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Appartient au dossier : 4 pionniers de la photographie animalière

4 pionniers de la photographie animalière #2 : les frères Kearton

Les frères Kearton, ornithologues britanniques et passionnés de nature, sont les premiers à photographier un nid en 1892. Ils publient ensuite le premier livre entièrement illustré de photographies prises sur le vif, en 1895. Balises vous présente leur approche de la photographie animalière, un sujet également récurrent dans l’œuvre de Jochen Lempert, à qui le Centre Pompidou consacre une exposition de mai à septembre 2022.

oisillons au nid
Bébés éperviers au nid, par Richard Keaton, Internet Archive Book Images, No restrictions, via Wikimedia Commons. Image scannée de l’ouvrage Baby Birds at Home, de Richard Kearton, Cassell and company, ltd. 1912.

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À 14 ans, Richard Kearton (1862-1928) entraîne son jeune frère Cherry (1871-1940) dans sa passion, l’ornithologie. Leur collaboration professionnelle commence en 1890 avec la publication d’un manuel illustré à l’aquarelle, destiné aux collectionneurs d’œufs. Quand ils découvrent la photographie, les chambres photographiques sont en bois et lourdes, équipées de plaques de verre. La prise de vue nécessitant un temps de pause important, photographier la faune est un exploit ou un trucage (avec des animaux empaillés). Leur première photographie animalière, celle d’un nid avec ses œufs en 1892, les encourage à poursuivre la capture d’images in situ. ils publient en 1895 British Birds’ Nest, un livre entièrement illustré de photographies « authentiques ». Ils réalisent ensemble une quarantaine d’ouvrages et organisent de nombreuses conférences en Grande-Bretagne. Leurs recueils ornithologiques font état de leurs observations de terrain que la photographie vient attester. Leurs livres sur la pratique de la photographie animalière, dans lesquels ils partagent leurs techniques et leurs astuces, font référence dans le petit monde des photographes animaliers. 

Prises de risques

Il faut de la force pour déplacer le matériel et de l’assurance pour s’approcher des sujets en hauteur ou dans des endroits escarpés. Comme Richard a des difficultés à se mouvoir suite à un accident de jeunesse, Cherry assure les prises de vues acrobatiques et risquées, assisté de son frère. En 1899, les frères utilisent une chambre 4 x 5 pouces à double visée conçue spécialement pour eux par la société Dallmeyer. Les critères qu’ils privilégient sont la solidité de la chambre et des obturateurs à iris ou à couperet, silencieux. La Chambre Dallmeyer pouvait être montée sur crosse, dans l’esprit du fusil photographique d’Étienne-Jules Marey.

Les photographies de leurs ouvrages témoignent des risques qu’ils prennent pour se tenir à la distance nécessaire : sur l’une d’elles, Cherry se tient sur les épaules de son frère, tandis que l’appareil photo est placé sur un trépied rallongé par des branches ; sur une autre, les deux hommes parviennent au sommet d’un arbre grâce à des échelles attachées entre elles ; sur d’autres encore, Cherry longe les flancs d’une falaise au bout d’une corde d’escalade.

Techniques d’affût

Il faut pourtant un minimum de confort pour attendre, des heures durant, le moment idéal pour photographier. Les deux frères font preuve d’ingéniosité et conçoivent des dispositifs d’affût qu’ils bricolent avec Mary, la première épouse de Cherry, très investie dans l’activité des deux frères. Les ouvrages des Kearton rapportent de nombreux exemples de techniques ou dispositifs qui leur permettent de se dissimuler à proximité des oiseaux. Elles vont du simple camouflage en mottes de gazon à des constructions de plus en plus sophistiquées comme la structure recouverte de toile qui imite le tronc d’un arbre et permet de dissimuler deux personnes debout pour photographier par un petit trou, ou la charrette remplie de paille qui cache un abri pour observer les étourneaux.

