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Appartient au dossier : Marc Isaacs, espaces de vie

Marc Isaacs, cinéaste en transit

The Filmmaker’s House du réalisateur britannique Marc Isaacs, a été retenu dans la sélection des dix meilleurs films de 2021 par le critique de cinéma du New Statesman et du Guardian, Ryan Gilbey. Il présente le travail du cinéaste en ouverture du cycle « Denis Gheerbrant, Marc Isaacs – Double rétrospective » à la Bpi, qui lui rend hommage.

Toute personne s’intéressant à l’identité britannique du 21e siècle, avec ses contradictions et ses crises, devrait commencer par regarder les documentaires de Marc Isaacs. Ils captent ce sentiment de fugacité et d’instabilité qui fait désormais partie de la vie de tous les Britanniques. Après avoir travaillé sur deux films du réalisateur polonais basé au Royaume-Uni, Pawel Pawlikowski : Twockers (1998) et Last Resort (2000), Isaacs fait ses débuts en 2001 avec Lift, un court métrage où il se confine dans l’ascenseur d’une tour d’habitation : un lieu de passage où personne ne reste très longtemps. Pendant deux mois, Isaacs s’y poste chaque jour pour filmer les allées et venues des habitants du quartier. Dans les brefs échanges qu’il a avec eux, même une question anodine (« Quel est votre meilleur souvenir de votre enfance ? ») produit parfois des réponses plus riches et plus éloquentes que des heures de conversation.

Au cours des deux décennies qui ont suivi, le réalisateur, aujourd’hui âgé de 54 ans, s’est révélé être l’un des documentaristes contemporains parmi les plus pertinents. On l’entend mais on ne le voit que rarement. Derrière la caméra, sa voix désincarnée et interrogative pose des questions ludiques, indiscrètes ou directes. Il gagne la confiance de ses personnages : que ce soit un migrant afghan à Calais dans The Last Border (2003), un enfant en mal d’amour dans Someday My Prince Will Come (2005) ou encore les banquiers, tous émotionnellement meurtris d’une façon ou une autre, dans Men of the City (2009).

Mais il a également le don d’identifier les espaces où toute la confusion et l’agitation de la vie quotidienne se révèlent au grand jour. On peut citer le parvis devant un tribunal dans Outside the Court (2011), une ville du sud-est de l’Angleterre en proie à des troubles dans All White in Barking (2008), ou encore une buvette en bord de route dans l’est des Midlands dans Outsiders (2015). Dans ce film, on voit les clients mâchouiller des morceaux de bacon (« C’est du porc local, je suppose ? ») en déplorant l’afflux d’« Européens » et de « Musulmans ». Derrière eux, on aperçoit des champs de légumes où s’échinent des travailleurs immigrés.

Scène : deux ouvriers montent une clôture dans le jardin du cinéaste
Marc Isaacs, The Filmmaker’s House © Andanafilms, 2020

Dans son dernier long métrage, The Filmmaker’s House (2020), Isaacs poursuit son étude humaniste et parfois hilarante des thèmes du foyer et de l’identité, en organisant cette fois sous son propre toit une rencontre entre des personnages disparates : un voisin pakistanais, un sans-abri slovaque, une femme de ménage colombienne et deux ouvriers britanniques. C’est désormais la maison du réalisateur qui est devenue un espace de transit, du moins pour les étrangers qui se retrouvent à partager leur repas à la table de sa cuisine et à accomplir des actes de charité inattendus.

Dans The Road-A Story of Life and Death (2013), il s’intéresse à tous ceux qui quittent leur patrie pour un pays étranger, territoire qu’Isaacs décrit comme « un espace incertain, ni ici ni là-bas ». C’est dans cet « entre-deux » que se situe une grande partie de son œuvre dont The Road, un film habité de migrants, certains déplacés ou invisibles. Billy, un ancien ouvrier irlandais à la santé déclinante, se voit demander comment il a atterri à Londres. « Je me suis perdu dans le brouillard », soupire-t-il. Iqbal, qui vient du Cachemire, sait « qu’en tant qu’exclu, on peut tout simplement disparaître ». Pourtant, la beauté des films d’Isaacs est justement que les personnages qui passent devant sa caméra sortent du brouillard de l’invisibilité et de l’oubli.

Texte traduit de l’anglais par François Minaudier et initialement paru dans la brochure Hiver 2022 de La Cinémathèque du documentaire à la Bpi.

Publié le 27/12/2021 - CC BY-NC-SA 4.0

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