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Appartient au dossier : Dans la bulle des auteurs et autrices de BD

Dans la bulle de Lisa Blumen

Diplômée de l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg, Lisa Blumen a commencé sa carrière dans l’illustration jeunesse. En 2021, elle publie sa première bande dessinée, Avant l’oubli, très remarquée par la critique. À l’occasion de la parution de son second album, Astra Nova, elle est l’invitée des Jeudis de la BD à la Bpi le 13 avril 2023. Pour Balises, elle présente son univers en quelques références.

Publié le 27/03/2023 - CC BY-NC-SA 4.0

Asphalte

Samuel Benchetrit
A Single Man, Maje Productions, La Camera Deluxe, 2015

Je ne comprends pas pourquoi ce film n’est pas plus connu. Je trouve que c’est un chef-d’œuvre d’humanité et d’absurde. On suit les habitant·es d’un immeuble de cité qui se croisent, se rencontrent ou s’évitent. Ce que j’aime le plus, c’est lorsqu’on me montre des personnages vraisemblables qui ont de nombreuses facettes, ce qui les rend complexes. Iels ne sont pas uniquement défini·es par leurs rôles dans l’histoire. Dans ce film, iels sont à la fois grotesques, sensibles, fragiles, mais aussi, parfois, vraiment débiles ! Comme celui qui habite au premier étage et qui ne veut pas participer aux frais de l’ascenseur parce qu’il n’en a pas l’utilité. Manque de chance, suite à un accident idiot, il se retrouve en chaise roulante et doit utiliser l’ascenseur en cachette, de nuit. Tout le film est dit avec ce personnage : c’est drôle, tragique et terriblement touchant.

Ce film me fait penser à La Vie mode d’emploi de Georges Perec (1978), qui est un livre de chevet. Je reviens sans arrêt à ces histoires chorales qui montrent des trajectoires de vie, des quotidiens variés et inclusifs.

Nana

Ai Yazawa
Delcourt, 2000-2009

C’était mon manga préféré jusqu’à mes quinze ans, jusqu’à ce que je rentre au lycée et que je renie tout ce que j’aimais et devienne snob. Je n’ai pas pu me décider à vendre ma collection et j’ai vraiment bien fait, parce que je suis retombée dessus il y a quelques années et ça à été une re-révélation.

J’ai réalisé que ce manga avait énormément influencé ma manière d’écrire et de créer. J’ai plus ou moins appris à dessiner en reproduisant les dessins d’Ai Yazawa. Même si ça ne se voit plus trop dans mon style actuel, j’y pense encore quand je dessine une main ou le plissé d’un vêtement. Ce que j’adore aussi dans ce manga – et qui se retrouve aussi dans d’autres séries –, ce sont tous les dialogues parallèles à l’histoire. Il y a souvent plein de petites conversations ou actions rigolotes au second plan. Les personnages se parlent à eux-mêmes ou brisent carrément le quatrième mur. Aujourd’hui, en ayant grandi, je vois pas mal d’aspects problématiques dans cette série (sexisme, culte de la maigreur…) mais il y a quand même quelque chose d’extrêmement vivant, sensible et réjouissant dans ces personnages, qui fait qu’on a toujours envie d’y revenir.

À la Bpi, niveau 1, MA NAN

L'Hôtel, de Sophie Calle, 1981 - 1983 | Centre Pompidou

J’ai vu cette série de photos lors d’une visite de l’exposition permanente du Centre Pompidou avec ma classe d’arts plastiques au lycée. Sophie Calle s’est fait engager comme femme de chambre dans un hôtel et elle examine les traces de présence (valises, draps, poubelles…) des occupant·es des chambres qu’elle nettoie. Je n’ai jamais compris pourquoi certaines œuvres laissent de marbre – même si toutes les conditions sont réunies pour nous plaire – et d’autres nous surprennent à nous tirer la larmichette. Mais, moi qui me pensais hermétique à l’art contemporain à cette époque, j’ai été bouleversée par ces photos sans comprendre pourquoi. Aujourd’hui, je sais ce qui m’a plu dans cette idée de fouiner dans les poubelles d’inconnu·es : j’ai vraiment envie de comprendre comment fonctionnent les autres. Je me demande si ça n’est pas aussi une des choses qui intéresse Sophie Calle, en faisant des expériences, en trouvant des moyens farfelus : parvenir à dévoiler aux autres (et à elle-même) qui iels sont vraiment.

Paris is burning

Jennie Livingston
Academy Entertainment, Off White Productions, 1991

J’ai découvert la culture drag/queer, comme beaucoup de gens, devant RuPaul’s Drag Race, une téléréalité américaine de compétition de drag queens. Je ne m’attendais pas à ce que ça me touche autant. Je pensais voir un show sans âme, hyper compet’ et plutôt de mauvais goût, mais j’y ai surtout vu beaucoup de bienveillance, de créativité, de joies et d’âneries délicieuses. Cela m’a vraiment permis de faire un premier tout petit pas dans la culture queer et de découvrir son incroyable richesse.

L’émission fait beaucoup de références au documentaire culte Paris is burning, qui suit des personnes queers dans les ballrooms (compétitions de drag, de danse et autres réjouissances) à New York, dans les années 1980. Il met en avant la réappropriation des codes bourgeois/hétéros/blancs par des minorités, tantôt dans l’extravagance foldingue des ballrooms, tantôt dans la confidence mélancolique d’une chambre.

Exit Wounds, La Propriété, Tunnels

Rutu Modan
Actes Sud, 2007, 2013, 2021

Je n’ai lu que trois BD de Rutu Modan et mon drame c’est que je n’en ai plus que deux ou trois autres à découvrir d’elle ! Je me les garde au chaud, pour ne pas tout lire trop vite, tellement j’adore son travail. Elle coche toutes les cases qui me font aimer un livre : des personnages divers et touchants, des histoires denses et sensibles, des dialogues crédibles, de l’humour absurde, des moments de mélancolie subtils… L’autrice est israélienne et raconte le quotidien de personnages qui sont tous plus ou moins impactés par les troubles religieux et culturels du pays. Je trouve que c’est une des meilleures façons d’aborder ces sujets, en montrant concrètement comment les contextes géopolitiques peuvent influencer la vie des gens.

À la Bpi, niveau 1, RG MOD ERG MOD P et RG MOD T

Pour aller plus loin

Astra Nova

Lisa Blumen
L'Employé·e du moi, 2023

Avant son départ vers la planète L31 – voyage de cinquante années, sans retour –, Nova doit se soumettre à une dernière obligation : un dîner d’adieu avec ses ancien·nes ami·es. La jeune scientifique renfermée et studieuse qu’elle est devenue les a perdu·es de vue ; elleux ne l’ont pas oubliée. Au cours de cette nuit de retrouvailles, Nova découvre la force des liens et la beauté du monde. 

Derrière le récit de science-fiction, Astra Nova propose une réflexion sur la solitude et l’attachement. Les personnages, malgré des trajectoires disparates, se retrouvent à l’évocation du passé et entraînent le lecteur dans leur recherche nostalgique d’une histoire commune. Le dessin au feutre, avec ses tons pastel, rend parfaitement compte de ce mélange d’espoir et de regrets. 

Lisa Blumen - l'atelier A | ARTE

Lisa Blumen est la Révélation BD 2022 de l’ADAGP avec Quai des Bulles pour  Avant l’oubli (ed. L’Employé du moi). Dans cette vidéo, elle présente la genèse du projet et sa manière de travailler.

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