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Les États face aux cryptomonnaies

Alors que certains considèrent les cryptomonnaies comme une opportunité de s’émanciper des institutions financières, d’autres les voient comme une menace pour le système financier. Primavera de Filippi est chercheuse au CNRS et spécialiste de la blockchain, un réseau de certification des transactions électroniques. Elle nous explique quelle est l’attitude des gouvernements envers ces nouveaux systèmes de paiement décentralisés qui font l’objet d’un atelier « Tout savoir sur les cryptomonnaies » à la Bpi en janvier 2021.

Bermix Studio [CC0] Unsplash

Depuis le lancement du bitcoin en 2009, la valeur de cette cryptomonnaie a atteint plus d’un trilliard de dollars. Pourtant, le futur des cryptomonnaies est devenu un sujet controversé. Une monnaie virtuelle, globale et décentralisée peut-elle mettre fin au monopole des États et des banques centrales sur la monnaie ?

Une méfiance généralisée

La possibilité d’échanger de la valeur sans passer par des intermédiaires de confiance, telles que les banques et autres institutions financières, ajoute de la transparence et de l’efficacité aux transactions, mais soulève de nouveaux défis en termes de régulation. C’est ainsi que le bitcoin et les autres cryptomonnaies sont perçus comme potentiellement problématiques par de nombreux gouvernements. D’abord, étant donnée l’absence d’une banque centrale responsable de l’émission des cryptomonnaies, il est difficile pour un gouvernement d’en réguler la circulation. Le pseudonymat qui caractérise la plupart des cryptomonnaies les rend particulièrement intéressantes pour effectuer des activités criminelles, notamment le blanchiment d’argent. Enfin, les cryptomonnaies permettent aux habitants d’un pays de contourner les restrictions gouvernementales concernant les mouvements de capitaux.

Depuis quelques années, certains pays tels que l’Algérie, la Bolivie et l’Égypte ont interdit les transactions en cryptomonnaies sur leur territoire. En septembre 2021, la Chine a déclaré illicite tout service permettant d’acquérir, d’échanger, ou de transférer des cryptomonnaies, y compris pour des raisons d’investissement. Le gouvernement indien est en train de mettre en place une interdiction similaire, avec une loi qui rendrait illicites toutes les transactions de cryptomonnaies privées en Inde. Ces deux derniers pays représentent, à eux seuls, plus de 35 % de la population mondiale, qui serait ainsi privée de transactions en bitcoin, ethereum, ou autres cryptomonnaies. 

Une appropriation progressive

Malgré leur méfiance envers les cryptomonnaies, les gouvernements ne sont pas désintéressés par les nouvelles opportunités offertes par la certification des transactions numériques par le biais de la blockchain. La Chine et l’Inde ont ainsi pour projet de mettre en place leur propre cryptomonnaie souveraine, qui se distinguerait des cryptomonnaies privées dans la mesure où elle serait émise et contrôlée par une banque centrale. Il en est de même pour l’Europe. En juillet 2021, un projet pilote de la Banque centrale européenne (BCE) propose de développer un euro numérique s’appuyant sur la blockchain. Ce projet se trouve dans la lignée des efforts menés par la Banque d’Angleterre et la Réserve fédérale américaine, qui étudient elles aussi la possibilité d’émettre leur monnaie souveraine sur une blockchain.

Bien que l’infrastructure sous-jacente soit la même, les monnaies numériques des banques centrales n’ont pas vocation à fonctionner de la même façon que la plupart des cryptomonnaies existantes. Au lieu de s’appuyer sur un processus de vérification décentralisé, elles reposent sur des systèmes de supervision et de contrôle administrés par les banques centrales. Cela leur permet de bénéficier des garanties technologiques de la blockchain tout en maintenant une forme de souveraineté sur l’émission des monnaies.

Le développement des cryptomonnaies ressemble au développement de l’Internet. Ce réseau, qui avait vocation à échapper au contrôle des États et qui était initialement perçu comme un outil pour promouvoir la vie privée et la liberté d’expression, s’est transformé en outil de régulation, utilisé par les États à des fins de surveillance et de contrôle. Il en va de même pour les cryptomonnaies. Cette technologie de paiement, visant à promouvoir la désintermédiation et l’anonymat des transactions, a été récupérée par les banques centrales, dans le but de mettre en place des cryptomonnaies contrôlées et administrées par les institutions financières que la technologie était censée contourner.

Dans le même temps, certains gouvernements tentent de bénéficier des nouvelles opportunités fournies par la blockchain, sans même se soucier d’établir leur propre cryptomonnaie souveraine. Le Salvador a été le premier pays à reconnaître le bitcoin comme devise officielle, aux côtés du dollar américain. Depuis septembre 2021, les habitants du Salvador ont ainsi la possibilité de payer leurs courses, mais aussi leurs impôts en bitcoins. Cette démarche, décrite comme un moyen de s’émanciper de l’hégémonie monétaire des États-Unis, a été critiquée par le Fond monétaire international, ainsi que par les habitants et les commerçants du Salvador, qui ont exprimé leur scepticisme envers l’impact potentiel sur leur niveau de vie, notamment à cause des fortes fluctuations qui caractérisent cette cryptomonnaie. 

Face à la montée en popularité de la blockchain et des cryptomonnaies, les États ne restent pas insensibles. Entre ceux qui tentent de les interdire et ceux qui s’efforcent de les intégrer au sein de leur propre système étatique, les gouvernements du monde entier sont attentifs au développement de ces nouvelles technologies. Après une période de méfiance, de plus en plus de gouvernements essayent désormais de comprendre comment s’emparer des cryptomonnaies pour soutenir, voire renforcer leurs intérêts étatiques.

Publié le 27/12/2021 - CC BY-NC-SA 4.0

Pour aller plus loin

Blockchain et Cryptomonnaies

Primavera de Filippi
Presses universitaires de France, DL 2018

À la Bpi, niveau 3, 681.40 DEF

« Un euro numérique défendra notre souveraineté monétaire » | Say n°2, 2021

L’auteur et avocat Hubert de Vauplane expose les avantages et les risques de la digitalisation de la monnaie pour la création d’un euro numérique.

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