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Appartient au dossier : Le petit monde de Posy Simmonds Un·e auteur·rice, un objet

Le perroquet silencieux de Posy Simmonds

Certains objets occupent, dans la vie des artistes, une place particulière. Dans ce texte inédit accompagné d’un dessin original, Posy Simmonds nous parle d’un perroquet perché au-dessus de son bureau… L’œuvre de cette écrivaine et dessinatrice britannique est à découvrir dans une exposition à la Bpi du 22 novembre 2023 au 1er avril 2024.

Dessin représentant un faux perroquet rouge et bleu, perché devant un cadre en bois
© Posy Simmonds, 2023

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« L’objet, c’est un perroquet. Pas un vrai, mais un petit perroquet en tissu, perché sur une petite barre en bois. C’est un cadeau fait par ma sœur dans les années 1960. Depuis, il est pendu à un grand miroir avec un cadre en bois sculpté, au-dessus de ma table de travail. Je ne sais pas pourquoi ma sœur l’a choisi. Des années plus tard, quand j’ai eu l’idée d’imaginer une histoire fondée sur Madame Bovary, je me suis souvenue que Gustave Flaubert s’est inspiré d’un perroquet empaillé, toujours exposé aujourd’hui au musée Flaubert et d’histoire de la médecine de Rouen. Il y a un autre prétendant pour l’inspiration de Flaubert, un perroquet vert empaillé qui se trouve dans une vitrine de la maison de l’écrivain au Croisset – c’est le thème du roman Flaubert’s Parrot (1984) de Julian Barnes.

Bien que mon perroquet ait été un compagnon constant, je n’ai jamais pris la peine de lui donner un nom. Je suppose qu’il est censé être un ara rouge – un oiseau vivace au timbre rauque, apparemment un peu agressif. On m’a dit qu’il faut toujours éviter de toucher un perroquet sur le dos, les ailes et la queue. Je ne touche presque jamais mon perroquet. Parfois, quand je m’en souviens, j’essuie la poussière sur son dos.

Bien sûr, mon oiseau ne ressemble en rien aux vrais perroquets que j’ai connus : le perroquet gris d’Afrique appartenant à des amis en Écosse, qui pouvait tout imiter – les portes qui grincent, les téléphones portables, leur mère annonçant le dîner. Ou un autre perroquet, un oiseau effrayant, nommé Watson, appartenant à une amie d’école. Il attaquait avec son bec tout ce qui était en caoutchouc – des pneus de vélo, des gants de vaisselle, des semelles de chaussures. En même temps, il avait un cœur tendre. Watson était particulièrement sensible aux tons plaintifs de la voix humaine. Dans cette famille de quatre enfants, il y avait souvent des larmes. “My dear! How awful! l’m terribly sorry!” [“Chéri·e ! C’est terrible ! Je suis tellement désolé !”], disait Watson à ces occasions, d’une voix débordante de sympathie. Ou parfois, il disait simplement “Tough shit, tough shit**” [“Sacrée merde, sacrée merde.”].

Mon perroquet ne dit rien, ne fait rien. Il reste juste là, à regarder dans le vide. Mais je trouve sa présence réconfortante, car moi aussi, je regarde dans le vide, surtout face à l’angoisse de la page blanche. Au fil des années, mon perroquet a été le témoin muet de toutes mes luttes sur son perchoir : des délais à respecter, de l’encre répandue, des idées qui ne venaient pas. Le perroquet endure tout cela en silence. Il mérite un nom. Je regarde le vide comme lui, essayant de trouver quelque chose d’approprié. »

Publié le 30/10/2023 - CC BY-NC-ND 3.0 FR

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