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Appartient au dossier : Portraits d’artistes en exil

Portraits d’artistes en exil #4 : Maryam Samaan

Maryam Samaan est une scénographe née en Syrie en 1984. Pour Balises, elle retrace son parcours et décrit l’une de ses expériences d’artiste, en écho au cycle « Migrants, réfugiés, exilés » organisé par la Bpi en 2022.

Maryam Samaan au milieu de marionnettes
Maryam Samaan, artiste palestinienne de Syrie, est assise au milieu des marionnettes créées avec un groupe d’enfants syriens et palestiniens, réfugiés dans le camp de Chatila à Beyrouth, au Liban, en mai 2018. Photo © Carole Alfarah

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Quelle est votre formation ?

Je dessine depuis que je suis très jeune et j’étais presque sûre d’aller vers l’art. Je ne connaissais pas le théâtre car il y en a peu en Syrie. Je visais donc les Beaux-Arts, mais je n’ai pas été prise. J’ai alors entendu parler d’une nouvelle discipline au Conservatoire d’art dramatique : la scénographie. J’ai commencé à me renseigner, à étudier, et j’ai été prise. 

Je voulais pouvoir m’exprimer sans parler, car parler est très difficile chez nous. Pas seulement en tant que femme : en tant que personne, c’est compliqué de dire ce qu’on pense car la société et la politique sont très cadrées. Le théâtre a été une révélation de ce point de vue-là. Comme j’avais de bonnes notes en Syrie, j’ai obtenu une bourse pour continuer mes études théâtrales à Rennes, en France. En complément, sans bourse, j’ai fait les Beaux-Arts de Rennes. 

Pourquoi être partie au Liban en 2016 ?

À partir de 2011, pendant la révolution en Syrie, j’ai ressenti le besoin de m’exprimer par rapport à la situation du peuple avec lequel j’ai grandi. Ma mère est syrienne, mon père est palestinien, moi je suis apatride. Donc c’est un peu compliqué de dire d’où je viens. Pendant mes études, j’avais fait des stages avec des marionnettistes alors, fin 2016, je suis partie faire des marionnettes dans le camp de réfugiés de Chatila près de Beyrouth au Liban, dans un atelier coordonné par l’ONG Najda Now International. Avec le metteur en scène Abed Aidy, nous y avons fondé la compagnie One Hand Puppet. Je suis restée trois ans, jusqu’à fin 2019.

Là-bas, j’ai développé ma méthode de fabrication, avec quinze enfants de 8 à 14 ans, réfugiés syriens. On a commencé par des marionnettes avec des chaussettes. Puis, on a acheté des mousses, coupé, colorié… Ils m’ont aidée à les fabriquer et nous avons acheté les vêtements et les accessoires ensemble, pour qu’ils se sentent investis dans ce travail. Ensuite, nous avons commencé à manipuler les marionnettes. Et là, les enfants ont senti qu’il s’agissait d’une partie de leur corps… certains ne voulaient plus l’enlever.

Comment les enfants du camp de Chatila ont-ils créé chaque marionnette ?

Sur l’image, chaque marionnette a été créée par un enfant différent. Ils ont commencé par la dessiner. Puis, ils ont décrit le personnage : comme il marche, pourquoi il est comme il est… ils ont créé une histoire, pour aller dans l’imaginaire et ne pas rester dans le réel. Les enfants n’avaient pas d’école, seulement un peu de soutien scolaire. Le reste du temps, ils étaient souvent à l’atelier car nous étions ouverts de neuf heures à dix-neuf heures. Je voyais donc ce qu’ils projetaient dans leur personnage. Là, je me suis rendu compte que la marionnette était encore plus intense que le théâtre. 

Pour un petit mémoire sur le sujet, j’ai demandé aux enfants ce que les marionnettes leur apportaient. Certains ont dit que c’était un ami, d’autres une partie d’eux, d’autres que ce n’était pas du tout eux… Moi, ce que j’ai vu, c’est que les enfants se projettent dans la marionnette tels qu’ils s’imaginent, ou projettent ce qu’ils ont envie d’être. Grâce à cela, ils trouvent le courage de dire des choses.

Par exemple, une petite fille a créé un personnage à moitié noir et à moitié blanc, pour parler d’une personne qui hésite beaucoup. Un garçon a fait un super héros, avec plein de couleurs sur les yeux et les cheveux dans le vent. L’enfant est coiffé de la même manière ! Ce superhéros dit qu’il peut tout faire, alors que ce n’est pas vrai. Il y a une autre marionnette qui fait peur, mais qui est très gentille. Une autre s’appelle Picasso : il dessine et il ne se lave pas les mains alors, lorsqu’il passe une main sur son visage, il met des couleurs partout. La marionnette avec de grandes oreilles a été créée par une fille qui m’a expliqué qu’elle entend ce qu’elle veut.

