Sélection

Appartient au dossier : Migrants, réfugiés, exilés : parcours heurtés

D’un pays à l’autre : migrations littéraires

Balises vous propose une sélection de romans, récits documentaires et bandes dessinées centrés sur des parcours de migration et d’exil, en écho au cycle « Migrants, réfugiés, exilés » organisé par la Bpi en 2022.

Au roman graphique de Javier de Isusi sur les réfugiés de la guerre civile espagnole répond celui de Bessora et Barroux sur un ébéniste ivoirien à la recherche de sa famille, tandis que sur les routes de la Méditerranée se croisent un jeune Syrien rencontré par Fabien Toulmé, un trio de femmes imaginé par Louis-Philippe Dalembert et un groupe de migrants bloqués à la frontière espagnole sous la plume de Juan Tomás Ávila Laurel.

Publié le 14/02/2022 - CC BY-SA 4.0

Notre sélection

Asȳlum

Javier de Isusi
Rackham, 2016

Née en 1921 dans un village du Pays basque espagnol, Marina est aujourd’hui une vieille dame vivant en maison de retraite. Elle raconte la guerre civile – la tentative de coup d’État de 1936, le déménagement chez une tante à Barcelone – puis l’exil en France – le passage de la frontière sous les bombardements, le camp de concentration d’Argelès-sur-Mer – et enfin l’asile au Venezuela – la reconstitution d’une communauté basque, le mouvement antifasciste durant la Seconde Guerre mondiale.

Son destin s’entrecroise avec ceux d’autres protagonistes qui, de nos jours, prennent la route de l’exil : Aina, une lycéenne nigériane tentant d’échapper à un mariage arrangé, Christopher, un jeune homme fuyant les persécutions homophobes de son Ouganda natal, Sanza, une femme ayant quitté le Congo en guerre pour l’enclave espagnole de Melilla, et Imelda, une journaliste mexicaine menacée de mort après ses articles sur les féminicides. À travers ce récit choral, décliné pour chaque personnage en une nouvelle gamme de couleurs, Javier de Isusi rend hommage à tous ceux qui, par-delà les frontières et les époques, affrontent l’incertitude et la douleur du déracinement. Ce roman graphique émouvant, parsemé d’espoir, réaffirme l’importance de l’accueil et du droit d’asile.

À la Bpi, niveau 1, RG ISU A

Mur Méditerranée

Louis-Philippe Dalembert
Sabine Wespieser, 2019

Chochana est nigériane et a quitté son pays pour des raisons économiques et climatiques. Après avoir traversé le Sahara, elle échoue dans un centre de détention libyen où elle croise Semhar, une Érythréenne chrétienne d’une vingtaine d’années, qui a fui le service national imposé à la jeunesse de son pays. Enfin, Dima est une musulmane aisée qui est partie de Syrie avec son mari et leurs deux filles. Les trois femmes montent dans le même bateau, qui doit les emmener en Europe.

Louis-Philippe Dalembert s’est inspiré du drame qui a endeuillé la Méditerranée le 18 juillet 2014 : un chalutier, pris dans une tempête, a été secouru au large de Lampedusa mais près de deux cents passagers, sur sept cents, ont péri en mer. Les descriptions de la vie à l’intérieur du bateau, entre la chaleur, l’asphyxie et la peur, sont très intenses, et parfois difficiles à lire. Mais l’auteur parvient, avec pudeur et beaucoup de retenue, à la manière des migrants qu’il a rencontrés à Lampedusa, à proposer un ouvrage d’une grande humanité. Il dresse le portrait de femmes courageuses et refuse de les enfermer dans une identité de « migrantes », car être migrantes n’aura été qu’un moment de leur vie.

À la Bpi, niveau 3, 848 DALE 4 MU

L'Odyssée d'Hakim

Fabien Toulmé
Delcourt, 2018

Dans L’Odyssée d’Hakim, Fabien Toulmé illustre des entretiens menés en 2017 avec un jeune Syrien sur sa longue traversée entre la Syrie et la France. En trois volumes, cette bande dessinée raconte très simplement, tant sur le plan graphique que narratif, le parcours à peine croyable de ce jeune homme ballotté entre des évènements tragiques et des exigences administratives inadaptées.

Sans pathos et avec sensibilité, l’auteur nous place au plus près de son narrateur, se ménageant quelques allers-retours entre le récit du jeune Syrien et l’échange entre les deux hommes, réussissant ce triple voyage : celui d’Hakim et des tragédies qu’il va traverser, celui de l’auteur ébranlé par le récit qu’il reçoit et celui du lecteur qui découvre le sort douloureux et absurde d’un réfugié. Le récit redonne toute sa dimension humaine au sort d’un migrant par la voie du témoignage. Les aspirations simples d’Hakim tranchent avec l’extraordinaire réalité de sa nouvelle vie. Un point de vue salutaire sur le sort des habitants d’un pays en guerre, traité habituellement dans les actualités de manière globalisée comme phénomène de société.

À la Bpi, niveau 1, RG TOU O1 (tome 1), RG TOU O2 (tome 2) et RG TOU O3 (tome 3)

Raconte-moi la fin

Valeria Luiselli
Éditions de l'Olivier, 2018

Valeria Luiselli est interprète bénévole au tribunal de l’immigration de New York auprès de mineurs sans papiers arrivés par la frontière mexicaine. Elle doit leur soumettre un questionnaire en vue de l’obtention ou non d’un droit de séjour. Elle découvre alors la sinistre réalité derrière ces histoires d’enfants d’Amérique centrale fuyant la violence de leur pays et la guerre des gangs. Parcourant des kilomètres au péril de leur vie, ils sont confrontés à des dangers terribles : enlèvements, viols, tortures, trafics, milices armées, faim et soif.