Le dispositif le plus impressionnant est sans doute le bœuf commandé à un taxidermiste. Naturalisé et consolidé, il permet à un homme léger de se glisser à l’intérieur et de photographier par un œillet aménagé dans le poitrail de l’animal. Le bœuf se fond idéalement dans le décor mais est si léger qu’il est facilement renversé par le vent. Les Kearton déclinent ensuite l’idée avec un mouton pour s’adapter au lieu de vie de leurs sujets. L’animal héberge uniquement l’appareil qui est déclenché à distance à l’aide d’un tube pneumatique.

Engagement en faveur de la nature

Les frères Kearton sont de fervents défenseurs de la nature. Dans Bird’s Nest Egg and Egg Collecting, en 1890, ils proposent un code d’honneur des collectionneurs d’œufs qui les engage à une récolte pondérée. En 1903, ils les encouragent à préférer la photographie au prélèvement. Les Kearton œuvrent pour la pédagogie et la diffusion des connaissances sur les oiseaux britanniques. Richard est régulièrement cité comme le pionnier de la protection de l’avifaune, car il a mené sa mission de diffusion et de vulgarisation des connaissances sur les oiseaux toute sa vie. 

Cherry poursuit sa carrière de photographe sur d’autres terrains : il parcourt le monde, avec sa femme, à la recherche d’images et de films d’animaux exotiques. Il se vante de ne jamais tuer d’animaux, sauf en cas de légitime défense. Son travail est reconnu par la création d’un prix et d’une médaille à son nom, en 1967, par la Royal Geographical Society, qui récompense « un voyageur concerné par l’étude ou la pratique de l’histoire naturelle, avec une préférence pour ceux qui s’intéressent à la photographie, à l’art ou à la cinématographie de la nature ».

Publié le 11/07/2022 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Pionniers de la photographie animalière

Laurent Arthur
Pôles d’image, 2006

Un livre à la mémoire des pionniers de la photographie animalière par le conservateur adjoint du musée d’Histoire naturelle de Bourges.

The Keartons: inventing nature photography – in pictures | The Guardian, 14 juillet 2016

Un parcours en images (en anglais) de l’œuvre des frères Kearton, souvent considérés comme les premiers photographes animaliers professionnels au monde, proposé à l’occasion de la sortie de l’ouvrage The Keartons: Inventing Nature Photography, par John Bevis, publié chez Uniformbooks en 2016. Les ressources sur les frères Kearton sont peu nombreuses. En raison de leur renommée au Royaume-Uni, c’est essentiellement dans les médias britanniques qu’on retrouve des articles sur leur travail, notamment dans The Guardian comme « The Keartons by John Bevis review – how nature photography relies on fakery », « Filming wild beasts: Cherry Kearton interviewed – archive, 1914 » ou « The first man to hunt wildlife with a camera, not a rifle ».

Les livres numérisés de Richard et Cherry Keartons | Internet Archive

Les livres des frères Kearton, en anglais, sont consultables dans leur version numérisée sur le site archive.org. Outre les titres évoqués ci-dessus, citons notamment With Nature and a Camera(Cassel, 1898), un des plus grands succès des frères, édité à des centaines de milliers d’exemplaires ou Our Bird Friends. A Book for all Boys and Girls (Cassel, 1900).

Exposition « Jochen Lempert » | Galerie de photographies, Centre Pompidou, du 11 mai au 4 septembre 2022

Cette exposition rétrospective présente trois décennies du travail de Jochen Lempert, né en 1958, qui vit et travaille à Hambourg. Biologiste de formation, spécialiste des libellules, ce n’est qu’en 1989, à 31 ans, qu’il débute sa carrière de photographe après une période fructueuse au sein du collectif de cinéma expérimental Schmelzdahin (« Dissous-toi »). Cet héritage scientifique reste au fondement de sa pratique artistique, empreinte d’images de la nature, où l’animal côtoie le végétal.

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