Certains enfants projettent aussi des personnes de leur entourage ou des problèmes qu’ils rencontrent. Les enfants avaient par exemple créé une marionnette-chaussette avec des cheveux très abîmés, pour parler du fait que l’eau, à Chatila, est salée : on ne peut pas la boire, et elle abîme la peau. On a aussi fabriqué pas mal de génies quand on visitait d’autres camps, comme ça les enfants pouvaient faire des vœux. Une fille, par exemple, a dit : « Je veux être un garçon ! ». Non pas qu’elle voulait réellement devenir un garçon, mais elle voulait être libre.

Comment se déroulaient les spectacles ?

Nous avons monté quatre spectacles différents avec ces marionnettes et fait plusieurs représentations à chaque fois. Dans les rues de Chatila, d’abord, puis dans les camps de la vallée de la Bekaa, de Tyr… La plupart du temps, nous étions invités par d’autres associations. À chaque fois, ce sont les enfants qui manipulaient. Avant chaque spectacle, ils proposaient des ateliers aux enfants des camps visités pour fabriquer des marionnettes-chaussettes, et les leur offraient. Les enfants de Chatila se sentaient fiers de transmettre un savoir-faire, et les autres enfants étaient flattés de rencontrer les artistes. Parfois, nous avons joué pour des spectateurs adultes, et nos enfants ont appris au public adulte à fabriquer des marionnettes. Nous avons aussi été invités par plusieurs théâtres à Beyrouth. Parfois, dans les camps, on nous demandait d’intervenir sur un sujet particulier. Par exemple, l’intérêt d’utiliser les toilettes. Dans ce cas, les enfants inventaient de nouvelles histoires avec le metteur en scène.

Le premier spectacle s’appelait More than Artists, car les enfants ne voulaient plus être désignés uniquement comme des réfugiés. Les enfants ont créé de nombreux sketchs autour de leur vie. Le dernier spectacle s’appelait La Rue des planètes. Il y avait sept personnages, avec de forts caractères, qui vivaient chacun sur une planète. Puis, les personnages se mettaient à se parler, faisaient le projet de se rencontrer… à la fin, ils se rendaient compte qu’ils habitaient tous sur la même planète.

Le fait que les enfants assistent aux ateliers allait-il de soi ?

Non. Quand les enfants grandissent, certains parents préfèrent qu’ils restent auprès d’eux pour les aider à travailler. Alors, nous versons chaque mois une petite somme aux familles pour que les enfants continuent à venir. Et bien sûr, lorsque nous jouions, les bénéfices étaient reversés aux enfants. 

L’atelier continue encore aujourd’hui et, sur quinze enfants, neuf sont encore là-bas. J’ai formé trois enfants et ce sont eux, désormais, qui s’occupent de la fabrication de marionnettes.

La question de l’exil et votre travail avec les enfants ont-ils influencé vos œuvres personnelles ?

À Beyrouth, j’ai aussi monté un spectacle hors du camp. C’est le garçon le plus âgé de l’atelier qui a joué dans ce projet, qui inclut aussi de la danse. Ce projet s’appelle The Other I. J’ai travaillé à partir de plusieurs images. D’abord, une nuée de personnes qui partent. J’ai créé des marionnettes qui sont comme les restes des gens et qui n’ont plus de sol sous les pieds, qui sont comme suspendus. Leur destin est inconnu. En Syrie, c’est comme si on était sur des rails. Notre destin était très écrit car on était dans des cadres, à chaque âge. Puis, le quai s’est cassé, le train s’est perdu. Alors, nous nous voyons tels que nous sommes, et notre « moi » se divise. Les marionnettes reflètent autant une seule personne que plein de personnes. 

La deuxième image, ce sont les souvenirs, l’attachement au passé. Certains ont dû quitter leur maison du jour au lendemain, certains sont partis alors que leur maison a été détruite. Moi, je m’attachais à tout avant. Maintenant, je ne suis plus dans la même exigence car je sais que tout peut disparaître. Je parle de cela : comment nous sommes parfois emprisonnés dans nos souvenirs, alors que ces souvenirs ne sont rien. 

Puis, il y a une image de destruction. Le garçon qui manipule fait tomber toutes les marionnettes. Parfois, il est tendre avec elles, et parfois très violent. Comme nous pouvons être parfois tendres et parfois violents avec nous-mêmes. À la fin du spectacle, certaines ont survécu et d’autres non.

Par la suite, à Paris, j’ai travaillé avec un autre danseur amateur et la même forme de marionnettes. Ce deuxième spectacle s’appelle Rupture. Il parle du moment où on entre en rupture avec notre passé, ce qui nous place également en rupture avec un présent qu’on n’arrive pas à vivre. Le spectacle tourne autour de ce moment actuel, et c’est un voyage intérieur.

Publié le 21/03/2022 - CC BY-SA 4.0

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