Très documenté et riche en informations chiffrées, le texte de Valeria Luiselli donne la parole à des migrants souvent perçus en termes négatifs, désignés comme « étrangers illégaux » plutôt que « réfugiés ». Elle rend compte de la difficulté pour eux de raconter leur histoire, et pour elle de les aider à éviter l’expulsion. Émouvant, révoltant et militant, le récit expose la brutalité des politiques migratoires, le cynisme et la responsabilité des États, y compris la complicité des États-Unis dans les trafics d’armes et de drogue des cartels d’Amérique centrale. Valeria Luiselli évoque avec effroi les agissements xénophobes et la maltraitance dans les centres de détention gérés comme des entreprises lucratives.

À la Bpi, niveau 3, 868.0 LUIS 4 TE

Alpha : Abidjan-Gare du Nord

Bessora et Barroux
Gallimard, 2014

Alpha est ébéniste à Abidjan, en Côte d’Ivoire. Il pense à sa femme et à son fils partis pour Paris, dont il est sans nouvelle. Alors il prend la route : direction Gao, au Mali, dans une camionnette surchargée dont les passagers espèrent rejoindre l’Europe. Puis il poursuit son voyage vers le nord, alternant trajets en voiture dans le désert, arrêts involontaires dans des camps de réfugiés, et petits boulots mal payés. Son chemin croise celui d’autres « aventuriers » : Antoine, un Camerounais qui rêve de jouer pour le FC Barcelone, Abebi, une Nigériane contrainte de se prostituer pour survivre, et Augustin, un petit garçon que leur confie sa sœur.

Le texte écrit à la première personne est accompagné de dessins sobres dans lesquels dominent le noir et le blanc. Ce roman graphique d’une grande pudeur donne ainsi à voir et à ressentir les espoirs, puis les désillusions, des migrants d’Afrique subsaharienne – une détresse dont profitent militaires corrompus, passeurs malhonnêtes et trafiquants en tout genre. Le récit interroge aussi les responsabilités individuelles face aux mesures répressives et à la coopération entre États : l’Europe aux côtes si lointaines est omniprésente dans les demandes absurdes des consulats, dans les circuits touristiques aperçus en cours de route, et dans les contrôles instaurés par les pays du Maghreb en échange d’une « aide au développement ».

À la Bpi, niveau 1, RG BES A

La Traversée

Pajtim Statovci
Buchet Chastel, 2021

Bujar a grandi à Tirana, en Albanie. Après la mort de son père, il décide de quitter le pays avec son meilleur ami, Agim. Les deux adolescents passent plusieurs mois à dormir dans la rue et à survivre grâce à des petits boulots, puis se lancent dans la traversée vers l’Italie. Le parcours migratoire de Bujar le conduit, quelques années plus tard, en Allemagne, en Espagne, aux États-Unis puis en Finlande. À chaque étape de son parcours, il s’invente une nouvelle vie : il est tantôt un jeune Italien dont les parents sont morts, tantôt une femme trans venant de Turquie, ou une Bosniaque qui étudie la médecine.

Ce roman, écrit par un jeune auteur kosovar qui a émigré à l’âge de deux ans en Finlande, traite de la migration, mais surtout de la recherche d’une place dans le monde. Le héros souhaite être accepté dans les pays qu’il traverse, mais toutes ses aspirations sont contrariées : il est sans cesse renvoyé à son statut d’étranger et il subit racisme et homophobie. La réflexion porte surtout sur ce qui définit un migrant, entre son existence passée et celui qu’il souhaite être une fois arrivé à destination, et sur la difficulté à être soi-même quand la population autochtone ne le permet pas.

À la Bpi, niveau 3, 839.9 STAT 4 TI

Sur le mont Gourougou

Juan Tomás Ávila Laurel‏
Asphalte, 2017

À la frontière de l’enclave espagnole de Melilla, au Maroc, se dresse le mont Gourougou où se sont réfugiés des migrants de différents pays d’Afrique désireux d’atteindre les côtes espagnoles, de l’autre côté. Confrontés au dénuement et à la faim, vivant dans des grottes qu’ils nomment avec humour « résidences », ils tentent d’échapper à l’ennui et au désespoir en jouant au football ou en racontant des histoires, prenant la parole tour à tour, expliquant notamment ce qui les a obligés à fuir leur pays. Quand deux femmes tombent malades, les hommes partent chercher de l’aide, avec peu d’espoir de trouver un hôpital acceptant les Noirs.

Derrière le ton humoristique de certaines histoires transparaît la réalité d’existences marquées par de dures conditions de travail, l’exploitation et la misère. À travers ces récits de survie se dessinent les conséquences de la colonisation, le poids de la religion, les dictatures, la corruption et l’enrichissement des profiteurs. Malgré des descriptions réalistes de la vie dans le camp, de la précarité et du rejet, de la mendicité et des violences de la police marocaine, l’auteur choisit le ton de la fable pour rendre universel le sort de ces réfugiés. Les discussions animées rappellent l’importance de la tradition orale et révèlent le sort atroce qu’ont connu certains dans leur pays avant de subir la violence des barrières infranchissables de l’Europe.

À la Bpi, niveau 3, 860″20″ AVIL 4 JU

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