qui offrent aux documentaires un cycle de vie plus long, déconnecté de leur horaire de programmation initiale, souvent tardif. La plateforme france.tv totalisait 2,4 millions de documentaires vus par mois entre septembre 2020 et mai 2021. Cependant, le documentaire en replay reste sous-consommé (2,6 % de la programmation vue alors qu’il représente 6,2 % de l’offre).

Les plateformes de vidéo à la demande ont également bouleversé le secteur. En 2016 est créée Tënk, plateforme spécialisée sur le documentaire de création avec une politique de préachats importante (47 films accompagnés en trois ans). Les plateformes internationales comme Netflix, Disney+ ou Amazon Prime, jouent également un rôle dans la production et la diffusion du cinéma documentaire. Netflix a offert une mise en lumière internationale au documentaire en développant une approche en série, à l’exemple de Making a Murderer, un thriller documentaire en vingt épisodes. Depuis 2020, les plateformes ont l’obligation de réinjecter 20 % de leur chiffre d’affaires réalisé en France dans la production française ou européenne.

Néanmoins, l’émergence de ces nouveaux acteurs, si elle ouvre de nouveaux circuits de financements aux réalisateurs, ne les met pas à l’abri d’un risque de formatage. Une dérive dénoncée par Marc Isaac dans The Filmmaker’s House, mettant en scène un réalisateur qui refuse de se soumettre à l’injonction de filmer du sexe, du crime ou des célébrités pour recevoir des financements. Un film que Marc Isaacs décrit comme « un acte de rébellion contre l’industrie cinématographique » dans un entretien à Mediapart, en mars 2021

Publié le 04/10/2021 - CC BY-SA 4.0

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